Étiquette : environnement

  • Une grande famille 

    Une grande famille 

    Grimpeuses, c’est une « safe place ». Une association qui, depuis sept ans, fait la part belle à la sororité. Une respiration, façon « colonie de vacances », où l’escalade devient le prétexte idéal pour se retrouver, refaire le monde, s’épanouir et simplement se faire du bien. J’étais à Paris lors de leur dernier événement. Voici le récit de ce week-end, en toute subjectivité.

    5h00. Le réveil sonne.

    Je tourne la page de mon éphéméride :
    « Vendredi 3 octobre.
    Avec qui aimeriez-vous partir sur un coup de tête ? »

    La question me fait sourire. J’y vois un signe : je suis sur le bon chemin.

    Ça y est, j’y vais, à Grimpeuses.

    Une décision prise hier, sur un coup de tête, lorsque j’ai compris que ma naissante tristesse n’était pas qu’une histoire de SPM : je voulais être de la partie, celle écrite par mes amies à Paris ce week-end.

    @Coralie Havas
    Salomé & Clémence, deux bénévoles Grimpeuses
    @Coralie Havas

    Créer quelque chose ensemble, ce n’est pas rien

    Grimpeuses a été ma « safe place ». Un environnement bienveillant dans lequel je me suis épanouie en tant que personne.

    Ces années de bénévolat m’ont énormément appris. C’est pourquoi je serai toujours profondément reconnaissante envers cette association, que j’ai vue grandir aux côtés de Caroline Ciavaldini, sa fondatrice, pour tout le bagage de confiance qu’elle m’a apporté.

    Mais mon aventure Grimpeuses, c’est avant tout des émotions partagées. Avec les autres bénévoles, bien sûr, mais aussi avec les participantes, les coachs et tous les locaux. Elle est là, l’âme de Grimpeuses.

    C’est ce que je retiens de ces six années d’engagement.

    La page « bénévolat » n’a pas été facile à tourner. Les visios avec les autres membres de l’asso ont cessé de rythmer mes soirées. Il en va de même pour les dizaines de messages WhatsApp quotidiens. Sans parler de cette émulation permanente. Car créer quelque chose ensemble, ce n’est pas rien, croyez-moi.

    Mais « passer à autre chose » était nécessaire. Un choix, le mien, parfois difficile à assumer – surtout à l’approche des événements.

    Ensemble, c’est tout

    6h06. Le train démarre. Je suis heureuse.

    Heureuse à l’idée du week-end qui s’annonce. Le programme est simple : je vais passer du temps avec mes amies. Elles seront nombreuses à se retrouver autour de cette association – qui restera à jamais dans mon cœur. Aucun doute : ma place est à leurs côtés.

    Alors voilà, je suis en route pour Paris avec ma fidèle acolyte, Caro. Huit heures de transport, trois trains, un bus, la France à traverser… et un monde à refaire, ensemble. Une formalité.

    L’avantage du coup de tête, c’est qu’il laisse place à la spontanéité. C’est ainsi que j’ai choisi de vivre Grimpeuses cette fois-ci : en me laissant porter.

    J’avais pourtant le choix entre plusieurs casquettes : journaliste indépendante, fondatrice d’encordées, photographe, participante, bénévole ou amie. En adopter une seule aurait été bien réducteur. Alors j’ai choisi de passer le week-end en mode hybride, électron libre.

    @Sonia Charapoff
    Alice, coache à Grimpeuses, et une participante
    @Sonia Charapoff

    De la sororité

    « Elles sont où, ces femmes, dans la vraie vie ? »

    La question, posée par Victoire – une participante devenue amie -, m’avait fait sourire. Parce que je me l’étais posée, moi aussi, le 15 septembre 2018, à l’issue de la première journée Grimpeuses.

    Elle revient aujourd’hui dans mon esprit, sept ans plus tard, alors que je refais le monde avec une participante au pied d’un bloc. Nombreuses sont mes plus belles amitiés à avoir commencé ainsi.

    Il y a vraiment quelque chose de spécial à Grimpeuses, depuis le début. J’ai longtemps été incapable de mettre des mots dessus.

    Aujourd’hui, je parlerais de sororité : « une relation horizontale, sans hiérarchie ni droit d’aînesse, un rapport de femme à femme », selon l’autrice Chloé Delaume. En résumé, à Grimpeuses, nous avons toutes à apprendre les unes des autres. Ça, on n’en a jamais ouvertement parlé, mais on l’a toutes intériorisé.

    Cette réflexion m’est venue lors de la deuxième journée de l’événement parisien, dans la forêt de Fontainebleau, quand les rayons du soleil traversaient les arbres pour venir éclairer les visages heureux des participantes évoluant sur les blocs de grès.

    Une participante sur les blocs de Fontainebleau
    @Louise Dallons-Thanneur

    L’ambiance m’a ramenée à 2018, lors du premier événement qui s’était déroulé sur les blocs de La Capelle. Une nostalgie heureuse, une conclusion identique : Grimpeuses me fait du bien, me recentre.

    Et je ne suis pas la seule.

    Éline Le Menestrel, coach à Paris cette année, me l’avait dit la veille : « Merci, j’avais besoin de ça. »

    @Coralie Havas
    Eline Le Menestrel en plein coaching à Grimpeuses
    @Coralie Havas

    « Safe place »

    On s’est souvent moqué de mon implication à Grimpeuses, par le passé. « Tu devrais travailler à te construire un avenir plutôt qu’à organiser bénévolement des réunions Tupperware », m’a-t-on répété.

    Une remarque sexiste, visant à rabaisser un événement créé par des femmes et pour des femmes, à quelque chose de trivial, domestique et sans importance.

    Certes, Grimpeuses ne changera pas le monde. Mais il est indéniable que cette association a réussi, le temps d’un week-end, à créer un environnement propice à l’épanouissement de soi, en toute bienveillance, pour une soixantaine de personnes. Et ça fait du bien de savoir que de telles « safe places » existent encore dans un monde de plus en plus divisé.

    Merci Grimpeuses pour ces tranches de vie – et de rires aussi.
    Merci Grimpeuses pour les rencontres avec « tata Sonia », « maman Bao », Victoire, Louise, Alix, Salomé, Sarah…
    Merci, Grimpeuses, de m’avoir aidée à grandir.

    Au revoir.
    À bientôt.

  • « Muga » : la voix d’Ashima Shiraishi, enfant prodige

    « Muga » : la voix d’Ashima Shiraishi, enfant prodige

    Si vous cherchez un film d’escalade où la performance est mise à l’honneur, passez votre chemin. Car dans «  Muga  », le dernier film d’Ashima Shiraishi, enfant prodige désormais âgée de 24 ans, nulle question de cotations. Ici, on ne parle pas d’une grimpe où les chiffres règnent en maître, mais plutôt d’un doux mélange entre spiritualité, art et passion qui nous rappelle à quel point pouvoir s’exprimer pour ces rochers relève du miracle… et nous remet à notre place.

    «  Ces rochers abritent des écosystèmes entiers, logés dans des touffes de mousse accrochées, comme nous, au caillou.
    Nous voyons le rocher comme quelque chose d’inerte, mais il faut se rappeler que lui aussi évolue, qu’il est dynamique, fluide.
    Lorsque nos mains rencontrent le rocher, il faut prêter attention. Écouter.
    Car nous avons entre les mains quelque chose d’ancien et d’extrêmement vivant.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Les rochers dont Ashima Shiraishi nous parle dans « Muga  » (à visionner en fin d’article) sont ceux de Brione, situés dans la vallée du Tessin, en Suisse. Ces blocs, dont la surface a été façonnée pendant des millénaires par les glaciers et les intempéries, sont disséminés au milieu d’une forêt de conifères. Chaque aspérité du rocher, chaque fissure et chaque arête raconte sa propre histoire, si tant est qu’on veuille bien tendre l’oreille pour l’écouter, quitte à entièrement revoir notre rapport à l’escalade… Ce que la grimpeuse nous invite à faire.

    «  Pour moi, l’escalade est un rituel. Un acte créatif.
    Le bloc, une toile vierge.
    Le grimpeur reçoit l’opportunité de converser avec la pierre — pierre inerte, immobile, mais qui s’éveille à travers la chorégraphie de ses mouvements. […]
    Dans l’acte physique, l’esprit trouve le silence.
    Je tends vers l’idéal zen : l’effacement de soi, un pas vers le Muga.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Dans son film, Ashima Shiraishi partage son expérience du « muga  », un état transitoire, libre de tout attachement, de toute attente et de tout désir, dans lequel la grimpeuse semble avoir trouvé un espace pour grimper, mais aussi pour être. Simplement.

    Ce concept zen japonais repose sur l’idée du « rien ». Il nous invite à davantage nous ancrer dans le présent, dans la réalité de ce qui nous entoure. Ainsi, on en apprend davantage sur l’histoire géologique de Brione que sur Ashima Shiraishi, qui cède la place de personnage principal au caillou. Pourtant, il y en aurait des choses à dire sur cette narratrice, l’une des plus grandes grimpeuses de tous les temps.

