Étiquette : femme

  • « Maintenant ou jamais »

    « Maintenant ou jamais »

    Il n’y a pas d’âge pour s’élancer, et Jayne le prouve chaque jour. À 65 ans, elle incarne la liberté, le courage et l’envie de ne rien remettre à demain. Son histoire, c’est un rappel précieux : vivre, c’est vouloir vivre – peu importe l’âge, peu importe les peurs.

    « Regardez les gars comme Jayne vous met la pâtée ! » 

    Je souris, puis rétorque : « On n’a jamais dit que c’était une compétition ! La clé, c’est la collaboration. Avancer tous et toutes ensemble, n’est-ce pas ? »

    Pourtant, c’est vrai : Jayne leur met sacrément « la pâtée » aux gars.

    À 65 ans, Jayne cavale dans la via ferrata des gorges du Durance. Elle cavale parce qu’elle a de plus en plus l’habitude de la verticalité. Et qu’elle n’a pas peur, ou elle la maîtrise vraiment bien, cette appréhension du vide. 

    L’important, c’est de partager un moment de montagne à plusieurs, nous sommes bien d’accord, mais Jayne, première de cordée, avouez que ça a de la gueule ! 

    Sans doute parce que rien n’était écrit d’avance. C’est ce qu’elle m’a raconté quelques jours plus tard : « Je m’occupais des enfants à la maison. Mike [son mari, ndlr] avait le rugby, on allait le voir jouer le week-end. Je ne me suis jamais trop posée d’autres questions. »

    Puis un jour, sa belle-fille lui a proposé d’enfiler un baudrier. 

    Une main tendue qui lui fait réaliser que c’était « maintenant ou jamais ». 

    Jayne, elle est britannique, alors elle dit : « Now or never ». 

    Cette allitération en « n » confère une belle musicalité à cette phrase, que l’on ne retrouve pas dans la langue française. 

    « Now or never ». 

    Il y a un sentiment d’urgence. 

    Une peur, une nécessité. 

    Mais aussi une promesse. 

    La promesse de ne plus remettre à demain. 

    De ne pas attendre que tout soit parfait, que le courage arrive.

    La promesse de se lancer, même quand on a peur, même quand on n’est « pas prête ».

    Parce qu’attendre, c’est déjà renoncer un peu. 

    « Voir les enfants [son fils et sa belle-fille, ndlr] bouger partout, être dehors, m’a donné envie de faire pareil. » m’a avoué Jayne. « Alors voilà, je le fais ». 

    « On trouve toujours une solution » 

    « Jayne, c’est une force de la nature » m’a dit sa belle-fille. « Tu sais qu’elle part faire du vélo toute seule ? Elle prend le train, et s’en va, pour une journée. » 

    J’ai demandé à Jayne de m’en dire plus sur ses aventures à deux roues. C’est alors que j’ai réalisé qu’elle avait les mêmes peurs que moi : la solitude, la crevaison… Et que le plus difficile, même si elle ne me l’a pas dit, ça devait être de fermer la porte, son vélo à la main, pour dire à Mike, son mari : « À toute à l’heure ».

    Puis de monter dans le train. 

    « J’ai compris que l’on trouve toujours une solution, quelqu’un de bienveillant sur le bord du chemin, quoiqu’il arrive », conclut Jayne.

    C’est alors que je me suis dit : « Pourquoi ne pas partir sur les chemins des Hautes-Alpes à vélo avec Jayne ? Ce serait le moyen idéal de poursuivre cette histoire débutée à flanc de falaise ». 

    J’avais peur qu’elle me mette « la pâtée » à vélo, Jayne. 

    Alors j’ai tout donné, elle aussi. 

    Et je crois bien que l’on était bien fières d’avoir ajouté une jolie aventure à nos vies respectives. 

    Vivre, c’est vouloir vivre

    Une pensée ne m’a pas quittée sur le vélo : « J’aimerais tellement être comme Jayne, au même âge. » 

    Mais pour tout vous dire, je me rends bien compte que ces histoires d’âge, c’est une bien belle connerie. Car ce qui importe, c’est ce qu’il y a dans le coeur, cette irrépressible envie de découverte, de rencontres, d’aventures. 

    Le poids des années ne peut rien faire face à la volonté. 

    Merci, Jayne, pour ce doux rappel.  

    Jayne à vélo dans les Hautes-Alpes @Coralie Havas
    Jayne à vélo dans les Hautes-Alpes @Coralie Havas
  • Une grande famille 

    Une grande famille 

    Grimpeuses, c’est une « safe place ». Une association qui, depuis sept ans, fait la part belle à la sororité. Une respiration, façon « colonie de vacances », où l’escalade devient le prétexte idéal pour se retrouver, refaire le monde, s’épanouir et simplement se faire du bien. J’étais à Paris lors de leur dernier événement. Voici le récit de ce week-end, en toute subjectivité.

