Elles ont traversé les Alpes à pied : « Si l’on fait ça, c’est avant tout pour fuir le réel » (Léa, GR5)

Elles ont traversé les Alpes à pied : « Si l’on fait ça, c’est avant tout pour fuir le réel » (Léa, GR5)

Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi. 

Léa, ce sont, comme bien des rencontres, les hasards de la vie qui l’ont mise sur mon chemin. On s’est croisées à la librairie de Briançon, à l’occasion d’une rencontre avec Stéphanie Bodet. C’est elle qui est venue me voir, avec une question : « T’es pas à Grimpeuses ? ». 

Grimpeuses, c’est un événement visant à promouvoir l’escalade au féminin que je co-organisais. Et une fois n’est pas coutume, j’oublie les visages de la plupart des participantes, ce qui a le don de m’agacer. Léa, elle suit mes aventures sur les réseaux sociaux depuis l’événement Grimpeuses. Elle connaissait donc les grandes lignes de ma vie – c’est ce que j’ai compris au cours de notre discussion. Mais moi, je ne connaissais pas grand-chose à la sienne. Si ce n’est qu’elle habite à Briançon, qu’elle grimpe et qu’elle lit Stéphanie Bodet. Une bonne base qui m’a motivée à aller jeter un coup d’œil à ce qu’elle partageait sur les réseaux sociaux. 

C’est alors que je me suis dit qu’il n’avait pas que des défauts, notre monde virtuel. Je suis tombée sur son compte de dessins, où elle partage notamment quelques planches de bandes dessinées qu’elle confectionne avec beaucoup de passion (et de talent). Étant du genre fascinée par celles et ceux sachant manier le crayon, j’ai écumé son compte, je le confesse. Bien mal m’en a pris, puisque j’ai trouvé des pépites : une partie de son récit sur le GR5, un itinéraire qui traverse les Alpes françaises, du Lac Léman à la Méditerranée. Une jolie balade d’environ 600 kilomètres qu’elle a effectuée durant l’été 2022. 

Léa sur le GR5 (@Léa)

« Léa fait donc de la randonnée itinérante, encore un point commun », je me suis dit. Alors j’ai cliqué sur le bouton « suivre », avant de lui envoyer un message : « Je suis très fan de ton compte de dessins. Notamment de tes petits carnets de voyage. Tu pourrais me les envoyer en plus grand ? ». 

Deux semaines plus tard, Léa postait quelques photos d’elle en Ardèche, en itinérance à vélo cette fois-ci. Un point commun de plus. « Il faudra que l’on se capte sur Briançon parce que moi aussi, le vélo, j’aime bien ça ». Voilà ce que je lui ai écrit. 

Escalades dans les Écrins

On s’est retrouvées, comme de bonnes grimpeuses qui se respectent, à la salle d’escalade. Notre conversation, contrairement à celle avec Manon et Caro, je ne l’ai pas enregistrée. Déjà parce que je n’avais pas encore imaginé cette série de portraits, mais aussi parce qu’elle a bien duré quatre heures ! 

Avec Léa, on n’a pas tout de suite parlé dessin. On a d’abord parlé grimpe, alpinisme plus précisément, de sa course du lendemain, « Le Doigt de Dieu ». Un sommet non loin de la grande Meije qui allait clôturer son initiation à l’alpinisme. Je l’ai grandement questionnée sur ce projet, parce que l’alpinisme, ça fait bien longtemps que ça me met des étoiles dans les yeux. Elle m’a dit qu’elle était partie de zéro, et que là, elle se sentait autonome. 

Léa, quand je l’ai vu grimper, j’ai su qu’elle ne partait pas vraiment de zéro. Et j’étais bien contente d’avoir trouvé une copine de grimpe avec laquelle me challenger. 

Garder les souvenirs

Léa, elle m’a ensuite parlé de son boulot, psychologue à l’hôpital de Briançon, de son besoin de vacances (parce qu’aller en montagne le week-end, ça ne repose pas tant que ça) mais aussi de sa prochaine itinérance à vélo, en Suède. 

Puis on s’est attablées. Elle m’a donné quelques feuilles, en me disant : « Tiens, je t’ai imprimé ça ». C’est le récit de son aventure à vélo en Ardèche – j’aurais bien aimé qu’elle dure des pages et des pages. Puis elle m’a montré son journal rédigé sur le GR5. Ça m’a rappelé à quel point il était important de garder ce genre de souvenirs. Les lieux traversés, les personnes rencontrées, les émotions éprouvées. Voici quelques extraits de son aventure. 

Au moment où je finis d’écrire cet article, cela fait plusieurs semaines que j’ai rencontré Léa. Plusieurs semaines qu’une des phrases qu’elle m’a dite tourne en boucle dans ma tête : « Si l’on fait ça, c’est pour fuir le réel, tu ne trouves pas ? ». 

Je suis tout à fait d’accord avec elle. Même si je trouve ça extrêmement paradoxal, parce qu’en randonnée itinérante, on est, je le sais d’expérience, plus que jamais plongé.e.s dans le réel. Je crois tout de même que c’est une fuite, celle du monde que l’on nous impose. 

Les recommandations lecture de Léa 

Sarah Marquis, « Sauvage par nature »

« Durant les trois premiers mois, le corps et l’esprit se nettoient. Passé ce cap, le corps ne fait plus mal, l’esprit est libéré. La marche : une pratique ancestrale reconnue chez les moines comme une forme de méditation que Sarah Marquis a fait sienne. Dans ce témoignage extraordinaire, elle nous raconte son voyage à pied de 2010 à 2013 (mai), avec pour seul bagage un sac à dos de 30 kilos. Des paysages somptueux du lac Baïkal à la jungle luxuriante du Laos ; une faune splendide avec les loups de Sibérie, les léopards des neiges du désert de Gobi ; des échanges étonnants avec les hommes, comme la fois où elle fut menacée par des narcotrafiquants après avoir foulé un champ d’opium… »

Stéphanie Bodet, « À la verticale de soi »

« C’est l’histoire d’une enfant asthmatique qui serre très fort un caillou dans sa main pendant le supplice du cours de gym. D’une petite fille sensible qui aime se perdre hors des sentiers. Qui d’aussi loin qu’elle se souvienne, a choisi de regarder sa vie de haut, à la verticale de soi. Surtout depuis cette fêlure, celle d’une petite sœur disparue trop tôt et qui lui a donné ses ailes : « Vivre. Vivre intensément », écrit-elle. Perdue pour le sport, Stéphanie Bodet s’est pourtant donnée à l’escalade. Elle raconte l’entraînement intensif, les podiums en compétition, puis les années de vagabondages verticaux sur des parois égarées dans des jungles, les bivouacs glacials sous les étoiles. Et cet amour fertile qui l’unit à Arnaud Petit »

Denis Infante, « Rousse »

« Sur une terre que l’homme semble avoir désertée, où l’eau est devenue rarissime, tous les vivants – mobiles autant qu’immobiles – souffrent de la soif. Les végétaux dépérissent. Les animaux aquatiques aussi, pris au piège de l’évaporation de leurs demeures. Au retour de leurs longs périples, les oiseaux migrateurs n’apportent pas de bonnes nouvelles : partout la sécheresse sévit. ‘Quelques-uns pourtant avaient osé, s’étaient décidés pour une des quatre directions, par choix ou guidés par pur hasard, et s’étaient mis en marche, droit devant. Rousse était de ceux-là’ »