    «  Mais parfois, le rocher devient un miroir.
    La manière dont on grimpe en dit long sur la façon dont on bouge, réagit et vit dans le monde.
    L’acte physique de saisir le rocher m’apporte une immense joie. Mais paradoxalement, l’esprit doit se détacher, ne rien attendre du résultat.
    Être pleinement présent, c’est se libérer de toute attente, et simplement être dans l’instant singulier.
    Quelle différence y a‑t‑il entre grimper, danser et jouer ?
    Ces mouvements sont motivés par une curiosité profonde, car nous cherchons tous des réponses sur le rocher.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Ce film, certains l’ont vu comme une réponse : celle donnée par une enfant prodige ayant, pendant plusieurs années, disparu des radars, qui écrit aujourd’hui sa propre partition. Car quand on parle d’Ashima Shiraishi, difficile de ne pas convoquer les sacro‑saintes cotations.

    Ashima, c’est l’enfant prodige.

    Après avoir découvert l’escalade à Central Park, elle s’est vite amusée à inscrire son nom dans l’histoire de la discipline, devenant, à 10 ans, la plus jeune grimpeuse à réussir un bloc coté 8B (« Crown of Aragorn  », à Hueco Tanks, au Texas). Trois ans plus tard, elle a signé la première ascension féminine d’un 8C (« Horizon  », au Mont Hiei, au Japon). Parallèlement à d’exceptionnelles performances, la jeune grimpeuse dominait les compétitions internationales chez les jeunes, raflant les titres mondiaux en bloc et en difficulté en 2015 et 2016, avant de s’imposer aux championnats nationaux américains.

    À 16 ans, Ashima figurait déjà sur les radars des plus grandes marques. Arc’teryx, Evolv, Petzl, puis Coca‑Cola Japon ou encore Nikon se bousculaient pour associer leur image à la sienne. Elle n’a pourtant jamais fait figure de femme‑sandwich : exit les posts à gogo et le storytelling bien ficelé sur les réseaux sociaux. Pas son truc.

    À la place, elle a publié, en 2020, un album jeunesse,  « How to Solve a Problem  ». Elle aurait pu y raconter ses exploits. Mais non : la jeune grimpeuse, alors âgée de 19 ans, préfère raconter comment l’escalade l’a aidée à faire face aux obstacles de la vie. Une ode profondément humaine à la vulnérabilité, à l’échec et à la persévérance.

    Vous l’aurez compris : Ashima Shiraishi fait partie de ces grimpeuses qui ont choisi de faire un pas de côté. Au lieu de s’enfermer dans le circuit professionnel, en visant les Jeux olympiques, elle a choisi de poursuivre des études mêlant neurosciences et environnement.

    On le voit dans le film : l’enfant prodige continue de grimper, à sa manière, non pas pour conquérir les blocs les plus difficiles au monde, mais pour les honorer.

    «  J’ai grandi en méditant avant même de commencer l’escalade, et j’ai toujours intégré la méditation comme partie intégrante de ma pratique.
    Et, d’une certaine manière, je pense que l’escalade peut être une forme de méditation.
    Mais aussi, en méditant avant de grimper, je constate que ma conscience corporelle s’éveille davantage. La lenteur et la patience que l’on cultive par la méditation peuvent vraiment aider à remarquer des choses différentes, tant dans son propre corps que sur le rocher.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Avec son dernier projet,  »Muga  », Ashima Shiraishi apporte un vent de fraîcheur sur ce que grimper veut dire, loin de toute idée de performance. Ainsi, dans ce film, le spectateur n’est pas qu’un simple consommateur  : il vit, à travers le jeu de sons et d’images, une véritable expérience similaire à ce que la grimpeuse éprouve sur le rocher. «  Je voulais créer quelque chose de plus méditatif, plutôt qu’une œuvre qui apporte un rapide pic de dopamine  », conclut Ashima.

    Objectif atteint.

    Mieux : il donne envie à la plupart d’entre nous de reconsidérer notre rapport à l’escalade.

  • L’odyssée d’Aurélie Martin sur les traces des plus grands glaciers français : étape 1, le massif du Mont-Blanc

    L’odyssée d’Aurélie Martin sur les traces des plus grands glaciers français : étape 1, le massif du Mont-Blanc

    Aurélie Martin est une athlète qui s’engage. Mais pas question pour elle de mettre en avant ses performances individuelles : ce qu’elle veut, c’est utiliser sa passion pour des causes qu’elle estime justes. C’est pourquoi l’Annécienne, qui fait aujourd’hui partie des Climatosportifs, un collectif de sportif.ves engagé.es pour l’environnement, s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers de France, mêlant natation en lac alpin ainsi que des approches en vélo et randonnée. Le tout avec un objectif : sensibiliser à l’importance de la protection de ces géants. Un projet divisé en trois étapes, chacune se déroulant dans l’un des plus grands massifs alpins français, qu’elle mène actuellement. encordées a échangé avec Aurélie à l’issue de son aventure dans le massif du Mont-Blanc.

    Amoureuse des montagnes, voilà comment se définit Aurélie Martin, une triathlète partie à l’aventure à travers les Alpes cet été. Un projet où la performance est laissée au second plan. Puisque cette odyssée est avant tout un moyen de sensibiliser à l’importance de la protection des glaciers. Ces géants de glace, présentés comme de véritables réservoirs d’eau douce, n’ont de cesse de dépérir. Ils devraient d’ailleurs perdre entre 20 % et 52 % de leur masse d’ici 2100, tandis que ceux des Alpes pourraient avoir presque disparu. Face à cette situation alarmante, l’ONU a déclaré 2025 comme l’« année internationale de la préservation des glaciers ».

    Le regard tourné vers les glaciers (@Aurélie Martin)
    Le regard tourné vers les glaciers
    (@Aurélie Martin)

    La sensibilisation environnementale, une vocation

    Originaire de Nantes, Aurélie Martin a grandi loin des montagnes. « Je viens d’un sport un peu original, le hockey sur gazon », raconte-t-elle. « Comme c’était un peu niche, j’ai évolué assez vite. J’ai fait sport-études hockey pendant tout mon collège-lycée. J’ai ensuite voulu évoluer à plus haut niveau. Je suis donc allée à Paris pour pouvoir évoluer au plus haut niveau français, l’équivalent de la Ligue 1 en foot en quelque sorte ».

    En parallèle, Aurélie se lance dans des études en droit et sciences politiques, jusqu’à obtenir un master en développement durable. « La préservation de l’environnement, c’était avant tout un engagement personnel », explique-t-elle. « Je n’ai jamais pensé en faire vraiment mon métier. Et par le fruit du hasard, mais surtout par une révolte personnelle sur le fait que mon sport avait un énorme impact environnemental, j’ai décidé de postuler auprès de la Fédération française de hockey pour en être responsable du développement durable. Un moyen d’aider mon sport à être plus vertueux ».

    Un premier pas l’ayant menée à se tourner vers la sensibilisation, au sein d’une ressourcerie sportive d’abord, puis au Climate Workout, un atelier ludique créé par l’éco aventurier Matthieu Witvoet à Annecy. C’est à ce moment-là que le triathlon est entré dans sa vie : « Même si j’ai toujours fait beaucoup de sport, je me suis vraiment mise au vélo il y a un an. Après avoir fait 15 ans d’un même sport, pouvoir faire trois sports différents en un, je trouve ça trop cool ».

    Une enfance près des montagnes (@Aurélie Martin)
    Une enfance jamais trop loin des montagnes
    (@Aurélie Martin)

    Est ensuite né son projet autour des glaciers alpins. « J’ai répondu à un appel à projets du mouvement Maïf Sport Planet qui soutient chaque année celles et ceux souhaitant mêler aventure et préservation de l’environnement », détaille Aurélie. « Je suis assez sensible aux glaciers. Ça me touche beaucoup de les voir s’effacer. J’avais donc envie de faire un projet cette année dédié à la préservation des glaciers en utilisant ma passion, le triathlon ».

    Une aventure sous le signe du partage

    Une grande traversée des plus grands glaciers de France qu’elle a divisée en trois aventures, chacune se déroulant au sein d’un massif alpin : le Mont-Blanc, les Écrins et la Vanoise. « L’idée, c’est de faire un triathlon pendant 15 jours dans chaque massif en partant d’un lac alpin, en parcourant les massifs à vélo, puis en allant faire de la randonnée glaciaire sur les plus grands glaciers de chaque massif », nous a expliqué Aurélie. « Le tout avec un objectif : embarquer un maximum de gens avec moi dans l’aventure, sensibiliser à la préservation des glaciers, faire des vidéos de vulgarisation scientifique sur l’importance des glaciers et l’impact de leur fonte, mais aussi aller à la rencontre des acteurs locaux, des associations qui œuvrent au quotidien sur ces sujets-là. »

    Le 25 mai, Aurélie est partie à la nage du lac Léman, le plus grand lac d’eau douce d’Europe, d’origine glaciaire. « J’avais fait un appel à tous les clubs de natation et les personnes qui faisaient de la nage en eau libre via des groupes Facebook. Ça me tenait à cœur de partager le début de cette aventure », détaille-t-elle.

    Les quatre nageur.ses ont rejoint Évian-les-Bains, la première ville exportatrice d’eau douce mondiale. S’en sont suivis trois jours de vélo jusqu’à Chamonix par la route des Grandes Alpes. Un total de 200 kilomètres et 3 700 mètres de dénivelé positif. 