    5h00. Le réveil sonne.

    Je tourne la page de mon éphéméride :
    « Vendredi 3 octobre.
    Avec qui aimeriez-vous partir sur un coup de tête ? »

    La question me fait sourire. J’y vois un signe : je suis sur le bon chemin.

    Ça y est, j’y vais, à Grimpeuses.

    Une décision prise hier, sur un coup de tête, lorsque j’ai compris que ma naissante tristesse n’était pas qu’une histoire de SPM : je voulais être de la partie, celle écrite par mes amies à Paris ce week-end.

    @Coralie Havas
    Salomé & Clémence, deux bénévoles Grimpeuses
    @Coralie Havas

    Créer quelque chose ensemble, ce n’est pas rien

    Grimpeuses a été ma « safe place ». Un environnement bienveillant dans lequel je me suis épanouie en tant que personne.

    Ces années de bénévolat m’ont énormément appris. C’est pourquoi je serai toujours profondément reconnaissante envers cette association, que j’ai vue grandir aux côtés de Caroline Ciavaldini, sa fondatrice, pour tout le bagage de confiance qu’elle m’a apporté.

    Mais mon aventure Grimpeuses, c’est avant tout des émotions partagées. Avec les autres bénévoles, bien sûr, mais aussi avec les participantes, les coachs et tous les locaux. Elle est là, l’âme de Grimpeuses.

    C’est ce que je retiens de ces six années d’engagement.

    La page « bénévolat » n’a pas été facile à tourner. Les visios avec les autres membres de l’asso ont cessé de rythmer mes soirées. Il en va de même pour les dizaines de messages WhatsApp quotidiens. Sans parler de cette émulation permanente. Car créer quelque chose ensemble, ce n’est pas rien, croyez-moi.

    Mais « passer à autre chose » était nécessaire. Un choix, le mien, parfois difficile à assumer – surtout à l’approche des événements.

    Ensemble, c’est tout

    6h06. Le train démarre. Je suis heureuse.

    Heureuse à l’idée du week-end qui s’annonce. Le programme est simple : je vais passer du temps avec mes amies. Elles seront nombreuses à se retrouver autour de cette association – qui restera à jamais dans mon cœur. Aucun doute : ma place est à leurs côtés.

    Alors voilà, je suis en route pour Paris avec ma fidèle acolyte, Caro. Huit heures de transport, trois trains, un bus, la France à traverser… et un monde à refaire, ensemble. Une formalité.

    L’avantage du coup de tête, c’est qu’il laisse place à la spontanéité. C’est ainsi que j’ai choisi de vivre Grimpeuses cette fois-ci : en me laissant porter.

    J’avais pourtant le choix entre plusieurs casquettes : journaliste indépendante, fondatrice d’encordées, photographe, participante, bénévole ou amie. En adopter une seule aurait été bien réducteur. Alors j’ai choisi de passer le week-end en mode hybride, électron libre.

    @Sonia Charapoff
    Alice, coache à Grimpeuses, et une participante
    @Sonia Charapoff

    De la sororité

    « Elles sont où, ces femmes, dans la vraie vie ? »

    La question, posée par Victoire – une participante devenue amie -, m’avait fait sourire. Parce que je me l’étais posée, moi aussi, le 15 septembre 2018, à l’issue de la première journée Grimpeuses.

    Elle revient aujourd’hui dans mon esprit, sept ans plus tard, alors que je refais le monde avec une participante au pied d’un bloc. Nombreuses sont mes plus belles amitiés à avoir commencé ainsi.

    Il y a vraiment quelque chose de spécial à Grimpeuses, depuis le début. J’ai longtemps été incapable de mettre des mots dessus.

    Aujourd’hui, je parlerais de sororité : « une relation horizontale, sans hiérarchie ni droit d’aînesse, un rapport de femme à femme », selon l’autrice Chloé Delaume. En résumé, à Grimpeuses, nous avons toutes à apprendre les unes des autres. Ça, on n’en a jamais ouvertement parlé, mais on l’a toutes intériorisé.

    Cette réflexion m’est venue lors de la deuxième journée de l’événement parisien, dans la forêt de Fontainebleau, quand les rayons du soleil traversaient les arbres pour venir éclairer les visages heureux des participantes évoluant sur les blocs de grès.

