Narvik (@Coralie Havas)

La Laponie à portée de train

On m’a dit que c’était un coup de tête. J’ai rétorqué que c’était un élan de vie. De Briançon à Narvik, ce voyage en train n’était pas qu’une aventure. C’était une parenthèse nécessaire. Un souffle. Une fugue. Un besoin d’être bercée par le ronronnement du train. Voici le récit d’un départ vers le Nord, où l’ailleurs devient un refuge, et le mouvement, un apaisement.

« Vous vous faites un beau cadeau », m’a dit ma psy quelques jours avant mon départ. J’ai trouvé ça gentil – et puis, je me suis rappelée qu’elle faisait juste son travail. D’autant que je ne voyais pas, à ce moment-là, ce voyage comme un cadeau. Mais plutôt comme un élan de vie. De survie, pour être plus précise. Partir, sans aucune autre obligation que la destination, voilà mon objectif. Ce qui signifiait laisser de côté mes rassurantes to-do lists.

« Aller voir les aurores boréales en train », ça fait bien longtemps que cette aventure me fait rêver. Sauf que j’ai toujours eu une excuse pour ne pas y aller. Souvent, c’était une histoire de temps. Et d’argent aussi. Avec du recul, je me dis que ce n’était tout simplement pas encore le bon moment.

Une rencontre m’a incitée à me « remettre sur les rails ». Celle avec Diana, une cousine parisienne que j’ai rencontrée mi-janvier. « Tu rêves de voyager où ? » m’a-t-elle demandé. La Via Alpina, j’ai dit. Je lui en ai longuement parlé. Sauf que pour être honnête, la Via Alpina, ça n’a jamais rimé avec « voyage ». Ça fait dix ans que ça traîne dans mon esprit. Je crois que c’est davantage une extension de mon identité. Je vous en dirai plus quand j’en serai venue à bout. Même si je redoute ce moment, je crois.

Il y avait aussi le Transsibérien, un voyage entre Moscou et Pékin, histoire de mettre à profit les heures passées sur Duolingo. Une guerre vient hélas contredire mes plans… Et puis, cette idée d’aller voir les aurores boréales en train. « J’y suis allée en avril dernier », m’a dit Diana. « Je n’ai pas vu d’aurores boréales, mais c’était hyper bien. » J’y ai vu un signe.

Je l’ai ensuite bombardée de questions. Avant d’enchaîner sur deux heures sur internet en quête d’infos. C’est là que je suis tombée sur « Narvik ».

Un autre signe est apparu deux jours plus tard, en quittant le parvis de la gare de Marseille-Saint-Charles, quand j’ai traversé le square Narvik, petite ville nichée au milieu des fjords norvégiens, au nord du cercle polaire. L’un des spots idéaux pour observer les aurores boréales. Il ne m’en fallait pas plus pour prendre la poudre d’escampette.

Mon pass Interrail plutôt. Parce que c’est par là que tout commence. C’est une excellente option pour découvrir l’Europe en train, en toute flexibilité, pour un prix relativement peu élevé. Il existe différentes formules en fonction du nombre de jours de voyage en train. Rien de très complexe, il suffit de se rendre sur le site Interrail. Au vu du trajet prévu (que je détaille plus bas), il est idéal d’opter pour un « pass 7 jours » (381 € pour le tarif adulte ; 286 € pour les jeunes de 12 à 27 ans). À noter qu’il vous permet, comme son nom l’indique, d’emprunter autant de trains que vous le souhaitez pendant sept jours de voyage. Le tout n’importe quand sur une période d’un mois à partir de la date de début de votre voyage, de façon espacée ou consécutive. Un supplément pour une réservation de siège est à ajouter dans la plupart des trains (un total de 98 € pour l’intégralité du voyage). Une fois toute cette paperasse, autant ennuyante que nécessaire, faite, il ne restait plus qu’à monter dans mon premier train.

C’était le 9 février, au départ de Briançon. Le premier train de nuit d’une longue série. Le début d’une belle aventure qui marquait l’ouverture d’un nouveau chapitre de vie. Quand je suis partie, Diana, elle, m’a dit : « Moi, je sais qu’après chaque voyage, je ne reviens jamais pareille. » Je savais bien qu’elle avait raison, mais revenir pareille, ça m’allait bien aussi.