    Une fois arrivée à la capitale mondiale de l’alpinisme, Aurélie s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers du massif, en commençant donc par deux jours sur la Mer de Glace, sans doute l’un des lieux les plus symboliques quand on parle de l’impact du réchauffement climatique sur les glaciers. Avant d’enchaîner sur une journée sur le glacier d’Argentière et une journée sur le glacier des Bossons, sous lequel se forme un lac proglaciaire qui constitue une menace d’inondation soudaine pour les populations et infrastructures en aval, si bien que des travaux de vidange sont régulièrement entrepris.

    « J’ai été accompagnée d’un guide et médiateur scientifique local qui travaille pour la réserve naturelle des Aiguilles Rouges », raconte Aurélie. « On a fait de la randonnée glaciaire ». L’équivalent d’environ 60 kilomètres de marche, entrecoupée de rencontres avec des locaux.

    Direction les Écrins

    De Chamonix, Aurélie a ensuite rejoint Annecy à vélo. « L’idée, c’était d’arriver sur le triathlon de l’Alpsman », raconte-t-elle. « Un triathlon partenaire de la Maïf, avec qui je collabore. Ça m’a permis de finir cette première étape sur un événement ».

    Elle a ensuite prévu de prendre la direction du massif des Écrins. « J’aimerais avoir de l’impact en termes de sensibilisation », conclut-elle. « À terme, j’aimerais arriver à amener des cordées avec moi sur les glaciers. Dans les Écrins, j’aimerais vraiment beaucoup travailler avec les refuges, mais aussi une population plus touristique et plus jeune qui n’a pas forcément conscience des enjeux environnementaux ». Avec toujours le même objectif en tête : mettre l’accent sur l’impact que peut avoir son aventure plutôt que sur sa performance individuelle.

  • Nolwen Berthier « J’ai de plus en plus l’impression qu’on consomme la nature pour notre passion »

    Nolwen Berthier « J’ai de plus en plus l’impression qu’on consomme la nature pour notre passion »

    Réinventer ses rêves, voilà ce que propose Nolwen Berthier, grimpeuse de haut niveau, la 6e femme au monde à réussir une voie en 9a+, qui a décidé d’utiliser son image pour porter avec radicalité les enjeux écologiques. Elle a dressé dans le carnet Le monde du sport face à l’urgence écologique une série de portraits de celles et ceux ayant fait le choix de tracer d’autres chemins, avec courage, créativité et espoir. Des récits inspirants, profondément humains, qui montrent qu’un autre sport est possible : plus sobre, plus juste, plus aligné avec le vivant. Un livre pour nourrir ses rêves, et en faire naître de nouveaux. À glisser sans aucune hésitation dans son sac de grimpe ou de rando cet été. 

    C’est depuis Stockholm, entre deux trains, que Nolwen a répondu à encordées. Elle revenait d’un voyage à Flatanger, spot de grimpe norvégien qu’elle a rejoint à la voile. Un projet qui s’inscrit dans la pratique de l’escalade qu’elle défend dans Le monde du sport face à l’urgence écologique. Sa vision est claire : construire des rêves où le dépassement de soi est sain, à la fois vis-à-vis des autres, de la planète et de soi.

    Collection Le monde du [...] face à l'urgence écologique @ Editions La Plage
    Collection Le monde du […] face à l’urgence écologique @ Editions La Plage

    Ce carnet, qui s’inscrit dans la collection Urgence écologique, est une véritable source d’inspiration. Et d’espoir ! Il met en avant des personnalités issues du monde des sports outdoor qui ont décidé, après avoir pris conscience des enjeux environnementaux auxquels nous sommes confronté.e.s, de s’engager, chacun à sa manière, avec sa propre sensibilité :

    • Isabelle Autissier, navigatrice première femme à réaliser un tour du monde en solitaire, ancienne présidente de la branche française du WWF
    • Bénédicte Desreux, responsable RSE chez Millet Mountain Group
    • Olivier Erard, ingénieur des mines de Saint-Étienne spécialisé en glaciologie qui piloté l’adaptation du territoire de Métabief (Jura)
    • Younès Nezar, athlète de 100 mètres, co-fondateur et président de l’association Les Climatosportifs
    • Stéphane Passeron, membre de l’équipe de France de ski de fond pendant plus de 20 ans, porte parole du collectif NO JO !
    • Gérard Rougier, snowboarder, directeur territoires et environnement de la Fédération française de golf
    • Clothilde Sauvages, co-fondatrice de « Vent Debout », le podcast qui prône la place politique du sport
    • Xavier Thénevard, traileur vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) en 2013, 2015 et 2018
    • Stan Thuret, cinéaste-navigateur ayant décidé de renoncer à la compétition 

    Des profils éclectiques qui donnent matière à penser, à questionner nos pratiques. Le tout présenté de manière synthétique et didactique. 

    « L’objectif est de donner de l’espoir, de donner envie d’agir » précise Nolwen. « Un des sujets majeurs liés à l’écologie dans la pratique de l’escalade est celui des déplacements. Les destinations qui font rêver sont celles qu’on voit sur Instagram : les États-Unis, Rockland en Afrique du Sud. On prenait finalement l’avion pour aller en Grèce alors que les meilleur.e.s grimpeur.se.s du monde viennent pour le caillou du sud de la France. On aurait pu simplement rester près de la maison. C’est finalement assez paradoxal car on va dans des endroits inaccessibles, on cherche à être seul.e et tranquille. Mais cela trouble toutes les autres espèces. Nous sommes privilégié.e.s, et avons un impact important sur la biodiversité, d’autant que notre activité connaît un boom du nombre de pratiquant.e.s. Finalement, j’ai de plus en plus l’impression qu’on consomme la nature pour notre passion et qu’il faut repenser cette manière de cohabiter, d’être moins dans la domination des humains sur la nature de manière générale. » 

    encordées :
    Pourquoi avoir choisi d’écrire ce livre ?

    Ce livre s’inscrit dans la collection Urgence écologique, lancée par Ingrid Kandelman – qui accompagne la transformation des organisations, en particulier sur les questions écologiques. Quatre premiers carnets sont sortis au mois de septembre. Ils portent sur quatre secteurs : la mode, l’influence, la gastronomie et le journalisme. Chacun donne la parole à une dizaine d’acteurs, qui racontent leurs parcours et leur engagement écologique.

    Ingrid a ensuite pensé au monde du sport. Elle m’a appelée pour me proposer de prendre en charge ce carnet-là. En résumé, je devais choisir les profils, interviewer les personnes, et retranscrire leur récit.

    encordées :
    Avant de parler plus en détail du contenu du carnet, peux-tu rappeler en quoi l’impact environnemental du sport est problématique ?

    Le secteur du sport est assez complexe, justement parce qu’il recouvre de nombreuses dimensions : le sport loisir, le sport événementiel, le sport business, sans oublier toutes les marques impliquées dans ce milieu. Cette diversité rend l’empreinte environnementale difficile à cerner, car elle s’étend de la pratique individuelle, quotidienne, jusqu’à un système économique global, avec ses événements, ses marques, ses associations, ses fédérations et l’ensemble des institutions qui l’encadrent.

    « Concrètement on peut identifier 9 grands volets d’impact, que l’on appelle les limites planétaires : on y retrouve notamment le dérèglement climatique, et l’érosion de la biodiversité, l’acidification de l’océan ou encore les pollutions chimiques. Ce sont les seuils à ne pas dépasser pour que la planète reste habitable. Si l’on regarde ce qu’il se passe dans le sport sous ce prisme, cela concerne aussi bien les déplacements – qu’il s’agisse de spectateurs ou de pratiquants – que l’énergie nécessaire pour chauffer, climatiser ou éclairer les infrastructures sportives.

    À cela s’ajoute la question de l’artificialisation des sols, avec la construction de gymnases, de stades ou de piscines. Sans parler de tout l’aspect matériel : la fabrication d’équipements, qui mobilise des ressources non renouvelables, et les déchets ou pollutions que cela peut engendrer. Ce n’est évidemment pas exhaustif, mais ce sont quelques exemples pour illustrer les enjeux environnementaux liés au sport.

    encordées :
    L’impact des sports outdoor est parfois sous-estimé. Pourquoi est-il important d’en parler aussi ?

    Quand on pratique un sport outdoor, on bénéficie souvent d’une image « écolo » – parce qu’on associe le lieu à la manière de pratiquer. On se dit que, puisqu’on est en pleine nature, on est censé la respecter. Ce raisonnement paraît logique… mais dans les faits, ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, les déplacements représentent un vrai point noir. On devient très dépendants des conditions météo et on cherche sans cesse de nouveaux spots. Résultat : on brûle du pétrole pour traverser la région, voire la France entière, juste pour aller pratiquer dans la nature.

    Il y a une vraie ambivalence à ce niveau-là. Et on sous-estime aussi beaucoup notre impact sur la biodiversité. C’est un sujet encore trop absent du débat public. La biodiversité, c’est un peu la grande oubliée de la cause écologique aujourd’hui. Le dérèglement climatique, lui, a pris beaucoup de place dans les médias ces cinq ou six dernières années — mais la biodiversité, on en parle très peu. Pourtant, dans les sports outdoor, on est en contact direct avec la nature. On cherche des endroits isolés, là où il n’y a personne. Mais justement, ce sont souvent des lieux riches en espèces — animaux, plantes, etc. Et on a un impact énorme, même sans le vouloir : on dérange, on piétine… même quand on essaie de bien faire.

    encordées :
    Une phrase m’a particulièrement frappée dans ton ouvrage : « J’ai dû réinventer mes rêves ». Tu peux nous en dire plus ?

