C’est une page importante de l’histoire de l’escalade féminine qui s’est écrite à Tsaranoro ces derniers jours. Vingt-six ans après son ouverture par Lynn Hill, leader d’une cordée exclusivement féminine, Bravo les filles a enfin été libérée dans son intégralité par deux grimpeuses. Fin juin, Sasha DiGiulian et Marianna Ordóñez ont réussi la première ascension libre féminine de cette grande voie emblématique du granite malgache (600 mètres d’escalade répartis en 13 longueurs, dont un crux en 8b). Un accomplissement technique, symbolique et inspirant.
Bravo les filles. Comme son nom le suggère, cette voie, située à Tsaranoro, l’un des spots d’escalade les plus célèbres de l’hémisphère Sud, c’est avant tout une histoire de femmes.
Tout commence en 1999, année où Lynn Hill, légende de l’escalade, et ses compères – Beth Rodden, Nancy Faegan et Kath Pike – posent leurs chaussons sur le granit des falaises malgaches, qui offrent une inhabituelle richesse gestuelle tout en exigeant technique, détermination et un indispensable soupçon d’engagement. La particularité de leur expédition ? Être uniquement composée de grimpeuses – accompagnées de Greg Epperson, photographe, Kevin Thaw, monteur et d’un duo de caméramans, Michael Brow et Rob Raker.
« [Nous] sommes arrivées à notre camp de base, situé à une heure de marche du massif du Tsaranoro, le 23 juin. De là, nous avons remarqué une paroi particulièrement belle avec un sommet séparé à droite de la formation principale. Nous avons donc décidé de le gravir » raconte Lynn Hill à l’American Alpine Club. « Le 24 juin, nous avons commencé la première longueur de la voie. Comme nous étions quatre grimpeuses, nous nous sommes divisées en deux cordées de deux. Kath et moi d’un côté ; Nancy et Beth de l’autre. »
Une ascension technique et engagée
« La partie inférieure de la paroi était peu déversante, mais une fois les premières longueurs passées, la falaise est progressivement plus raide – et l’escalade plus difficile. Comme il y avait très peu de fissures dans lesquelles placer des protections naturelles, nous avons placé des plaquettes » détaille la grimpeuse américaine.
Les premières centaines de mètres, ne dépassant pas le 6b, ne présentent aucune difficulté majeure pour les grimpeuses. Les choses commencent à se corser à partir des 6e et 7e longueurs – respectivement cotées 6c+ et 7b+. « Lorsque nous avons atteint la 8e longueur, Beth a dû partir pour une compétition aux États-Unis. Kath, Nancy et moi avons donc continué à équiper les cinq dernières longueurs jusqu’au sommet » poursuit Lynn Hill. « Notre objectif était de grimper l’ensemble de la voie depuis le sol tout en plaçant toutes les plaquettes de protection en tête. »
Les grimpeuses finiront par équiper la voie un jour seulement avant leur départ. Ce qui leur a laissé peu de temps pour la libérer. « Jusque-là, j’avais escaladé en libre toutes les longueurs de la voie, à l’exception de la longueur 8 [cotée 8b, ndlr]. » raconte la grimpeuse américaine. « Le dernier jour, Nancy et moi sommes descendues en rappel jusqu’à la longueur 8 et j’ai commencé à travailler sur une séquence de mouvements compliquée. […] Après avoir essayé toutes les solutions possibles et imaginables pour passer cette section de rocher vierge pendant plus de deux heures, j’ai finalement trouvé un moyen de grimper en libre après le crux. Après avoir travaillé chaque mouvement de la longueur, j’ai essayé d’enchaîner la séquence complète à deux reprises, mais à chaque fois, j’ai manqué de force sur les derniers mouvements avant la fin. Après avoir passé près de 15 jours à grimper, hisser, jumper, descendre en rappel et forer plus de 50 plaquettes, mon corps était épuisé. Néanmoins, pendant les dernières heures du jour, Nancy et moi avons continué l’escalade libre des cinq dernières longueurs de la voie (7b, 6c, 6a+, 6b, 5c). À la fin de la journée, Nancy, Kath, Rob [l’un des caméramans, ndlr] et moi avons grimpé en solitaire la dernière centaine de mètres menant sommet de la formation Tsaranoro. Tout en regardant le soleil se coucher sur les vastes hautes terres désertiques des Andringitra, nous avons tous ressenti un grand sentiment de paix et de satisfaction d’avoir gravi une voie aussi superbe. »
Bravo les filles, à l’époque la grande voie la plus difficile jamais gravie par une équipe féminine, venait de naître.
Une voie libérée pour la première fois en 2004
Et si la cordée portée par Lynn Hill avait réussi à libérer toutes les longueurs, à l’exception de la 8e, il faudra attendre 2004 pour assister à la première ascension en libre, oeuvre des frères espagnols, Eneko et Iker Pou.
Depuis, quelques répétitions en libre ont eu lieu, notamment celle du Tchèque Ondra Benés et de l’Autrichien Harald Berger. Sans toutefois qu’aucune cordée féminine ne parvienne à se hisser en libre au sommet de Bravo les filles.
Bravo les filles, enfin libérée par une cordée féminine
Juin 2025. Une nouvelle cordée se présente au pied de l’imposante paroi où se dessine la ligne de Bravo les filles : Marianna Ordóñez et Sasha DiGiulian, qui s’était familiarisée avec le granite de Tsaranoro en 2017, dans le cadre de son ascension de Mora Mora (700 m, 8c) aux côtés d’Edu Marin.
Les deux grimpeuses se sont, dès leur arrivée à Madagascar, mises à travailler les 13 longueurs de Bravo les filles. Une fois la voie déchiffrée, les méthodes calées (notamment dans le 8b) et les sections engagées apprivoisées, elles se sont lancées dans leur tentative d’ascension en libre de la ligne.
« Le premier jour, nous avons grimpé les premières longueurs en réversible [chaque membre de la cordée devient successivement le leader, ndlr] » raconte Sasha DiGiulian sur Instagram. « Est ensuite arrivée la longueur crux [le 8b, ndlr] ; je l’ai enchaînée dès mon premier essai – une vraie chance ! J’ai ensuite libéré la longueur suivante, puis nous sommes descendues à notre portaledge afin d’y passer la nuit avant de nous attaquer, dès le lendemain, aux 200 derniers mètres de la voie. »
Le deuxième jour, la grimpeuse américaine a pris la tête jusqu’au sommet, enchaînant les longueurs « épuisantes, envahies par la végétation » souligne-t-elle.
« Nous sommes ensuite descendues en rappel en toute sécurité jusqu’à notre portaledge où nous avons passé notre dernière nuit avant de lever le camp et de retourner au pied de la paroi » poursuit Sasha DiGiulian. « Nous sommes ravies, fières et reconnaissantes d’avoir vécu une expérience aussi mémorable sur une ligne légendaire ».
Un an et demi après leur succès au Mexique, dans la voie El Sendero Luminoso, un bigwall de 760 mètres situé à El Potrero Chico, la cordée DiGiulian-Ordóñez a ainsi signé une belle première féminine, Bravo les filles, filmée et photographiée par Jan Novak et William Hamilton, dont il nous tarde de découvrir les images.