« Mais tu ne t’ennuies jamais ? »

Je m’étais prévue une petite escale parisienne d’un jour. Et habituée à mes 300 jours de soleil par an haut-alpins, j’en avais presque oublié la probabilité de la pluie. Ce fut donc une visite humide au programme. Heureusement, il y avait quelques salles d’escalade, de jolies photos à faire… et des matchas hors de prix. C’est un peu étrange, mais je n’ai eu la sensation de « vraiment partir en voyage » uniquement le lendemain, en m’éloignant de la capitale. 

La destination de fin de journée était Hambourg. À sept heures de train depuis Paris. Ma plus grande peur ? Louper mes correspondances en raison d’éventuels retards (ayant l’habitude des trains, je suis bien consciente de cette éventualité). Je n’ai eu de cesse de me répéter que ça ne servait à rien d’y penser puisque je ne pouvais rien y faire, que c’était en dehors de mon contrôle. Pas suffisant à faire sortir cela de mon esprit. 

On m’a souvent demandée si je me suis pas ennuyée avec autant d’heures de train. Je n’avais jamais trop pensé à cela. Car j’ai eu l’impression d’avoir toujours un truc à faire. Observer les gens, les écouter, tenter de les comprendre, explorer le train, ses détails. Ou encore regarder le paysage qui défile, prendre des photos, écrire aux copines, dans mes carnets, ouvrir mon bouquin, écouter des podcasts. Ou encore pianoter sur mon ordinateur (l’avantage du télé-travail). J’en profite durant ce trajet pour réserver un Airbnb à Narvik, avec vue sur un joli port ainsi que sur les montagnes au loin, pour 66€ la nuit. Au moment d’effectuer le paiement, j’ai réalisé qu’il m’importait peu que les aurores boréales soient au rendez-vous. Bien-sûr, je me dis que ce serait la cerise sur le gâteau. Mais ce n’a jamais été ma quête ultime. 

« Ce train semble assez rustique »

Je ne m’ennuie jamais dans le train. Mais j’ai souvent hâte. Hâte de monter dans le prochain wagon, de découvrir la prochaine destination. J’ai soif de découvertes, d’émerveillement surtout. Très vite, je trouve une forme d’apaisement dans l’éternel mouvement. Et ça me plaît. D’autant que c’est prévu pour durer longtemps. « Il me tarde de la suite. Espérons qu’elle arrive vite. Mais pas trop non plus » je résume dans mon carnet. 

Une fois à Hambourg, je monte dans un autre train de nuit. Juste avant j’attrape sur le volet un hot-dog local. C’est étonnant, puisque habituellement, je suis végétarienne. Mais il arrive parfois, une ou deux fois par an je dirais, d’avoir envie de viande. Alors je m’écoute. D’autant que cette envie était guidée par la curiosité de goûter un plat local. 

J’ai du mal à dormir dans ce train, d’autant que je n’ai pas pris l’option « couchette ». Une envie d’économiser le supplément de 20€ par trajet. À refaire, je serai un peu moins rigide sur ce choix. Parce que ce n’est pas très agréable de dormir dans un siège. Surtout plusieurs nuits de suite… Ajoutez à cela un contrôle d’identité aux alentours d’une heure du matin à la frontière du Danemark pour obtenir une nuit parfaite. Pas suffisant pour entacher ma bonne humeur. Puisque le lendemain, le train me dépose à Stockholm. J’y passerai la journée, en attendant le prochain train de nuit (le troisième si vous suivez bien) qui me mènera directement à Narvik. 

Mes premiers pas dans la capitale suédoise sont évidemment guidés par la curiosité. L’envie de parcourir chaque ruelle, de découvrir chaque monument historique, chaque restaurant typique aussi. Il neige ce jour-là, ce qui confère une ambiance toute particulièrement aux lieux. Une dizaine de kilomètres dans les jambes et un cinnamon roll plus tard, me voilà dans le train.