    Une participante sur les blocs de Fontainebleau
    @Louise Dallons-Thanneur

    L’ambiance m’a ramenée à 2018, lors du premier événement qui s’était déroulé sur les blocs de La Capelle. Une nostalgie heureuse, une conclusion identique : Grimpeuses me fait du bien, me recentre.

    Et je ne suis pas la seule.

    Éline Le Menestrel, coach à Paris cette année, me l’avait dit la veille : « Merci, j’avais besoin de ça. »

    @Coralie Havas
    Eline Le Menestrel en plein coaching à Grimpeuses
    @Coralie Havas

    « Safe place »

    On s’est souvent moqué de mon implication à Grimpeuses, par le passé. « Tu devrais travailler à te construire un avenir plutôt qu’à organiser bénévolement des réunions Tupperware », m’a-t-on répété.

    Une remarque sexiste, visant à rabaisser un événement créé par des femmes et pour des femmes, à quelque chose de trivial, domestique et sans importance.

    Certes, Grimpeuses ne changera pas le monde. Mais il est indéniable que cette association a réussi, le temps d’un week-end, à créer un environnement propice à l’épanouissement de soi, en toute bienveillance, pour une soixantaine de personnes. Et ça fait du bien de savoir que de telles « safe places » existent encore dans un monde de plus en plus divisé.

    Merci Grimpeuses pour ces tranches de vie – et de rires aussi.
    Merci Grimpeuses pour les rencontres avec « tata Sonia », « maman Bao », Victoire, Louise, Alix, Salomé, Sarah…
    Merci, Grimpeuses, de m’avoir aidée à grandir.

    Au revoir.
    À bientôt.

  • Plus fortes que les hommes, vraiment ?

    Plus fortes que les hommes, vraiment ?

    En célébrant la domination de Janja Garnbret dans l’une de ses dernières vidéos, Le Monde relance le débat : les femmes peuvent-elles être plus fortes que les hommes ? Une question qui en dit long sur notre manière de penser l’égalité… et sur les limites d’un modèle de performance calqué sur celui des hommes.

    Ce n’est pas souvent que les journalistes du Monde s’intéressent au microcosme de l’escalade. Ils ont choisi de le faire la semaine dernière, via la mise en scène d’un « duel » hommes/femmes. Une vidéo virale – plus de 130 000 vues sur YouTube – qui réduit la performance des femmes à… une simple comparaison.

    « Plus fortes que les hommes ? » interroge la miniature.

    Avouons-le : nous sommes nombreux·ses à vouloir que cela soit vrai. Ou, à défaut, que les femmes atteignent le même niveau.

    Qui n’a pas envie de voir, à la une d’un magazine, une femme enchaîner un 9c ?
    Ou se hisser sur la plus haute marche du classement général de l’UTMB, par exemple ?

    Des sports où les femmes ont déjà surpassé les hommes, il en existe (contrairement à ce qu’affirme Le Monde dans sa vidéo). Jasmin Paris sur The Spine Race – souvent décrite comme l’un des ultra-marathons les plus difficiles d’Europe – en est l’un des plus beaux exemples. En 2019, la traileuse britannique avait bouclé les 430 kilomètres de cette course en 83 heures et 12 minutes, devançant de plus de 12 heures le premier homme. Même son de cloche du côté de la voile : en 2022, Kirsten Neuschäfer est devenue la première femme à remporter un tour du monde en solitaire sans escale, après huit mois de mer.

    Rappelons d’ailleurs qu’en 1993, une grimpeuse avait déjà marqué l’histoire : Lynn Hill, première à réussir l’ascension en libre du Nose, sur El Capitan. Rien de nouveau, donc, à voir les femmes côtoyer le très haut niveau masculin… même si ces role models ont longtemps été invisibilisées.

    Lynn Hill dans The Nose (1993)
    Lynn Hill dans The Nose (1993)

    Mais il est vrai que l’actuelle « domination » de la grimpeuse slovène Janja Garnbret, à laquelle Le Monde s’est intéressé, apporte un souffle nouveau à la discipline. Ses dix titres de championne du monde inspirent.

    Il en va de même de ses deux titres olympiques.

    « Va-t-elle concourir avec les hommes ? » interroge Le Monde, qui semble nourrir un certain appétit à voir les femmes se rapprocher du très haut niveau masculin en escalade. À cette question s’en ajoute une autre : « À quand le 9c ? »

    Ce à quoi Janja répond : « Ce n’est qu’une question de temps. »

    Une question de temps avant d’égaler les meilleures performances masculines.

    Mais pourquoi notre société semble-t-elle désormais vouloir des surfemmes ?
    Peut-être parce que les surhommes, eux, ne suffisent plus.