    Je fais partie d’une génération pour qui avoir une démarche écolo, c’était simplement faire le tri. Mes rêves se sont construits dans cet environnement-là. Sauf que, quand on prend réellement conscience de l’urgence écologique, il y a des choses qui ne sont plus possibles — indépendamment des rêves qu’on avait construits.

    Par exemple, prendre l’avion pour aller passer un mois à Rocklands [secteur d’escalade situé en Afrique du Sud, ndlr], c’était totalement envisageable à une époque. De la même manière, quand j’étais jeune, je rêvais de faire une finale de Coupe du monde. Mais aujourd’hui, ce que ça demande en termes d’impact — déplacements, entraînement, rythme de vie — ce n’est plus compatible avec mes convictions.

    Alors parfois, on peut réinventer le « comment ». Si je reprends l’exemple de Rocklands, ce serait imaginer une expé à la voile pour y aller autrement. Mais il y a aussi des cas où il faut carrément inventer de nouveaux rêves — des rêves qui soient en accord avec ses valeurs, pour rester aligné, et que ça continue à rendre heureux.

    Et ça, ce n’est pas évident, parce qu’on évolue dans une société qui continue de valoriser ces anciens rêves. Si je reprends encore une fois Rocklands : chaque été, on est matraqués d’images du site [dans les médias de grimpe, sur les réseaux sociaux, ndlr], parce que la majorité des gens y vont encore. Donc même si tu veux t’en détacher, la norme te le remet constamment sous les yeux.

    encordées :
    J’imagine que toi, en tant que grimpeuse, tu dois être frustrée de ne pas pouvoir aller partout.

    Non, pas vraiment. Parce que j’arrive quand même à construire des projets qui sont en accord avec qui je suis. Par exemple, je suis allée à Flatanger [en Norvège, ndlr], et je suis vraiment contente de la manière dont je l’ai fait. J’arrive à nourrir une partie de mes rêves simplement en changeant la manière de les atteindre. Donc non, il n’y a pas de frustration à avoir. C’est d’ailleurs pour ça que je parle de réinventer ses rêves. L’enjeu, c’est de réussir à construire des choses qui nous font vibrer, qui nous donnent envie de mettre de l’énergie, mais en dehors de la norme dominante de la société.

    Et je pense que si on parvient à nourrir des rêves qui vont dans ce sens-là, alors, au fond, il n’y a plus de frustration — parce qu’on est alignés avec soi-même.

    Après, il faut rester lucide. L’écologie, ce n’est jamais tout noir ou tout blanc. C’est une histoire de compromis, de nuances de gris. Il y a toujours quelque chose à redire. Même le fait d’aller en Norvège à la voile, ça peut être critiquable. Rien n’est parfait. La vraie question, c’est : quelles sont les limites qu’on se fixe ? Qu’est-ce qu’on considère comme acceptable ? Qu’est-ce qu’on juge suffisant ?

    Ce que je trouve difficile dans le combat écologique, en revanche, c’est qu’on a souvent l’impression de ne jamais en faire assez. Et ça, pour le coup, oui, c’est une vraie source de frustration.

    encordées :
    Le sport est souvent associé à des valeurs positives – dépassement de soi, solidarité. Comment les concilier avec les changements profonds que demande l’écologie ?

    Je pense qu’il faut réussir à construire une forme de dépassement de soi qui ne dépasse pas les limites planétaires, et qui rassemble les humains au lieu de les diviser. Le dépassement de soi, en soi, ce n’est pas un problème. Ce qui l’est davantage, c’est la quête systématique de dépassement de l’autre. L’enjeu, c’est d’imaginer une pratique sportive qui soit plus collective, plus joyeuse. Et qui nous rassemble.

    encordées :
    Est-ce que ça veut dire, potentiellement, renoncer aux compétitions telles qu’elles existent aujourd’hui ?

    La compétition, c’est un cadre où le dépassement de soi est poussé à son paroxysme. Et ça peut être très fort. Je l’ai vécu : dans certaines compétitions, je me suis vraiment dépassée, mais pas forcément pour battre l’autre — c’était un dépassement personnel. Après, je pense que ça dépend de l’état d’esprit dans lequel on entre dans la compétition. Ce n’est pas vécu de la même manière par tout le monde. En revanche, le modèle actuel des compétitions, où on s’entraîne toute l’année pour prendre l’avion tous les week-ends et faire le tour du monde, ça, oui, c’est clairement à repenser.

    encordées :
    Tout le monde n’a pas envie de revoir ce modèle, non ?

    J’ai l’impression que tout le monde est à peu près conscient des enjeux. Mais ça demande de renoncer, de réinventer ses rêves — et ce n’est pas facile, surtout quand la société te répète : « Tu seras heureux.se quand tu monteras sur le podium des Jeux olympiques. »

    Ce n’est pas simple. Et c’est pour ça que ce ne peut pas être uniquement un changement individuel. Il doit aussi être institutionnel. Tant que les fédérations ne s’empareront pas du sujet, rien ne pourra vraiment bouger. On ne peut pas faire reposer toute la responsabilité sur les épaules des compétiteurs. C’est un changement systémique qui doit avoir lieu.

    encordées :
    Le sport est souvent perçu comme apolitique. Est-ce que ton livre cherche à bousculer cette idée ?

    Je pense que c’est un mythe, cette idée-là. On aime se dire que le sport est apolitique – on le répète souvent. Mais en réalité, il ne l’est pas du tout. Les sportifs ont une influence énorme aujourd’hui, et le sport, dans son ensemble, a une place centrale dans notre société.

    Clothilde Sauvages [à l’origine du podcast Vent Debout, ndlr] le dit très bien dans le carnet : le sport est partout. Il y a une étude du MIT qui montre que, depuis les années 1950, les sportifs ont plus d’influence sur nos sociétés que les politiques. Je trouve que ça résume bien la situation. On aimerait que le sport soit apolitique… mais il suffit de regarder l’argent qui y circule, notamment via les marques, pour comprendre qu’il ne l’est pas du tout.

    encordées :
    Penses-tu que les sportifs de haut niveau doivent être exemplaires avant de prendre la parole sur l’environnement ? Ou, au contraire, assumer leurs contradictions ?

    Je pense que ça pose une vraie question : est-ce qu’on doit assumer l’empreinte environnementale de son métier ? Et souvent, on a du mal à voir le fait d’être sportif de haut niveau comme un métier. Pourtant, c’en est un. Et ce qui est frappant, c’est qu’on pose beaucoup plus facilement cette question-là à un.e sportif.ve qu’à d’autres professionnels. On va rarement demander à un ingénieur chez Airbus : « Est-ce que tu te sens légitime pour parler d’écologie, vu ce que tu fais ? » Pourtant, c’est la même problématique. Simplement, le sport est plus exposé, plus visible.

    Mais aujourd’hui, on ne peut plus faire semblant. On ne peut plus ignorer les contradictions. Donc oui, être sportif de haut niveau, comme être ingénieur chez Airbus, ça pose des questions. Et je sais que beaucoup de gens, même sans forcément prendre la parole publiquement, vivent des contradictions personnelles très fortes, parce que leur conscience écologique grandit. Et ça entre en tension avec leur métier, avec leur rôle dans la société.

    Comme on réinvente nos rêves, il faut aussi apprendre à réinventer nos métiers. Et c’est complexe, parce qu’il y a aussi la réalité de devoir gagner sa vie. Rien n’est simple. Mais il faut pouvoir avoir ces discussions-là.

    encordées :
    Est-ce que tu envisages de prolonger ce travail par d’autres projets autour du sport et de l’écologie ?

    Oui, tout à fait. Il y a par exemple Ordinary Project, un programme de formation pour les athlètes et leurs sponsors, mis en place par Protect Our Winters. J’ai participé à la conception de ce programme. Ce projet combine exactement ces enjeux : comment former les athlètes pour qu’ils avancent dans leur relation professionnelle avec les marques, et en même temps faire évoluer ces marques sur les questions écologiques. L’objectif, c’est que tout le monde soit à la fois plus à l’aise sur ces sujets-là et puisse mieux y contribuer.

    C’est un exemple parmi d’autres. Par exemple, sur un autre projet en Norvège, on a tourné un film, une fiction un peu dystopique. Il raconte l’histoire de deux petits personnages qui s’échappent d’une société de contrôle pour aller grimper dehors en Norvège. À travers ce voyage, ils s’émancipent de toutes les valeurs imposées par la société, et redécouvrent l’émerveillement.


    Lire Le monde du sport face à l’urgence écologique

    Le monde du sport face à l'urgence écologique @ Editions La Plage
    Le monde du sport face à l’urgence écologique @ Editions La Plage

    Résumé : Le sport est aujourd’hui au coeur d’une industrie dont les empreintes carbone et biodiversité sont très fortes. La quête de dépassement de soi et d’exploits sportifs peut éclipser les considérations environnementales. Pourtant, dans ce secteur, des personnalités inspirantes, talentueuses et pionnières sont en train de changer en profondeur leurs pratiques. « Le Monde du sport face à l’urgence écologique » permet de découvrir leur histoire et leur engagement.

