Le speed climbing, ou escalade de vitesse, est une discipline qui trouve toute sa place aux États-Unis, mais qui reste encore marginale en Europe. Loin de se résumer à une simple quête de performance, il s’agit d’un véritable moment de partage. C’est ce que Laura Pineau et Kate Kelleghan ont vécu en battant récemment le record féminin de la voie mythique Naked Edge, dans le Colorado, en 37 minutes et 8 secondes. Un record qui est avant tout le fruit d’une complicité profonde entre les deux grimpeuses, ainsi que d’une communion avec une communauté unie par cette pratique. Un esprit qui les accompagnera sans aucun doute cet été, dans le Yosemite, lors de leur prochain projet qu’elles gardent encore secret. Mais dont on imagine déjà l’envergure.
Imaginez-vous sprinter jusqu’au pied d’une falaise, grimper cinq longueurs le plus vite possible, avec certains passages où la chute n’est tout simplement pas permise… Puis arriver au sommet, lover la corde en un temps record, et redescendre jusqu’au point de départ — toujours en sprintant. Épuisant, non ? C’est ça, le speed climbing, autrement dit l’escalade de vitesse à l’américaine. Une Française, Laura Pineau, étoile montante de l’escalade traditionnelle, s’est frottée à cette pratique. Avec brio. Aux côtés de l’Américaine Kate Kelleghan, elle signe un nouveau record féminin — et pas des moindres : le duo a avalé les cinq longueurs de Naked Edge, une voie mythique au cœur du Colorado, en 37 minutes et 8 secondes. Mais au-delà du chrono, c’est une aventure de grimpe, de confiance et d’amitié que nous raconte Laura Pineau.
Le speed climbing, ça parle assez peu en Europe…
Je suis totalement d’accord. C’est vrai que si je n’étais jamais allée dans le Yosemite, je n’aurais jamais découvert le speed climbing. Je pense que c’est quelque chose de très propre à cet endroit, lié à son histoire, et à cette idée de grimper les big walls le plus vite possible, en une journée.
The Nose a par exemple été d’abord gravi en plusieurs jours. Quelques années plus tard, une équipe de trois a mis seulement vingt-trois heures. Puis le record est passé à quinze heures, à dix heures, etc. Il y a vraiment toute une communauté de grimpeurs qui a créé une émulation autour de ces records de vitesse. L’idée, c’est toujours d’aller plus vite, d’être plus efficace. Peut-être que ça vient aussi du fait que les Américains ont une culture très tournée vers la compétition… Encore que. Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment le cœur de la motivation des pratiquants du speed climbing. Je pense qu’il y a surtout une vraie communauté de passionnés de ces voies-là. C’est pour ça qu’ils y retournent encore et encore. Et quitte à les faire plusieurs fois, autant essayer d’être le plus efficace possible — et d’aller le plus vite possible.
Aller vite, ça demande énormément de confiance et de synchronisation avec ton partenaire de cordée. C’est hyper intéressant, et vraiment grisant, de grimper avec quelqu’un avec qui tu n’as même plus besoin de parler. Avec Kate, à la fin, lors de notre neuvième essai, quand on a battu le record, je savais exactement à quel moment elle allait poser les coinceurs, lesquels elle allait utiliser, quand les micro-tractions allaient être placées, etc.
Ça va finalement bien au-delà de la performance, non ?
Oui, tout à fait. Kate n’arrêtait pas de me parler de Naked Edge. Je pense qu’elle avait vraiment vécu un truc fort avec Becca quand elles ont battu le record [en grimpant la voie en 37 minutes et 40secondes, ndlr]. Elle me disait que c’était l’objectif parfait pour nous, pour nous entraîner en vue de nos projets de l’été. Car l’idée, à la base, ce n’était pas de battre le record, mais simplement de s’entraîner. Et petit à petit, à force de s’entraîner, notre temps a commencé à diminuer… Et quand on est passées sous l’heure, Kate a su qu’on allait finir par battre le record.
Quoi qu’il en soit, c’était un super entraînement. Parce que dans Naked Edge, il y a des passages en free solo où tu n’as juste pas le droit de tomber. D’autres moments où il n’y a plus que deux coinceurs entre nous deux, et là non plus, tu ne peux pas tomber. Et ça va être pareil cet été dans le Yosemite. Cette voie, c’était comme une petite étape symbolique avant le gros objectif. Car ça fait tellement longtemps qu’on s’entraîne pour cet été… Depuis Greenspit, pour moi. Donc depuis novembre, je pense à cet objectif tout le temps. Alors réussir ce petit truc entre deux, c’est cool. Ça nous donne un peu de confiance pour la suite.