Dès qu’il est entré en gare de Stockholm, ce train m’a marquée. « Il semble assez rustique » disaient les gens autour de moi. Ils n’avaient pas tort. Moi, je l’ai tout de suite aimé ce train. Parce qu’il avait quelque chose d’authentique. Mais aussi surtout, je crois, parce qu’il m’a fait penser au dessin animé de mon enfance. Celui que mon frère mettait en boucle. Ça se passait dans un train sacrément old school qui menait je-ne-sais-plus-où. Et bien que je n’en ai que de maigres souvenirs, l’expérience m’a semblé sensiblement la même. Avec ce côté hors du temps qui personnellement m’apaise. À noter un détail, et pas des moindres sur l’instant : les sièges étaient nettement plus confortables. Et heureusement parce que le trajet allait durer dix-huit heures. 

Le lendemain matin, quelqu’un a ouvert la fenêtre pour prendre une photo. Compréhensible au vu de la propreté des vitres. J’ai toujours eu envie de faire ça dans le train, sans jamais pourtant oser. La peur de déranger sans doute. D’ailleurs, tout le monde a râlé quand le froid a envahi le train. « Damn, it’s cold » ai-je entendu à plusieurs reprises. Moi, j’ai plutôt eu envie de le remercier. Pour ce froid qui m’a pendant quelques secondes rendues plus vivante. Pour avoir renouvelé l’air aussi. Pour avoir eu le cran, surtout. 

Koselig, la tradition qui permet de lutter contre l’obscurité hivernale

Quand je suis arrivée à Narvik, en Norvège, j’ai éprouvé une drôle de sensation : celle d’être à la maison. L’atmosphère y était spéciale. Hors du temps. « Il me tarde d’explorer les montagnes autour de moi. Vraiment. Le plus possible. » ai-je écrit dans la foulée. « Même si j’ai bien conscience que je n’aurais pas le temps de tout voir. Et encore moins de tout vivre. Frustrant constat. Mais en réalité, ça me donne une énergie folle. La frontale est dans le sac, le monde est à moi – je préfère toujours dire que je suis au monde. Je ne cesse de regarder la carte. C’est assez fou d’être là, dans de si hautes latitudes. Tout ça en train. C’est possible d’être nostalgique d’instants que l’on a fait encore vécus ? »

En déambulant dans Narvik, j’ai noté que les maisons couleur pastel avaient à chacune de leur fenêtre une lampe. J’ai lu que c’était la tradition ici. Un moyen de lutter contre l’obscurité hivernale en créant une ambiance chaleureuse et accueillante. Les Norvégiens parlent de koselig.

Une hospitalité que j’ai retrouvée chez Wioleta et Christian, les habitants qui m’ont hébergée. Le lendemain de mon arrivée, ils m’ont offert des parts du « meilleur gâteau du monde » (kvaefjordkake en norvégien), une pâtisserie locale qui mérite bien son nom. Je l’ai savourée après une longue randonnée durant laquelle j’ai revu des gens qui étaient avec moi dans le train de nuit. J’ai trouvé ça drôle. Il y avait cette fille qui semblait savourer sa solitude, cet anglais quelque peu réactionnaire, et ce couple de jeunes hommes. J’ai croisé le regard de chacun.e. Nous nous sommes souris. D’un air : « Je sais que tu sais, tu sais que je sais ». Il y a des relations qui sont ainsi je crois. On a partagé un joli moment, quelque chose que l’on n’oubliera jamais, qui nous a changé de l’intérieur, mais on n’a pas plus à se dire qu’un sourire. Et c’est déjà beaucoup.

Quelques heures plus tard, je verrai des aurores boréales. D’abord depuis ma fenêtre, puis en courant dans la rue jusqu’au bord de l’eau. « Les plus belles depuis trois semaines » me dira par la suite Wioleta qui avait pris soin de m’envoyer un message pour m’informer du spectacle qui m’attendait dehors. Avant de venir toquer à ma porte. Tandis que de mon côté, j’étais déjà sortie. 

