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  • L’art de grimper vite ensemble (acte II) : Laura Pineau et Kate Kelleghan entrent dans la légende du Yosemite

    L’art de grimper vite ensemble (acte II) : Laura Pineau et Kate Kelleghan entrent dans la légende du Yosemite

    Il y aura un avant et un après Laura Pineau et Kate Kelleghan, c’est indéniable. La cordée franco-américaine vient de réaliser une performance historique : venir à bout de la Triple Crown, un enchaînement mythique des trois big walls du Yosemite, jusque-là réservé à une poignée de cordées masculines. Une première féminine, réalisée en 23 heures et 36 minutes sous des conditions météo menaçantes, fruit d’un entraînement millimétré, d’une véritable osmose et d’une détermination sans faille. Laura nous avait parlé de ce projet en mars dernier. Son ambition était claire : faire connaître l’histoire des femmes et de l’escalade de vitesse au Yosemite. « Cette ascension pourrait inspirer plein d’autres femmes » avait-elle confié. Mission accomplie.

    Laura Pineau. Retenez bien ce nom. Car il ne fait aucun doute que vous allez l’entendre souvent au cours des prochaines années. Surnommée « mademoiselle fissure », c’est une athlète qui monte. Haut. Et vite. Encordées l’avait rencontrée dans la Valle dell’ Orco, dans un van au pied de Greenspit, une voie qu’elle venait d’enchaîner la veille, signant au passage la 2e répétition féminine. « Cela fait sept ans que je grimpe », nous avait-elle alors confiée. « J’ai commencé par le psicobloc, au-dessus de l’eau, pas très loin de chez mes parents à Toulon, dans un endroit où j’allais quand j’étais petite pour sauter des rochers avec mes copains. Un jour, j’ai rencontré un grimpeur qui s’appelait Fred. Il m’a emmenée pendant quatre heures faire le tour des falaises. C’était vraiment génial, et très addictif, je dois bien l’admettre ».

    La grimpeuse de 24 ans n’a depuis jamais arrêté de grimper, oscillant entre la France et les Etats-Unis. Là-bas, elle a notamment rencontré Brittany Goris, l’une des meilleures grimpeuses de trad naturellement devenue son mentor dans la discipline. Puis Kate Kelleghan, adepte de big walls et de speed climbing, ou escalade de vitesse, une discipline qui trouve toute sa place aux États-Unis, mais qui reste encore marginale en Europe. Avec elle, Laura a signé ce printemps le record féminin de la voie mythique Naked Edge, dans le Colorado : cinq longueurs, comprenant certains passages où la chute n’est tout simplement pas permise, avalées en 37 minutes et 8 secondes. Le fruit d’une réelle complicité entre les deux grimpeuses, ainsi que d’une communion avec une communauté unie par cette pratique.

    Le triptyque de la légende : El Cap, Half Dome, Watkins

    Mais Naked Edge, ce n’était que l’échauffement avant un gros projet que Laura et Kate avaient tenu à garder secret. La grimpeuse française en avait tout de même parlé à encordées au printemps, avec un enthousiasme sans pareille : la Triple Crown. Un enchaînement extrêmement ambitieux, véritable rite de passage pour les grimpeur.ses de vitesse au Yosemite. L’idée est aussi claire que vertigineuse : 3 ascensions d’ampleur (El Capitan, le Half Dome, le mont Watkins) soit environ 72 longueurs pour 2200 mètres d’escalade. Ajoutez à cela environ 30 kilomètres de randonnée (entre les trois itinéraires). Une invention signée Dean Potter et Timmy O’Neill, en 2001. Depuis, seules une dizaine de cordées masculines en sont venues à bout.

    « L’objectif c’est de le faire in a day, en moins de 24 heures » nous avait confié Laura fin mars. « Mais quoi qu’il arrive, même si on le fait en 26 heures, on sera les premières femmes à y arriver. Aucune femme n’a encore enchaîné les trois ascensions d’un coup, même en 48 heures. Mais avec Kate, on aime cette idée de vitesse. D’autant que tous les mecs qui ont signé la Triple Crown, l’ont fait en moins de 24 heures. Arriver au bout de 26 heures, ce serait super dur psychologiquement. C’est pour ça qu’on va vraiment s’entraîner sur les trois big walls séparément pour savoir le temps que l’on va mettre sur chaque sommet ». Et c’est ce qu’elles ont fait. Comme on a pu le voir sur leur compte Instagram. 

    Des « doublettes » en salles aux parois du Yosemite

    Mais avant d’arpenter les parois du Yosemite, Laura s’est entraînée en France. À raison de « doublettes ». L’idée ? « Tu grimpes une fois une fois, l’autre tire la corde et tu repars directement » explique-t-elle. « À chaque séance d’escalade je faisais à peu près 20 longueurs ». De quoi gagner en endurance. Ajoutez à cela des grosses journées de marche, avec beaucoup de dénivelé. 