    Editeur : La Plage
    Publication : 16 avril 2025
    Prix : 6,95 €
    À découvrir ici

  • Grimper dans les Calanques en train depuis Lyon

    Grimper dans les Calanques en train depuis Lyon

    Salomé, grimpeuse lyonnaise, vous propose de découvrir les Calanques autrement, sans voiture. Une aventure qu’elle a mené aux côtés d’Ambroise, son compagnon. Elle nous raconte tout cela dans un récit mêlant conseils pratiques et émerveillement, tout en montrant que cet endroit, accessible en train depuis Lyon, est un véritable terrain de jeu pour les amateurs de grandes voies. Et qui sait, peut-être que son expérience vous inspirera à allier escapade en train et escalade.

    encordées :
    D’où vous est venue l’idée de ce trip dans les Calanques ?

    On avait déjà eu un bel aperçu des Calanques lors d’un week-end d’initiation à la grande voie avec le CAF. On avait dormi à Cassis, et un jour, on avait décidé de partir grimper à En-Vau à pied, en laissant les voitures derrière nous. Et c’était hyper chouette ! Le départ se faisait depuis le centre-ville, et cette approche à pied s’était révélée aussi simple qu’agréable. On en avait gardé un très bon souvenir.

    Alors, quand on a commencé à penser à une nouvelle sortie, le choix des Calanques s’est imposé naturellement. D’abord parce que c’est un coin sublime, mais aussi parce que c’est facile d’accès en train depuis Lyon. D’autant que l’on avait envie de voir la mer ! Janvier, c’est une période parfaite pour grimper là-bas : pas trop de monde, une lumière magnifique, et des températures agréables !

    On savait qu’avec le train, on devait réserver à l’avance. Forcément, ça laissait moins de place à l’improvisation. Mais on s’était dit que, même si la météo tournait mal et qu’on ne pouvait pas grimper, ce ne serait pas perdu : on en profiterait pour aller se balader dans Marseille. Bref, quoi qu’il arrive, on allait passer un bon moment.

    encordées :
    Pourquoi avoir choisi de tout faire sans voiture ? 

    En mai dernier, notre voiture est tombée en panne… et on n’a pas eu envie d’en racheter une. Ce choix, un peu par défaut au départ, est vite devenu une vraie occasion d’explorer d’autres manières de se déplacer. On avait déjà expérimenté le combo vélo-grimpe, et cette fois, on s’est dit : pourquoi ne pas tester le train-pied-grimpe ?

    C’était aussi une manière d’embrasser un autre rythme. Prendre le temps de marcher jusqu’à la voie, d’entrer dans le paysage au fur et à mesure, de sentir les choses se mettre en place lentement. Il y a une forme de cohérence, presque de poésie, à se rendre à pied sur un site d’escalade.

    Et puis, on avait moins de jours devant nous que pour une virée d’été. Le train s’est imposé comme une alternative plus rapide que le vélo, mais tout aussi enthousiasmante. 

    encordées :
    Comment vous êtes-vous organisés ?

    Jour 1. Départ à 09h06 de Lyon. Le train file rapidement, et à 10h50, nous voilà arrivés à Marseille. Un petit transfert en TER (de 23 minutes), puis 20 minutes de bus, de la gare au centre-ville. C’est un début de voyage parfait : on se pose au soleil pour déjeuner à Marseille, avant de flâner dans les rues et de savourer l’atmosphère de la ville. Ce premier jour est une parenthèse, un avant-goût des vacances.

    Jour 2. La première journée d’escalade commence sur les falaises de Castelviel. On part du centre-ville de Cassis, et après environ 2h-2h30 de marche d’approche, on arrive enfin à la paroi. On attaque Les Dents de la Mer, une voie splendide. La paroi est très verticale, et la vue sur la mer est juste incroyable. On est quasiment seuls sur la face, et sous le soleil éclatant, c’est un véritable paradis. L’escalade est intense, mais l’environnement est tellement magique qu’on oublie la fatigue.

    Jour 3. Direction Cap Canaille pour la journée. On part du centre-ville, cette fois pour une marche d’approche un peu plus courte, environ 1h30. On grimpe sur la voie Bourreur de Rousse. L’ambiance est absolument impressionnante, un peu comme dans le Wadi Rum, en Jordanie, avec des falaises rouges et une immensité à couper le souffle. Ce jour-là, la falaise est pleine de grimpeurs, et il y a aussi pas mal de touristes au sommet. On s’est fait des copains de grimpe au relais. On a fini la journée à dîner ensemble le soir. Le fait de venir à pied crée tout de suite des liens, et la conversation s’engage naturellement.

    Jour 4. La météo, malheureusement, ne nous permet pas de grimper. Le vent souffle fort, avec des rafales impressionnantes. On décide donc de retourner à Marseille. Ce n’est pas un échec, bien au contraire. On en profite pour visiter le MUCEM. Le retour se fait en toute tranquillité, et à 20h12, nous prenons le train pour Lyon.

    encordées :
    Y a-t-il eu des moments où vous avez regretté d’être partis sans voiture ?

    On n’a pas regretté une seconde d’avoir laissé la voiture de côté. C’est vrai, avec une voiture, on aurait probablement pu grimper dès le premier jour, ou filer vers une falaise plus abritée quand le vent s’est levé. Mais au final, c’était aussi agréable de se laisser porter par un autre rythme. Profiter autrement. On a pris le temps de bien manger, de s’offrir un bon resto, d’aller voir une expo au musée.

    encordées :
    Quelles grandes voies avez-vous choisies ?

    Pour choisir nos grandes voies, on s’est surtout laissés porter par l’envie de grimper, plus que par les temps de marche. On a visé les faces sud, histoire de profiter au maximum du soleil d’hiver. Ambroise n’avait encore jamais grimpé à Castelviel, et j’avais très envie de lui faire découvrir le secteur. Dans Les Dents de la Mer, on s’est offert une pause goûter sur une vire, seuls au monde, écrasés de soleil, avec la mer pour décor. C’était un moment suspendu. Ambroise a eu un vrai coup de cœur pour la dernière longueur, fine et aérienne, avec le vide sous les pieds. Moi, j’avais mal aux pieds à ce moment-là, alors j’ai davantage savouré les longueurs précédentes.

    Le lendemain, sur Bourreur de Rousse, on a un peu plus bataillé. Dès la première longueur, je me suis trompée de relais. On a dû en bricoler un un peu plus haut pour éviter un tirage infernal… mais ça ne nous a pas épargné un énorme sac de nœuds. Premier vrai gros sac de nouilles de notre cordée : 45 minutes à détricoter le chantier.

    encordées :
    Qu’avez-vous mis dans votre sac ? 

    Les cordes, la frontale, les casques, les baudriers, les dégaines, les chaussons d’escalade : le strict nécessaire pour grimper en grande voie. On a glissé chacun un pantalon de grimpe, deux tee-shirts, un petit sac pour emporter le minimum sur la voie. Et puis, on a aussi pris le temps d’ajouter l’appareil photo argentique et un livre chacun. 

    encordées :
    Quel a été votre moment préféré (en dehors de l’escalade) ?

    Les marches d’approche, parfois longues, ont aussi participé à la beauté du voyage. Traverser la calanque à pied, dans la lumière dorée du matin ou celle plus douce du soir, c’était déjà une aventure en soi. Après notre grande voie à Castelviel, je me suis baignée à En-Vau. C’était une sensation de liberté totale, un vrai luxe.

    À Cap Canaille, on a rencontré deux autres grimpeurs au relais. Comme il y avait un peu d’attente, on a discuté, plaisanté, partagé des anecdotes suspendus à mi-paroi. Le courant est bien passé, et le soir, on s’est retrouvés pour boire un verre, puis on a enchaîné sur un dîner improvisé. C’était simple, spontané, et vraiment sympa. Ce genre de rencontres, elles arrivent plus facilement quand on vient à pied, sans être pressés, ouverts à ce que la journée peut apporter.

    encordées :
    Avez-vous d’autres projets du même genre en tête ?

    Pour notre prochain projet grimpe, on avait envie de faire Lyon-Céüse pour nos vacances d’été, mais plutôt à vélo. Et évidemment, on se garde l’option train pour quand on aura un peu de temps, mais pas trop.

  • Clara Arnaud : « Il me tient à coeur de créer des personnages féminins qui ne soient pas des clichés de ce qu’on attend de la féminité »

    Clara Arnaud : « Il me tient à coeur de créer des personnages féminins qui ne soient pas des clichés de ce qu’on attend de la féminité »

    Avec Et vous passerez comme des vents fous, Clara Arnaud signe un roman puissant, mêlant poésie et biologie, qui nous emporte au cœur des Pyrénées. Récompensé par le Prix du roman d’écologie 2024, l’ouvrage aborde la question sensible de la cohabitation entre humains et ours, sans jamais céder au manichéisme. Présente fin mars au festival Agir pour les glaciers à Bourg-Saint-Maurice, l’autrice, installée en Ariège, y a partagé sa vision d’un monde vivant à écouter autant qu’à raconter.

