Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi.
J’ai su que je devais écrire sur Caro en assistant à la conférence, intitulée « Un itinéraire, trois aventurières » qu’elle a donné avec Manon (je vous ai parlé d’elle la semaine dernière) et Éléonore (rendez-vous fin août pour découvrir son portrait).
Je crois que ce qui m’a tout de suite plu chez elle, c’est sa spontanéité. « À partir du moment où je me suis dit que je voulais faire la Via Alpina [un itinéraire qui traverse les Alpes, de la Slovénie à la France, sur plus de 2000 kilomètres, ndlr], j’ai décidé de ne pas attendre, de foncer et d’y aller » se souvient-elle. Une forme d’insouciance que l’on a souvent pu me reprocher, la confondant avec de l’inconscience. « T’es sûre d’être prête ? » me demande-t-on souvent. Non, je ne suis pas sûre. Mais le cœur me dit d’y aller, maintenant. Alors pourquoi devrais-je refuser de l’écouter ?
Caro, je me suis tout de suite dit qu’elle était du genre à suivre son coeur. Et surtout à parler avec ses tripes. Moi, ça me plaît.
J’ai finalement échangé avec elle deux jours avant son départ pour son premier long trip à vélo, de l’Italie à la Croatie. « Je suis un peu à l’arrache », m’a confié Caro. « J’essaie de savoir si je peux transporter mon vélo dans un Flixbus – ce n’est pas du tout clair. Niveau matos, je suis aussi clairement à l’arrache. Mais bon, ça va. Je me dis que ça va très bien se passer. Je sais être très organisée, mais là, le fait d’être déjà partie sur la Via Alpina me fait relativiser les choses. »
J’ai très vite compris qu’avec Caro, on aurait pu parler vélo très longtemps. Mais comme j’avais cet article à écrire, on s’est concentrées sur la Via Alpina. Il y avait déjà beaucoup de choses à dire.
Une volonté plus forte que tout
« Je me suis posée pas mal de questions avant de partir » se souvient Caro. « Éléonore m’a pas mal aidée à y répondre – elle a joué un rôle clé pour Manon et moi. Sa rencontre nous a vraiment incitées à nous lancer. Je me souviens lui avoir demandé : ‘Est-ce que tu n’avais pas peur seule ?’ J’essayais de savoir si ce que je ressentais était normal et comment elle avait géré ce genre de peurs».
« Je crois que c’est pour ça que j’ai voulu faire cette conférence » poursuit-elle. « Car c’était un moyen pour moi d’essayer de faire passer un message, en disant : ‘Mais allez-y. Vous pouvez y aller. C’est normal d’avoir peur, c’est normal de se poser plein de questions’ ».
Les questions venaient aussi de son entourage. « Quand j’ai fait la demande de congé sabbatique à mon boss, il m’a dit : ‘Toute seule ? Quatre mois ? Oui, tu peux y aller.’ Je suis sortie de cette discussion en me demandant ce que je faisais. J’ai douté. Mais à aucun moment ça a remis en question ma capacité à le faire, ma volonté à le faire » raconte-t-elle.
Mais le plus important pour Caro, c’était la réaction de ses parents, surtout de son père, dont elle dit être assez proche… et qui s’est avéré être très enthousiaste vis-à-vis de son projet ! « Il s’est même mis à m’aider dans la recherche d’un matériel le plus léger possible, afin d’alléger le poids de mon sac », se souvient-elle. « C’était clairement une force, et je sais très bien que tout le monde n’a pas cette chance-là. Je crois qu’au fond, mes proches n’étaient pas surpris par ce genre de projet. Même côté boulot [Caro travaille dans le domaine du conseil en développement durable, ndlr], certaines personnes comprenaient moins le projet. Mais personne ne m’a dissuadée. […] Mais ça peut dissuader à la longue, à force d’entendre : ‘mais t’as pas peur de ça ?’. Même si c’est dit avec beaucoup de bienveillance. Personnellement, ces remarques ont consolidé ma volonté de partir. La Via Alpina était une évidence. Je savais que j’allais la faire d’une manière ou d’autre. C’était un sentiment tellement fort qu’il m’a presque paru facile de partir – et c’est peut-être pour ça aussi que les choses sont allées aussi vite. »

Une confiance à toute épreuve
Sa motivation principale, Caro la tire d’une intuition : celle qui la poussait à aller chercher « quelque chose ». Une envie de liberté, un goût de l’aventure à assouvir davantage, m’a-t-elle expliqué.
« D’un point de vue perso, les planètes se sont alignées. À la base, je rêvais plutôt de partir à vélo » détaille Caro. « Mais finalement partir à pied m’a semblé un peu plus facile, notamment en étant une femme seule. Ça m’a aussi semblé un peu plus accessible, avec peut-être moins la question de la barrière du matériel. »
Un trek de deux semaines en montagne lui a donné envie de s’élancer sur la Via Alpina. « À la base, j’avais prévu de partir deux semaines solo. Mais un peu avant le départ, j’avais proposé à mon copain de l’époque de venir. Parce que je m’étais dit : ‘mais en fait je ne le sens pas du tout de faire ça seule’ » confie Caro. « Et finalement, je me suis sentie super bien, dans mon élément. Car même si je ne connaissais pas bien la montagne, le fait d’avoir été scout, et donc de savoir camper, ça m’a donné l’impression que ce genre d’aventure est un peu en moi. Je me suis dit : ‘Finalement, ce n’est pas très compliqué, on marche, on campe, et c’est trop cool’ ». Une itinérance qui lui a donné une sacrée confiance : « Je savais quoi faire, et je n’avais besoin de personne pour y arriver », résume-t-elle.