    Et puis avec Kate, venue en France à l’occasion, elle a profité du soleil de Toulon pour enchaîner des grandes voies. Un moyen pour les grimpeuses d’apprendre à mieux se connaître. « Ca nous a aussi permis de découvrir les habitudes de l’autre » nous a raconté Laura. « Moi par exemple je me couche tôt. Tandis que Kate, elle aime se coucher à minuit, une heure du matin. Elle n’a pas besoin de manger le matin, moi à huit heures je me lève je mange tout de suite ». Elles se sont ensuite envolées dans le Colorado pour s’entraîner en altitude. Le début de journées à rallonge, chronomètre au poignet, chaussons aux pieds et cardiofréquencemètre autour du bras, qui les ont conduites à tenter l’enchaînement de la Triple Crown dimanche 8 juin. Et de définitivement inscrire leurs noms dans l’histoire de l’escalade.

  • L’art de grimper vite, ensemble : Laura Pineau nous raconte son record sur Naked Edge

    L’art de grimper vite, ensemble : Laura Pineau nous raconte son record sur Naked Edge

    Le speed climbing, ou escalade de vitesse, est une discipline qui trouve toute sa place aux États-Unis, mais qui reste encore marginale en Europe. Loin de se résumer à une simple quête de performance, il s’agit d’un véritable moment de partage. C’est ce que Laura Pineau et Kate Kelleghan ont vécu en battant récemment le record féminin de la voie mythique Naked Edge, dans le Colorado, en 37 minutes et 8 secondes. Un record qui est avant tout le fruit d’une complicité profonde entre les deux grimpeuses, ainsi que d’une communion avec une communauté unie par cette pratique. Un esprit qui les accompagnera sans aucun doute cet été, dans le Yosemite, lors de leur prochain projet qu’elles gardent encore secret. Mais dont on imagine déjà l’envergure.

    Imaginez-vous sprinter jusqu’au pied d’une falaise, grimper cinq longueurs le plus vite possible, avec certains passages où la chute n’est tout simplement pas permise… Puis arriver au sommet, lover la corde en un temps record, et redescendre jusqu’au point de départ — toujours en sprintant. Épuisant, non ? C’est ça, le speed climbing, autrement dit l’escalade de vitesse à l’américaine. Une Française, Laura Pineau, étoile montante de l’escalade traditionnelle, s’est frottée à cette pratique. Avec brio. Aux côtés de l’Américaine Kate Kelleghan, elle signe un nouveau record féminin — et pas des moindres : le duo a avalé les cinq longueurs de Naked Edge, une voie mythique au cœur du Colorado, en 37 minutes et 8 secondes. Mais au-delà du chrono, c’est une aventure de grimpe, de confiance et d’amitié que nous raconte Laura Pineau.

    encordées :
    Le speed climbing, ça parle assez peu en Europe…

    Je suis totalement d’accord. C’est vrai que si je n’étais jamais allée dans le Yosemite, je n’aurais jamais découvert le speed climbing. Je pense que c’est quelque chose de très propre à cet endroit, lié à son histoire, et à cette idée de grimper les big walls le plus vite possible, en une journée.

    The Nose a par exemple été d’abord gravi en plusieurs jours. Quelques années plus tard, une équipe de trois a mis seulement vingt-trois heures. Puis le record est passé à quinze heures, à dix heures, etc. Il y a vraiment toute une communauté de grimpeurs qui a créé une émulation autour de ces records de vitesse. L’idée, c’est toujours d’aller plus vite, d’être plus efficace. Peut-être que ça vient aussi du fait que les Américains ont une culture très tournée vers la compétition… Encore que. Je ne suis pas sûre que ce soit vraiment le cœur de la motivation des pratiquants du speed climbing. Je pense qu’il y a surtout une vraie communauté de passionnés de ces voies-là. C’est pour ça qu’ils y retournent encore et encore. Et quitte à les faire plusieurs fois, autant essayer d’être le plus efficace possible — et d’aller le plus vite possible.

    Aller vite, ça demande énormément de confiance et de synchronisation avec ton partenaire de cordée. C’est hyper intéressant, et vraiment grisant, de grimper avec quelqu’un avec qui tu n’as même plus besoin de parler. Avec Kate, à la fin, lors de notre neuvième essai, quand on a battu le record, je savais exactement à quel moment elle allait poser les coinceurs, lesquels elle allait utiliser, quand les micro-tractions allaient être placées, etc.

    encordées :
    Ça va finalement bien au-delà de la performance, non ?

    Oui, tout à fait. Kate n’arrêtait pas de me parler de Naked Edge. Je pense qu’elle avait vraiment vécu un truc fort avec Becca quand elles ont battu le record [en grimpant la voie en 37 minutes et 40secondes, ndlr]. Elle me disait que c’était l’objectif parfait pour nous, pour nous entraîner en vue de nos projets de l’été. Car l’idée, à la base, ce n’était pas de battre le record, mais simplement de s’entraîner. Et petit à petit, à force de s’entraîner, notre temps a commencé à diminuer… Et quand on est passées sous l’heure, Kate a su qu’on allait finir par battre le record.