    Un constat se lit entre les lignes du dernier roman de Clara Arnaud : émerveillons-nous tant qu’il est encore temps, levons le pied, écoutons la nature, inspirons-nous d’elle. Vous n’y trouverez cependant aucun jugement moralisateur. Un équilibre délicat, étant donné le sujet abordé : la question de l’ours dans les Pyrénées.

    Dans Et vous passerez comme des vents fous, on suit alternativement trois personnages. Gaspard, un berger pyrénéen, s’apprête à remonter en estive avec ses brebis, hanté par un accident tragique survenu la saison précédente. Alma, une jeune éthologue, vient d’intégrer le Centre national pour la biodiversité, dans le but d’étudier le comportement des ours et de proposer des réponses adaptées à la prédation du plantigrade. Le tout est ponctué par l’histoire de Jules, jeune saltimbanque parti, à l’orée du XXe siècle, tenter sa chance à New York avec son animal.

    « J’ai besoin d’avoir une relation intime avec le territoire sur lequel j’écris », explique Clara Arnaud. « Je n’écris jamais sur les Pyrénées ou sur l’Asie centrale. Mais j’écris à partir de. Parce que j’y vis, je les traverse. J’y consacre du temps. » Géographe de formation, l’autrice utilise aussi la cartographie — ce qui est directement avec lien avec sa pratique de la marche.

    Au-delà de cette immersion, à la fois active et contemplative, l’hyperactive Clara Arnaud prend aussi le temps d’échanger avec les natifs de ces lieux. « Je suis toujours plus ou moins de passage. À mon âge, je ne serai jamais ‘de quelque part’. Avoir une vie ancrée sur une, voire plusieurs générations, ce n’est pas mon histoire, ni celle de ma famille », confie-t-elle. « C’est pourquoi j’aime me raccrocher à leurs récits, ainsi qu’aux représentations artistiques qui sont faites de ce territoire. »

    « J’ai écrit ce livre en glissant mes pas dans ceux des gens de l’OFB [Office Français de la Biodiversité, ndlr], ainsi que d’un réseau de bénévoles qui s’occupent du suivi de la population d’ours », poursuit l’autrice. « Ils notent les traces, les poils, les empreintes, et répertorient les individus. Ceux qui sont encore là, ceux dont on ne retrouve plus la trace, que l’on considère comme morts ou probablement partis. »

    Pour les personnages issus du monde pastoral, Clara Arnaud a accompagné des bergers, véritables médiateurs entre elle et la montagne. « C’était un réservoir de connaissances explique-t-elle. « Certains avaient un savoir scientifique, des connaissances naturalistes bien plus développées que les miennes. Ils m’ont appris à reconnaître les traces de l’ours, à anticiper la pluie, à savoir quand se mettre à l’abri. Et évidemment, quand on fait ces suivis, on est hors sentiers. Et les bergers aussi le sont, avec un rapport au territoire profondément différent. Ils en ont une connaissance extrêmement fine, liée à leur pratique quotidienne. »

    L’autrice a été particulièrement marquée par Francis, un berger qu’elle décrit comme une sorte de passeur, féru à la fois d’orientologie et de botanique, sans oublier l’histoire locale. « Il ne fait pas le métier de berger : il est berger », souligne-t-elle. Fait rarissime : Francis réalise ses estivales sur la même montagne depuis quarante ans. Il en est donc devenu le témoin privilégié, observant ses moindres évolutions.

    Ce qui a le plus frappé Clara Arnaud, c’est le rapport presque sacré que Francis entretient avec son environnement. « Il est vraiment dans le prendre soin. Non seulement des brebis, mais de toute la montagne » détaille-t-elle. « Il m’a même confié ses carnets de berger. Il en écrivait des tartines. On y retrouve ce souci constant des autres. C’est un grand lecteur, un grand poète. […] Je lui dois même le titre du roman, qui est le dernier vers d’un poème arménien qu’il m’a fait découvrir. »

    Comment Clara Arnaud raconte la montagne

    « J’ai eu la chance de grandir dans une famille où il n’y avait pas de hiérarchie entre les êtres vivants. Ce n’était pas formulé ainsi, mais c’était vécu comme ça avec mes parents », confie l’autrice. Une enfance qui, sans aucun doute, a nourri son écriture. « J’observais le paysage alentour comme un écosystème peuplé d’êtres vivants. Et la manière dont j’écris le monde vivant est très influencée par ces représentations. »

    « Je pense qu’il est nécessaire d’aller plus loin dans nos perceptions », poursuit Clara Arnaud. « Aussi bien olfactives que visuelles, etc. Et ce n’est pas du tout quelque chose que l’on nous enseigne à l’école. »

    Pas question, pour autant, de raconter une montagne sauvage, vierge de toute présence humaine. Ce qu’elle dépeint, c’est plutôt un lieu habité, partagé entre humains et autres organismes vivants, où la cohabitation est parfois complexe. « Je veux aussi bien raconter les tensions, les frictions que les interdépendances », précise-t-elle. « Car le roman, c’est un art d’‘aller vers’. C’est faire le pari de ne pas raconter le monde uniquement par le prisme de son propre regard, mais de se dire : ‘Je vais essayer d’adopter le regard, la sensibilité de quelqu’un d’autre. Et je vais m’y essayer au plus près de ce que je peux faire.’

    « Même si, quand je me mets dans la peau de quelqu’un dont la pensée est diamétralement opposée à la mienne, je ne finis pas forcément par être d’accord avec lui » nuance-t-elle. « Mais ce chemin me permet de ne pas en faire une caricature. C’est ce que j’ai essayé de faire avec ce livre. Et je pense que c’est pour cela qu’il a été bien reçu en Ariège, y compris par des personnes qui ne partagent pas mes idées sur ces sujets dans la vie de tous les jours. »

    La littérature de voyage au féminin

    Quand on l’interroge sur l’écoféminisme — courant philosophique, éthique et politique né de la conjonction des pensées féministes et écologistes — la réponse de Clara Arnaud est claire : « Il est évident pour moi qu’aujourd’hui, quand on parle d’écologie, on doit forcément inclure une pensée décoloniale et une pensée féministe. Il y a quand même un rapport au monde conquérant, extractiviste, etc., qui s’est construit au détriment d’une autre partie du monde. »

    « J’ai grandi dans une famille où ça ne faisait aucune différence d’être un garçon ou une fille », raconte-t-elle. « Et d’ailleurs, j’ai pris conscience de ça assez violemment quand j’ai commencé à voyager seule. Pour moi, c’était un non-sujet. Sauf qu’un corps de femme, seule, très jeune, lâché comme ça dans la nature, ce n’est absolument pas anodin. Par exemple, au Honduras, je courais avec mon chien dans la montagne. Je n’ai jamais croisé une femme qui faisait ça seule. Ça n’existait pas. »

    « Donc, malgré soi, cela devient un acte militant. Et ça induit un rapport au mouvement un peu différent. Parce que, si je schématise, c’est être une proie. […] Mais pour avoir discuté avec des hommes ayant voyagé dans des pays dangereux, je sais que ce sentiment n’est pas propre aux femmes. Simplement, nous, on en a plus conscience, et on nous le rappelle davantage. Mon premier livre, Sur les chemins de Chine, est sorti quand j’avais 23 ans. La question de la peur, du risque, de l’agression revenait tout le temps. Si j’avais été un jeune homme, on ne me l’aurait pas autant posée. »

    « Je me suis toujours identifiée à des figures masculines en littérature. À ces hommes dans la nature. Je lisais souvent des récits portés par des héros masculins, avec parfois des personnages féminins secondaires. Il y a des exceptions, bien sûr, mais elles restent minoritaires », poursuit-elle. « C’est pourquoi il me tient à cœur de créer des personnages féminins qui ne soient pas des clichés de ce qu’on attend de la féminité. Et, en contrepoint, des personnages masculins qui ne soient pas non plus des stéréotypes de la masculinité. »

    « Gaspard, le berger dans mon dernier roman, est une figure paternelle. Il n’y a pas de figure maternelle dans le livre. C’est lui qui prend soin des enfants. Je n’ai pas donné ce rôle à une femme. Ça passe aussi par l’idée de réinvestir une force physique, une physicalité. J’ai voulu un roman où les femmes ne sont pas juste passives. »

    Voyager moins, mais mieux

    Avec le temps, le rapport de Clara Arnaud au voyage lointain a évolué. « Même si je n’ai jamais pris l’avion pour partir en vacances quinze jours », précise-t-elle. « Mais c’est certain que je me pose davantage la question qu’à mes vingt ans. À l’époque, l’avion était surtout très cher. Aujourd’hui, ça l’est toujours, mais ce n’est plus mon problème principal. Et, malheureusement, il est souvent moins coûteux que le train. Ce dernier implique un autre rapport au temps, moins tourné vers la consommation rapide d’une destination. »

    Et si, aujourd’hui, l’autrice voyage beaucoup moins, elle tient à nuancer cette évolution. « Je n’ai pas du tout l’intention d’arrêter de voyager. Parce que je constate un repli sur soi assez phénoménal », explique-t-elle. « En littérature, par exemple, de moins en moins de gens lisent de la littérature étrangère. Aux États-Unis, ils n’en lisent plus que 3 %. Ce n’est pas sans lien avec ce qui se passe aujourd’hui. Je pense qu’il est essentiel qu’il y ait encore des passeurs, des gens qui circulent. »

    Un repli que Clara Arnaud, qui vit en Ariège, un territoire très militant, remarque au quotidien. « Il y a ici des personnes d’une grande radicalité, dont j’admire profondément la cohérence. Mais parfois je me demande : pourquoi vivre uniquement dans des micro-constellations territoriales où plus personne ne sort de la vallée ? Ce qu’ils font est très beau, et leur existence est fondamentale. Mais je crois que, malgré tout, on a besoin que les histoires circulent, que les idées circulent. »

  • Un mois sans Strava : je suis allée dehors pour moi, pas pour les stats

    Un mois sans Strava : je suis allée dehors pour moi, pas pour les stats

    Beaucoup de voix se sont élevées contre Strava ces derniers temps. Une vague de critiques, parfois teintée de haine, envers cette application qui transforme chaque foulée en performance publique. J’ai voulu comprendre ce que ça changeait de s’en passer. Alors j’ai tenté un mois sans Strava. J’aime bien dire que j’ai fait ma petite crise d’ado numérique. Spoiler : j’y suis retournée. Mais différemment. Je vous explique pourquoi.