« Ce n’est peut-être pas très humble, mais je n’ai jamais douté sur ma capacité à arriver au bout » m’a confié Caro. « Disons que l’aspect physique a été nettement moins problématique que l’aspect mental. Tu vois, quand je dis aux gens que j’ai fait la Via Alpina, on me demande souvent le nombre de kilomètres… Mais moi, j’en ai rien à faire du nombre de kilomètres que j’ai fait. Le plus difficile, c’est plus le chemin que tu parcours, les incertitudes, la météo, les petites blessures, etc. »
Le poids de la solitude
Une phrase, prononcée par Caro, a retenu mon attention lors de la conférence : « Je suis revenue, mais pas tout à fait pareille ». Et quand je lui ai demandé ce que la Via Alpina avait changé chez elle, sa réponse ne se fit pas attendre : « mon rapport à la solitude ».
Être seule. Voilà ce qui lui faisait le plus peur avant son départ. « Éléonore m’avait dit : ‘Non mais t’inquiète, tu peux rencontrer du monde, si tu fais des efforts, tu peux trouver du monde à qui parler’. Ça s’est confirmé dès le premier jour » raconte Caro. « Je me suis retrouvée à papoter pendant deux heures, avec un Slovène, dans un refuge, parce qu’il pleuvait. J’en suis repartie avec le méga smile. J’ai tout de suite su qu’il fallait que je vive mon aventure ainsi, en allant à la rencontre des autres ». Par la suite, elle m’a expliqué que l’expérience lui avait fait comprendre que si être seule pouvait être difficile au début, c’est quelque chose que l’on pouvait parvenir à gérer. « Ce que je ne pensais pas savoir faire », souligne-t-elle.
Au début de son aventure, Caro partageait de nombreuses vidéos sur Instagram. Un moyen pour elle de maintenir un lien avec ses ami.e.s proches. « Je pense que j’avais besoin de garder contact » confie-t-elle. « Et puis, c’était le début de l’aventure, j’étais assez excitée, donc je pense que j’avais plein de trucs à partager. Mais à un moment, j’ai arrêté de le faire. J’ai juste réalisé que je n’en ressentais plus le besoin. Disons que j’ai trouvé un équilibre interne ».
Elle m’a raconté avoir beaucoup écrit, pour « garder des souvenirs, des réflexions » mais aussi « tous les doutes qui sont arrivés ». « À vrai dire, j’ai même commencé à écrire avant de partir » explique Caro. « À propos des premières remarques que j’ai eues, des questionnements aussi, les miens et ceux des autres, du pourquoi je voulais partir… Ensuite, j’ai essayé d’écrire chaque jour, pour un peu avoir une trace. Et ça, franchement, ça a beaucoup de valeur. C’est trop ouf d’avoir des écrits de ce qu’on a vécu, parce qu’en fait on oublie vite, même nos peurs. Garder une trace de tout ça m’a permis de pouvoir mieux partager mon aventure – j’ai pu dresser l’historique de mes questionnements, de mes peurs aussi. À quels moments sont-elles arrivées ? À partir de quand ai-je été rassurée ? ».
« Quand je marchais, je me disais : ‘C’est ouf, la solitude, c’est fort, ça fait du bien’ », se souvient Caro. Un sentiment qu’elle m’a affirmé n’avoir jamais éprouvé avant.
Si bien qu’à l’issue de sa randonnée, elle s’est dit : « Il faut que tu te donnes ces moments de solitude pour toi, parce qu’en fait, c’est hyper bénéfique ». « Mais en réalité, quand je suis arrivée, j’ai tout de suite repris la course aux mille trucs » détaille-t-elle. « Car après tout, c’est aussi mon caractère de faire plein de choses. Mais je garde quand même en tête à quel point c’est bien d’être seule. Je crois même que c’est devenu un besoin. Il y a même des moments où je me dis : ‘Il faut que je me fasse un week-end solo’. Ça, avant, je ne suis pas sûre que ça me serait arrivé. »

Oser
« Je crois qu’il ne faut pas se mettre de freins », conclut Caro. « Quand je voulais partir à vélo, les freins, je m’en mettais beaucoup. J’en avais discuté avec mon père. Je lui ai dit qu’il faudrait que j’apprenne à gérer la mécanique avant et tout. Il m’avait dit : ‘Si tu attends d’être prête pour partir, tu ne le feras jamais’. Je raconte souvent ma méconnaissance de la montagne avant de me lancer sur la Via Alpina. J’ai tout appris sur le terrain. Moi, je ne me suis jamais vraiment sentie prête avant de partir. Parce qu’il est vraiment difficile de tout connaître. Je m’étais notée de me renseigner sur les risques de loups, d’ours, etc. Et je ne l’ai pas fait. Ce genre de choses, c’est en parlant aux locaux, sur place, que tu te rends compte du risque. Avec du recul, je pense que je ne me serais jamais vraiment sentie prête. Donc, il faut accepter cela. Se dire que l’on va prendre de l’expérience en chemin. »
Les recommandations de Caro
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« C’est un classique. Dès le début, j’ai trouvé très fort. Il est à mettre entre toutes les mains ! »
Michel Dessagne, « Tirer un trail sur le passé: 4260 km à pied du Mexique au Canada sur le Pacific Crest Trail »
« Un gars parti sur la PCT qui raconte son histoire et en parallèle le quotidien d’un marcheur ‘longue distance’. Ça avait fait beaucoup écho chez moi quand je l’avais lu à mon retour de la Via Alpina »