    Quoi qu’il en soit, c’était un super entraînement. Parce que dans Naked Edge, il y a des passages en free solo où tu n’as juste pas le droit de tomber. D’autres moments où il n’y a plus que deux coinceurs entre nous deux, et là non plus, tu ne peux pas tomber. Et ça va être pareil cet été dans le Yosemite. Cette voie, c’était comme une petite étape symbolique avant le gros objectif. Car ça fait tellement longtemps qu’on s’entraîne pour cet été… Depuis Greenspit, pour moi. Donc depuis novembre, je pense à cet objectif tout le temps. Alors réussir ce petit truc entre deux, c’est cool. Ça nous donne un peu de confiance pour la suite.

    encordées :
    Comment s’est déroulée la journée où vous avez établi le record ? 

    Le jour où on a battu le record, on a commencé par grimper 200 mètres dans la voie en guise d’échauffement. Ensuite, on a lancé notre premier vrai essai — effort max, 200 mètres. On a raté le record… de 10 secondes. On était hyper frustrées. Lorsque l’on est rentrées chez Kate, on avait en tête d’aller grimper sur une autre falaise l’après-midi pour continuer à s’entraîner. Puis on a regardé la météo : de la pluie était annoncée. Là, on a eu un déclic, on s’est motivées à retourner dans Naked Edge.

    À 15h30, on est reparties dans le canyon. On a grimpé sur Wind Tower, deux-trois longueurs tranquilles, du 5a, juste pour se remettre dans le rythme. Cette fois-ci, j’avais décidé de courir directement en chaussons d’escalade, avec mes TC Pro. Parce que lors de l’essai précédent, les enlever puis les remettre m’avait fait perdre facilement 30 secondes.

    Après cet échauffement, d’autres amis nous ont rejoints. On avait aussi invité Lynn Hill plus tôt dans la journée… et elle est venue. C’était incroyable. Juste sa présence, c’était une source de motivation en plus. Deux ou trois fois pendant la voie, je me suis dit : « T’as Lynn Hill en bas, tu peux pas lâcher, donne tout. » Parce qu’à ce moment-là, quand tu recommences à sprinter, tu sens bien que tes jambes ne sont plus aussi fraîches qu’en début de journée.

    Mais quand on est arrivées au pied de la paroi, on avait 30 secondes d’avance. Alors on s’est dit : on peut le faire. Kate est partie à fond. Quand je suis arrivée en haut, j’ai vite enlevé le Grigri, j’ai dépassé Kate pendant qu’elle lovait la corde pour la garder bien sur elle en descendant. Et comme j’avais gardé mes chaussons, j’étais un peu en avance.

    J’ai commencé à sprinter. Le principe, c’est que la première ne doit pas se faire rattraper par la deuxième, et que la deuxième essaie de rattraper la première. C’est un vrai jeu entre nous. Une espèce de compète qui nous pousse à aller plus vite, chacune pour motiver l’autre. J’arrive la première, je touche la plaque. Et là, Kate arrive en sprintant comme jamais. Son copain avait crié « one minute ». Elle a arrêté de réfléchir. Elle a juste couru. Elle a fait le sprint de sa vie. Et quand on a compris qu’on avait réussi, c’était une joie immense. Parce que quand tu donnes tout ce que t’as, que t’es au bout de toi-même… t’as un rush d’adrénaline complètement dingue.

    encordées :
    Je me souviens quand on avait échangé après Greenspit en octobre. C’est beau de voir que ton énergie et ta passion payent. 

    C’est vrai que de beaux projets arrivent pour cet été. J’ai hâte. Ça fait des mois que je pense à ce qu’on va faire avec Kate dans le Yosemite. Mais j’ai aussi compris que je ne pourrais pas faire ce job à temps plein. Quoi qu’il arrive. Pour l’instant, je n’ai pas d’autre travail à côté, mais je trouve qu’avoir un job à distance, à mi-temps, en parallèle de l’escalade, ça crée un vrai équilibre. Tu bosses sur autre chose, dans une autre équipe, tu es stimulée autrement. Ce que je voudrais, c’est un job à temps partiel, à distance, pour pouvoir continuer à voyager où je veux.

    Et à côté de ça, avoir un sponsor comme La Sportiva, c’est vraiment précieux. Ils ne me mettent aucune pression. Ils ne me demandent pas de leur envoyer 40 photos par an ou 2 réels par mois. Leur modèle, c’est : on croit en toi, en tant qu’athlète.Leur idée, c’est « va grimper ce que tu veux. Ne prends jamais de risques pour nous. On ne te demandera jamais de faire un truc que tu ne veux pas faire ». J’ai trouvé ça génial qu’ils me disent ça. Ils veulent juste être là, derrière moi, pour m’aider à réaliser mes rêves. Ils croient en moi, pas seulement comme grimpeuse, mais aussi comme personne. Et ça, je l’ai senti très fort, dès les premiers échanges que j’ai eu avec eux. On sent que c’est une entreprise familiale, avec des vraies valeurs.