    Quid des inégalités structurelles ?

    Vu sous cet angle, on dirait presque que performer serait la manière la plus simple – et la plus efficace – de clore le débat sur les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est ce que semblait suggérer Katherine Choong, grimpeuse suisse auteure de la première grande voie féminine Zahir, dans un récent article de Vertige Media.

    L’argument est pratique. Rassurant, même.

    Mais il masque le travail collectif encore nécessaire.

    Car oui, la performance attire l’attention des médias – l’un des leviers permettant de mettre en lumière la question de l’égalité entre les sexes. Mais elle ne change rien aux inégalités structurelles, qui ont la peau dure : celles qui concernent les salaires, le traitement médiatique, les stéréotypes persistants ou encore l’accès aux infrastructures.

    Que Janja Garnbret concoure avec les hommes – ou qu’elle enchaîne un 9c – ne résoudra pas cette fâcheuse tendance qu’a notre société à mettre des bâtons dans les roues aux petites filles désireuses de prendre les mêmes risques que les garçons.

    Car certes, célébrer des héroïnes a le mérite de créer de puissants modèles féminins, ce qui aide à se projeter. Mais quid de la masse des pratiquantes invisibilisées ? Celles qui passent encore en secondes dans la cordée. Non pas par choix, mais par habitude. Voire même par contrainte.

    Tracer sa propre voie

    Et si, plutôt que de regarder la situation à travers les œillères de la performance – si bien intégrées qu’on en oublie qu’elles restreignent notre champ de vision -, on sortait enfin de ce combat stérile… où la référence demeure l’homme ?

    Pourquoi les femmes devraient-elles chercher à fonctionner comme leurs homologues masculins ?

    Ne serait-il pas temps de cesser les comparaisons ?

    Et de mettre fin à cette course à la performance ?

    Une course dont les règles du jeu ont été définies par des hommes. Pour des hommes.

    Et si, au lieu de faire de l’escalade un terrain d’affrontement social, on laissait aux femmes la liberté de tracer leur propre voie ?

  • « Muga » : la voix d’Ashima Shiraishi, enfant prodige

    « Muga » : la voix d’Ashima Shiraishi, enfant prodige

    Si vous cherchez un film d’escalade où la performance est mise à l’honneur, passez votre chemin. Car dans «  Muga  », le dernier film d’Ashima Shiraishi, enfant prodige désormais âgée de 24 ans, nulle question de cotations. Ici, on ne parle pas d’une grimpe où les chiffres règnent en maître, mais plutôt d’un doux mélange entre spiritualité, art et passion qui nous rappelle à quel point pouvoir s’exprimer pour ces rochers relève du miracle… et nous remet à notre place.

    «  Ces rochers abritent des écosystèmes entiers, logés dans des touffes de mousse accrochées, comme nous, au caillou.
    Nous voyons le rocher comme quelque chose d’inerte, mais il faut se rappeler que lui aussi évolue, qu’il est dynamique, fluide.
    Lorsque nos mains rencontrent le rocher, il faut prêter attention. Écouter.
    Car nous avons entre les mains quelque chose d’ancien et d’extrêmement vivant.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Les rochers dont Ashima Shiraishi nous parle dans « Muga  » (à visionner en fin d’article) sont ceux de Brione, situés dans la vallée du Tessin, en Suisse. Ces blocs, dont la surface a été façonnée pendant des millénaires par les glaciers et les intempéries, sont disséminés au milieu d’une forêt de conifères. Chaque aspérité du rocher, chaque fissure et chaque arête raconte sa propre histoire, si tant est qu’on veuille bien tendre l’oreille pour l’écouter, quitte à entièrement revoir notre rapport à l’escalade… Ce que la grimpeuse nous invite à faire.

    «  Pour moi, l’escalade est un rituel. Un acte créatif.
    Le bloc, une toile vierge.
    Le grimpeur reçoit l’opportunité de converser avec la pierre — pierre inerte, immobile, mais qui s’éveille à travers la chorégraphie de ses mouvements. […]
    Dans l’acte physique, l’esprit trouve le silence.
    Je tends vers l’idéal zen : l’effacement de soi, un pas vers le Muga.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Dans son film, Ashima Shiraishi partage son expérience du « muga  », un état transitoire, libre de tout attachement, de toute attente et de tout désir, dans lequel la grimpeuse semble avoir trouvé un espace pour grimper, mais aussi pour être. Simplement.