    Avez-vous entendu parler des « Strava jockeys » ? Ce sont souvent des jeunes, précaires, et ils ont un point commun : vouloir tirer profit de leur passion pour la course à pied. Un travail ingrat, puisque l’idée est de totalement s’effacer au profit de leurs clients. Des utilisateurs de l’application Strava, qui, faute de temps ou de motivation, les rémunèrent en fonction du nombre de kilomètres effectués… et de leur allure. Une histoire de tricherie qui en dit long sur la relation que certaines et certains entretiennent avec l’application, créée par deux anciens étudiants d’Harvard, il y a maintenant plus de quinze ans.

    En lisant cette actualité, j’avais fait le choix d’arrêter d’utiliser Strava, le temps d’un mois. Je crois que c’était mon propre Dry January (inspiré par Lisa Louviot, une accompagnatrice en moyenne montagne, qui avait décidé de se passer de sa montre connectée tout le mois de janvier). Un dépouillement en quête d’un « pourquoi » 

    Je suis une amoureuse des montagnes. J’aime garder une trace de mes sorties, de ces tranches de vie sur les falaises, sur les sentiers, que j’arpente seule ou à plusieurs.

    C’est moins poétique, mais j’aime aussi noter mes séances de préparation physique, celles qui m’éloignent des blessures (pas toujours). Ou encore ces minis-victoires sur le pan d’escalade de la salle de bloc la plus proche de chez moi.

    J’aime me replonger dans les souvenirs. Pas longtemps, mais suffisamment pour me donner un peu d’élan. De confiance aussi. « On a accompli dejolies choses ces derniers temps. Allez, savoure un peu », voilà ce que je me dis, quand je lève un peu la tête.

    La tête, je l’avais un peu trop eue dans le guidon ces derniers temps. Parfois, c’est ce qu’il faut pour aller vers ses rêves. Du moins, je crois. Alors, j’ai décidé de retirer mes œillères. De lâcher le smartphone pour le carnet d’entraînement. Et de vivre une nouvelle aventure : ne rien publier sur Strava. J’ai décidé de pousser l’expérience en y ajoutant l’absence d’objectifs, de plan d’entraînement, et de toute « obligation » d’aller m’entraîner. Un dépouillement, un retour à l’essentiel. Avec l’envie de savoir si j’avais vraiment envie de passer autant d’heures à courir, grimper, faire du vélo… Ou bien si je ne répondais qu’à l’injonction sociale d’être « active pour rester fit ».

    Pire, si je ne courais que pour alimenter mes statistiques sur Strava.

    Être « la meilleure version de moi-même »

    « Si ce n’est pas sur Strava, ça n’existe pas. » Voilà l’idée valorisée par l’application. Ces dernières années, j’ai joué le jeu. Parce que les chiffres me rassurent, je crois.

    Chacun de mes déplacements était traqué.
    Ceux pour aller à l’école de journalisme : deux kilomètres à pied, chaque matin.
    Ceux pour aller à la salle d’escalade : quatre kilomètres à vélo.
    Et j’en passe. 

    Ajoutez à cela ma bonne dizaine d’heures d’entraînement par semaine. Ça en fait des activités. Toutes n’ont pas été conservées au nom de l’assez noble idée de « garder des souvenirs », je le concède. Mais j’aimais bien voir que j’avais couru plus de kilomètres que la semaine passée.

    La pression sur Strava, avec ma quinzaine de followers, je me la mettais toute seule. Suivant cette fameuse injonction à être « la meilleure version de moi-même ». Pour moi, ça voulait dire : toujours plus.

    Toujours plus d’heures d’entraînement.
    Toujours plus de kilomètres.
    Toujours plus de dénivelé positif.

    Et dans tout ça, je ressentais le besoin de justifier certains de mes manques de forme passagers. Parce que, même si j’essaie d’être parfaite, je n’en demeure pas moins humaine.

    Strava, le reflet de notre frénésie vers le « toujours plus », le « toujours mieux »

    J’ai donc tout stoppé pendant un mois. Sauf que j’ai continué d’aller dehors. Parce que j’en avais envie. Parce que je sentais qu’il me restait encore beaucoup de choses à écrire sur ma partition. Des souvenirs, principalement. J’ai décidé d’une chose : « Je ne m’entraîne pas, je vais dehors, c’est différent. »

    Strava ne le sait pas, mais j’y suis quand même allée à cinq heures du matin. Parce que j’aime ça, être seule dans les montagnes, « à l’heure où blanchit la campagne ».

    Conclusion ? J’aime passer des heures dehors. Beaucoup d’heures. Mon équilibre est là. Et comme un funambule, je suis sur un fil, très souvent prête à basculer vers le « trop » (notion qui est propre à chacun).

    Un mois après cette expérience, je suis, doucement mais sûrement, retournée sur Strava. Parce que les souvenirs prennent, chez moi, plus de sens lorsqu’ils sont partagés. Mais aussi parce que j’ai compris que cette application n’était finalement que le reflet de notre frénésie vers le  « toujours plus », le « toujours mieux ». Frénésie que j’ai décidé de freiner, mais pas trop quand même. Parce que je suis trop curieuse de savoir où mène ce sentier, ce qu’il se cache derrière cette montagne, et de découvrir la vue qu’offre cette nouvelle voie.

    Me concentrer sur le positif

    Ce matin, en revenant de ma sortie du jour, j’ai râlé. La montre affichait 293 mètres de dénivelé positif. J’aurais bien voulu faire les 300. Alors, j’ai repassé mentalement la séance en boucle, cherchant les micro-erreurs qui m’avaient fait manquer ces fameux sept mètres. Je les ai trouvées.

    Et puis, j’ai décidé d’arrêter de râler. 
    De me concentrer sur le positif de cette sortie, sur le plaisir que j’en avais retiré. La fraîcheur du matin, les lueurs sur les sommets encore enneigés, le soleil qui s’extrayait timidement de derrière les montagnes. 

    Parce qu’après tout, c’est bien après ça que je cours.

  • Juliette Becquet, hydroécologue à la tête du projet « Downstream »

    Juliette Becquet, hydroécologue à la tête du projet « Downstream »

    2025 a été désignée « année internationale de la préservation des glaciers » par l’ONU, un moyen de souligner l’urgence à laquelle ces géants font face. Puisque les glaciers du monde entier devraient perdre entre 20 % et 52 % de leur masse d’ici 2100, et ceux des Alpes pourraient avoir presque disparu. Un phénomène qui affecterait profondément les ressources en eau douce et la biodiversité. C’est ce que met en lumière le projet Downstream, porté par Juliette Becquet. L’objectif ? Mettre en évidence l’impact du recul des glaciers sur trois grands fleuves alimentés par ces derniers : le Rhône en Europe, le Columbia en Amérique du Nord et le Waitaki en Nouvelle-Zélande. Bien que géographiquement éloignés, ces cours d’eau partagent des défis communs liés à la fonte des glaciers, à la gestion des ressources en eau et à la perte de biodiversité.

    encordées :
    Quel a été ton rôle dans le projet Downstream ? 

    À l’origine, le projet Downstream n’était pas destiné à être un film, mais un projet de recherche. Protect Our Winters (POW) m’a contactée pour savoir si j’étais intéressée à prendre le lead sur la partie scientifique du projet, ce que j’ai accepté. Ce n’est que quelques mois plus tard, lorsqu’il a fallu réfléchir à la manière de médiatiser le projet, qu’ils ont décidé de créer un film. Huw James, le réalisateur, a été contacté, tandis que de mon côté, j’ai dû trouver des personnes à interviewer. POW pensait que ce serait une bonne idée que je sois la « conductrice » du film.

    Mon rôle principal dans le projet Downstream a été d’écrire le livre blanc, disponible en ligne. Ce livre de 60 pages est une revue bibliographique qui rassemble tous les faits scientifiques liés au climat, aux glaciers et à l’eau. Bien que la revue soit assez survolée, elle est beaucoup plus détaillée que ce qui apparaît dans le film. C’est grâce à ce livre blanc que Protect Our Winters peut utiliser le projet Downstream comme un outil de sensibilisation et de discussion pour plaider en faveur d’actions pour le climat.