Comment s’est déroulée la journée où vous avez établi le record ?
Le jour où on a battu le record, on a commencé par grimper 200 mètres dans la voie en guise d’échauffement. Ensuite, on a lancé notre premier vrai essai — effort max, 200 mètres. On a raté le record… de 10 secondes. On était hyper frustrées. Lorsque l’on est rentrées chez Kate, on avait en tête d’aller grimper sur une autre falaise l’après-midi pour continuer à s’entraîner. Puis on a regardé la météo : de la pluie était annoncée. Là, on a eu un déclic, on s’est motivées à retourner dans Naked Edge.
À 15h30, on est reparties dans le canyon. On a grimpé sur Wind Tower, deux-trois longueurs tranquilles, du 5a, juste pour se remettre dans le rythme. Cette fois-ci, j’avais décidé de courir directement en chaussons d’escalade, avec mes TC Pro. Parce que lors de l’essai précédent, les enlever puis les remettre m’avait fait perdre facilement 30 secondes.
Après cet échauffement, d’autres amis nous ont rejoints. On avait aussi invité Lynn Hill plus tôt dans la journée… et elle est venue. C’était incroyable. Juste sa présence, c’était une source de motivation en plus. Deux ou trois fois pendant la voie, je me suis dit : « T’as Lynn Hill en bas, tu peux pas lâcher, donne tout. » Parce qu’à ce moment-là, quand tu recommences à sprinter, tu sens bien que tes jambes ne sont plus aussi fraîches qu’en début de journée.
Mais quand on est arrivées au pied de la paroi, on avait 30 secondes d’avance. Alors on s’est dit : on peut le faire. Kate est partie à fond. Quand je suis arrivée en haut, j’ai vite enlevé le Grigri, j’ai dépassé Kate pendant qu’elle lovait la corde pour la garder bien sur elle en descendant. Et comme j’avais gardé mes chaussons, j’étais un peu en avance.
J’ai commencé à sprinter. Le principe, c’est que la première ne doit pas se faire rattraper par la deuxième, et que la deuxième essaie de rattraper la première. C’est un vrai jeu entre nous. Une espèce de compète qui nous pousse à aller plus vite, chacune pour motiver l’autre. J’arrive la première, je touche la plaque. Et là, Kate arrive en sprintant comme jamais. Son copain avait crié « one minute ». Elle a arrêté de réfléchir. Elle a juste couru. Elle a fait le sprint de sa vie. Et quand on a compris qu’on avait réussi, c’était une joie immense. Parce que quand tu donnes tout ce que t’as, que t’es au bout de toi-même… t’as un rush d’adrénaline complètement dingue.
Je me souviens quand on avait échangé après Greenspit en octobre. C’est beau de voir que ton énergie et ta passion payent.
C’est vrai que de beaux projets arrivent pour cet été. J’ai hâte. Ça fait des mois que je pense à ce qu’on va faire avec Kate dans le Yosemite. Mais j’ai aussi compris que je ne pourrais pas faire ce job à temps plein. Quoi qu’il arrive. Pour l’instant, je n’ai pas d’autre travail à côté, mais je trouve qu’avoir un job à distance, à mi-temps, en parallèle de l’escalade, ça crée un vrai équilibre. Tu bosses sur autre chose, dans une autre équipe, tu es stimulée autrement. Ce que je voudrais, c’est un job à temps partiel, à distance, pour pouvoir continuer à voyager où je veux.
Et à côté de ça, avoir un sponsor comme La Sportiva, c’est vraiment précieux. Ils ne me mettent aucune pression. Ils ne me demandent pas de leur envoyer 40 photos par an ou 2 réels par mois. Leur modèle, c’est : on croit en toi, en tant qu’athlète.Leur idée, c’est « va grimper ce que tu veux. Ne prends jamais de risques pour nous. On ne te demandera jamais de faire un truc que tu ne veux pas faire ». J’ai trouvé ça génial qu’ils me disent ça. Ils veulent juste être là, derrière moi, pour m’aider à réaliser mes rêves. Ils croient en moi, pas seulement comme grimpeuse, mais aussi comme personne. Et ça, je l’ai senti très fort, dès les premiers échanges que j’ai eu avec eux. On sent que c’est une entreprise familiale, avec des vraies valeurs.