Je sais qu’il y a quelques petits choses à faire pour multiplier ses chances de voir des aurores boréales. J’admets ne pas avoir fait grand-chose pour les mériter. Si ce n’est partir à la meilleure période (le mois de février). Et au bon endroit, évidemment*. Je sais que des applications précisesexistent pour les localiser. Je n’en ai pas utilisées. 

Les aurores boréales (@Coralie Havas)
Les aurores boréales (@Coralie Havas)

S’émerveiller, créer, partager

J’ai trouvé à Narvik ce que je n’étais pas venue chercher : le calme. Mieux, l’apaisement. C’est drôle, mais je mets ce lieu au même rang qu’Ailefroide et La Capelle. Une petite bulle hors du temps qui nous incite à se mettre sur pause. Juste le temps qu’il faut pour en revenir avec de nouvelles envies, de nouveaux rêves. Ainsi qu’une confiance chargée à bloc. 

J’ai réalisé que j’avais besoin d’un triptyque, relativement chronophage, pour vivre pleinement le voyage : m’émerveiller, créer, partager. 

M’émerveiller, c’est le plus simple. il suffit de mettre le nez dehors, se laisser porter. Par les rencontres, mais surtout par la bonne fée curiosité.

Créer, c’est ce qui me donne le plus de fil à retordre. mais c’est le plus gratifiant. Parce qu’il me donne l’impression d’inscrire « émerveillement » dans le temps. Créer, c’est tenter de mettre en ordre ce joyeux chaos de photos, de réflexions et de mots, en fin de journée. Avec un même fil directeur : qu’est-ce qui m’a bouleversée aujourd’hui ? 

Et comme j’ai de plus en plus conscience que garder tout cela pour moi serait profondément égoïste, je partage. par messages aux gens proches, sur les réseaux sociaux aussi. Je suis toujours ambigüe vis-à-vis de l’utilisation de ces derniers. Je les haïs autant qu’ils me fascinent. Car quoique l’on en dise, ils permettent de créer du lien. Alors je me suis fixée une simple règle : « Être moi-même, sans chercher à plaire, qui m’aime me suive »

J’en suis fière de ce triptyque. Parce que grâce à lui, j’ai l’impression de savoir un peu plus qui je suis. En écrivant ces mots, je me dis que je suis devenue un cliché ambulant. Et je crois que ça me va. Parce que je sais au fond de moi que je ne triche pas. Partir avec un sac à dos, un appareil photo et un carnet sur les routes, voilà ce à quoi j’ai toujours aspiré. Une décennie d’introspection, d’innombrables ouvrages de littérature de voyage avalés et une tentative de « rentrer dans le rang » plus tard, j’y suis arrivée. 

Bien-sûr que j’ai été triste de quitter Narvik. Mais au fond de moi, je savais qu’un ailleurs m’attendait. Pas forcément meilleur. Mais différent. 

Entre Stockholm et Narvik (@Coralie Havas)
Entre Stockholm et Narvik (@Coralie Havas)

Vers l’ailleurs

J’étais réveillée pile au moment du lever de soleil, entre Narvik et Stockholm. Et magie de l’instant : passait à ce moment-là dans mes oreilles Castro Vientos, la musique utilisée pour le petit film de notre bivouac dans le Vercors avec Eléonore. Ça m’a plongée dans un incroyable moment. Qui m’a rappelée à quel point ma place est ici. Mais surtout là-bas. Vers l’ailleurs. Vers ce qu’il me reste à découvrir. J’ai pris une photo peut-être parce que j’ai eu peur de l’oublier cet instant. 

« Je sais bien que c’est la dernière fois que j’écris du voyage » écrirai-je deux jours plus tard. « Parce que notre train vient de passer la frontière. et je crois qu’une partie de mon esprit est déjà repartie dans la ‘vie normale’. Ma vie normale, elle me va bien, parce que c’est celle de Briançon. Celle sans CDI. D’autant que j’y plonge avec une agréable impression : celle de me connaître davantage. Bien plus qu’à mon départ. Elle avait raison Diana, on ne revient jamais pareil ».


*D’autres régions du cercle arctique offrent une expérience tout aussi incroyable que Narvik (Tromsø ou les Îles Lofoten en Norvège ou encore Rovaniemi en Finlande).

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