    En tant que scientifique, j’aurais aimé que le film dure deux heures et que l’on puisse entrer davantage dans les détails [le film dure 26 minutes, ndlr]. Cependant, l’objectif de Protect Our Winters était avant tout de sensibiliser et d’ouvrir à la discussion sur les divers enjeux liés au retrait des glaciers. Nous avons des dizaines d’heures d’interviews, mais le but était que ce soit facile à regarder. Le film permet au spectateur de se dire : « Je m’intéresse aux vignobles suisses ou aux saumons du nord de l’Amérique, alors je vais aller approfondir ces sujets dans le livre blanc. » De plus, les interviews complètes sont disponibles en ligne.

    encordées :
    Le grand public a souvent une vision assez lointaine des glaciers, surtout pour celles et ceux qui ne pratiquent pas la montagne. Comment rendre cette cause plus concrète ?

    L’objectif du film est de faire prendre conscience aux gens, qu’ils vivent à la mer, en montagne ou en ville, que les glaciers n’impactent pas uniquement les vies des habitants dans les dix premiers kilomètres en aval des vallées. Leur influence se fait sentir à des centaines de kilomètres en dessous, affectant des secteurs aussi cruciaux que la politique énergétique d’un pays, l’approvisionnement en eau potable, et même l’agriculture.

    Comment peut-on concrètement prendre conscience de cette réalité ? Déjà, en regardant le film Downstream, peut-être. Mais aussi en se renseignant, car l’information est disponible partout. Je conseille vivement à chacun de se plonger dans ces sujets.

    encordées :
    Quelles actions peut-on mettre en place, à notre échelle, pour préserver les glaciers ?

    Il existe des actions individuelles essentielles. D’abord, notre rôle en tant que citoyens est crucial. Consommer moins et faire durer ce que l’on a le plus longtemps possible est un pilier fondamental. Ce n’est pas une question de jeter des objets ou d’acheter des produits bon marché tous les deux ans. Il est bien plus pertinent de privilégier des matériaux de qualité et de les faire durer.

    Ensuite, il y a des aspects liés à notre alimentation. J’ai vu passer un article sur France Inter qui expliquait que si tous les Français réduisaient de moitié leur consommation de viande, nous atteindrions les objectifs climatiques du pays. Ce geste, pourtant simple, a un impact significatif.

    Et bien sûr, il y a la question du transport et des énergies fossiles. Rien de nouveau à ce sujet, mais il faut continuer à le répéter : les énergies fossiles sont le principal facteur du changement climatique. Cela implique de limiter nos déplacements, d’optimiser nos trajets, et de ralentir, tout simplement. 

    Ces actions individuelles sont importantes, mais elles ne suffisent pas à elles seules. Il est désormais largement admis que des changements doivent aussi se produire à une échelle plus large. Une poignée de personnes très riches dans ce monde sont responsables d’une grande part du réchauffement climatique. Même si nous agissons tous individuellement, cela peut ne pas être suffisant. Ce n’est peut-être même pas le levier principal. Les scientifiques s’accordent à dire qu’il faut des décisions politiques courageuses et drastiques. Et même si cela semble difficile, je pense que ce n’est pas illusoire. Lorsque l’on voit les mesures prises pendant la crise du Covid, il est possible de croire que des décisions tout aussi fortes peuvent être prises à l’échelle mondiale.

    Et depuis que je m’intéresse à la philosophie et à l’humain, j’ai envie de dire qu’on ne peut pas changer pour du « moins bien ». À mon avis, si on veut vraiment changer, il faut qu’on y trouve du positif. Au début, cela peut faire peur de privilégier le train plutôt que la voiture, mais je suis convaincue qu’on sera plus heureux dans une société qui ralentit, où l’on voyage moins, où l’on consomme moins, où l’on se compare moins. Et je pense que tout ça passe par un véritable questionnement sur nos vies, sur ce qui nous rend vraiment heureux, et sur le sens de nos relations. C’est souvent par cette réflexion que je termine mes discussions autour de « Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? »

    encordées :
    On parle souvent de réinventer les imaginaires collectifs, n’est-ce pas ?

    Oui, exactement. Et dans cette perspective, j’admire beaucoup Cyril Dion, qui incarne parfaitement cette idée : « Oui, il faut évidemment stopper ce qui ne va pas, mais il est absolument nécessaire de créer quelque chose de nouveau, quelque chose qui rende les gens heureux, parce que sinon, c’est juste déprimant ». C’est évident. Donc oui, il s’agit de réinventer nos imaginaires, de créer des films qui racontent autre chose que des histoires d’apocalypse, des séries qui proposent de nouvelles façons de vivre.

    Et le rôle du citoyen est aussi d’aller voter en faveur de ces changements. Mais pour cela, il faut se ré-intéresser à la politique. Les politiques ont vraiment une grande marge de manœuvre. Et tout cela demande une implication du monde économique, pour s’orienter vers des pratiques comme l’économie régénérative, l’hydrologie régénérative, ou l’agriculture régénérative. Il s’agit de produire ou d’avoir des activités économiques qui ne visent plus uniquement à faire de l’argent, mais à protéger, voire restaurer la nature, tout en maintenant une économie stable. Et ce n’est pas une utopie. C’est tout à fait possible.

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    Et concrètement, c’est quoi l’agriculture régénérative ?

    L’agriculture régénérative n’a pas de définition exacte, mais c’est un terme qui désigne un ensemble de pratiques agricoles visant à régénérer l’environnement. L’objectif est d’être efficace, bien sûr, en produisant des récoltes, mais tout en prenant soin de la nature, notamment en préservant la santé des sols. Il ne s’agit pas de voir l’espace agricole simplement comme une surface de production, mais comme un écosystème complet dans lequel la production s’intègre harmonieusement.

    En Nouvelle-Zélande, par exemple, des fermiers réfléchissent à la sélection des espèces végétales à planter en fonction du climat du moment, ce qui peut sembler classique. Cependant, leur approche va au-delà : ils s’efforcent de régénérer les sols pour qu’ils contiennent davantage de matières organiques. Un sol riche en matière organique retient mieux l’eau et joue ainsi son rôle de tampon face aux sécheresses ou aux inondations.

    Il s’agit aussi de ralentir le cycle de l’eau, un principe de l’hydrologie régénérative, défendu par des chercheurs comme Charlène Descollonges. Cela peut passer par des actions simples comme la plantation d’arbres, qui, de manière naturelle, aident à retenir l’eau dans l’écosystème. À l’origine, la nature savait faire tout cela seule.

    encordées :
    Tu es docteure en hydroécologie, qu’est-ce qui t’a menée à cette spécialité ?

    J’ai toujours voulu être scientifique, passionnée par la nature et les sciences. C’est en découvrant l’écologie scientifique lors de mon DUT à Lyon que j’ai trouvé ma voie. Je rêvais de travailler à Asters, le conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie, peu importe le sujet, même si j’étais plus attirée par les insectes ou les grands animaux. Finalement, j’ai travaillé avec le glaciologue Jean-Baptiste Bosson sur les lacs sentinelles, ce qui m’a beaucoup plu. L’enjeu était d’améliorer la compréhension du fonctionnement et des menaces qui pèsent sur les lacs d’altitude, afin de mieux les préserver. Cela m’a donné l’envie de poursuivre mes études en faisant une thèse sur les rivières de montagne, un sujet où l’écologie se mêle à l’hydroécologie.

    L’hydroécologie, c’est une sous-discipline de l’écologie appliquée aux milieux aquatiques. C’est l’étude des interactions entre l’environnement et les organismes, ainsi qu’entre les organismes eux-mêmes, dans les écosystèmes aquatiques. Cela m’a ouvert les yeux sur les problématiques auxquelles font face les bureaux d’études. Je me suis orientée vers cette voie parce que la science et la nature m’ont toujours passionnée, et mon choix d’orientation n’a jamais été une question à la maison.

    encordées :
    Tu as grandi en montagne, quel est ton rapport à cet univers ?

    J’ai grandi à Thyez, une petite ville près de Cluses, dans la vallée de l’Arve, avec la station de ski la plus proche, le Praz de Lys, à côté des Gets. Je suis née là-bas, et dès l’âge de deux ans, mes parents m’emmenaient skier au Praz de Lys. Puis, pour occuper mes mercredis après-midi, je suis allée au ski-club avec mes copines. Comme j’étais plutôt douée, j’ai commencé la compétition avant de me diriger vers le métier de monitrice de ski. Pour cela, je suis allée à Chamonix, où j’ai suivi trois années de formation entre monitrice de ski et baccalauréat général SVT. C’était une expérience enrichissante, mais aussi un peu challengeante à l’époque, car les mentalités n’étaient pas aussi ouvertes qu’aujourd’hui. Je me sentais parfois déconnectée des idées dominantes, mais je pense que cela évolue maintenant. À Chamonix, c’est difficile d’ignorer les impacts du changement climatique. Tout le monde voit que les guides de montagne doivent réajuster leurs itinéraires. C’est compliqué aujourd’hui d’être climato-sceptique quand on vit dans cette région. Même si, je crois, il en existe encore.