    Ce concept zen japonais repose sur l’idée du « rien ». Il nous invite à davantage nous ancrer dans le présent, dans la réalité de ce qui nous entoure. Ainsi, on en apprend davantage sur l’histoire géologique de Brione que sur Ashima Shiraishi, qui cède la place de personnage principal au caillou. Pourtant, il y en aurait des choses à dire sur cette narratrice, l’une des plus grandes grimpeuses de tous les temps.

    «  Mais parfois, le rocher devient un miroir.
    La manière dont on grimpe en dit long sur la façon dont on bouge, réagit et vit dans le monde.
    L’acte physique de saisir le rocher m’apporte une immense joie. Mais paradoxalement, l’esprit doit se détacher, ne rien attendre du résultat.
    Être pleinement présent, c’est se libérer de toute attente, et simplement être dans l’instant singulier.
    Quelle différence y a‑t‑il entre grimper, danser et jouer ?
    Ces mouvements sont motivés par une curiosité profonde, car nous cherchons tous des réponses sur le rocher.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Ce film, certains l’ont vu comme une réponse : celle donnée par une enfant prodige ayant, pendant plusieurs années, disparu des radars, qui écrit aujourd’hui sa propre partition. Car quand on parle d’Ashima Shiraishi, difficile de ne pas convoquer les sacro‑saintes cotations.

    Ashima, c’est l’enfant prodige.

    Après avoir découvert l’escalade à Central Park, elle s’est vite amusée à inscrire son nom dans l’histoire de la discipline, devenant, à 10 ans, la plus jeune grimpeuse à réussir un bloc coté 8B (« Crown of Aragorn  », à Hueco Tanks, au Texas). Trois ans plus tard, elle a signé la première ascension féminine d’un 8C (« Horizon  », au Mont Hiei, au Japon). Parallèlement à d’exceptionnelles performances, la jeune grimpeuse dominait les compétitions internationales chez les jeunes, raflant les titres mondiaux en bloc et en difficulté en 2015 et 2016, avant de s’imposer aux championnats nationaux américains.

    À 16 ans, Ashima figurait déjà sur les radars des plus grandes marques. Arc’teryx, Evolv, Petzl, puis Coca‑Cola Japon ou encore Nikon se bousculaient pour associer leur image à la sienne. Elle n’a pourtant jamais fait figure de femme‑sandwich : exit les posts à gogo et le storytelling bien ficelé sur les réseaux sociaux. Pas son truc.

    À la place, elle a publié, en 2020, un album jeunesse,  « How to Solve a Problem  ». Elle aurait pu y raconter ses exploits. Mais non : la jeune grimpeuse, alors âgée de 19 ans, préfère raconter comment l’escalade l’a aidée à faire face aux obstacles de la vie. Une ode profondément humaine à la vulnérabilité, à l’échec et à la persévérance.

    Vous l’aurez compris : Ashima Shiraishi fait partie de ces grimpeuses qui ont choisi de faire un pas de côté. Au lieu de s’enfermer dans le circuit professionnel, en visant les Jeux olympiques, elle a choisi de poursuivre des études mêlant neurosciences et environnement.

    On le voit dans le film : l’enfant prodige continue de grimper, à sa manière, non pas pour conquérir les blocs les plus difficiles au monde, mais pour les honorer.

    «  J’ai grandi en méditant avant même de commencer l’escalade, et j’ai toujours intégré la méditation comme partie intégrante de ma pratique.
    Et, d’une certaine manière, je pense que l’escalade peut être une forme de méditation.
    Mais aussi, en méditant avant de grimper, je constate que ma conscience corporelle s’éveille davantage. La lenteur et la patience que l’on cultive par la méditation peuvent vraiment aider à remarquer des choses différentes, tant dans son propre corps que sur le rocher.  »

    Ashima Shiraishi, dans « Muga »

    Avec son dernier projet,  »Muga  », Ashima Shiraishi apporte un vent de fraîcheur sur ce que grimper veut dire, loin de toute idée de performance. Ainsi, dans ce film, le spectateur n’est pas qu’un simple consommateur  : il vit, à travers le jeu de sons et d’images, une véritable expérience similaire à ce que la grimpeuse éprouve sur le rocher. «  Je voulais créer quelque chose de plus méditatif, plutôt qu’une œuvre qui apporte un rapide pic de dopamine  », conclut Ashima.

    Objectif atteint.

    Mieux : il donne envie à la plupart d’entre nous de reconsidérer notre rapport à l’escalade.

  • Elles ont traversé les Alpes à pied : « Qu’est-ce qui t’empêche de partir ? » (Éléonore, Via Alpina) 

    Elles ont traversé les Alpes à pied : « Qu’est-ce qui t’empêche de partir ? » (Éléonore, Via Alpina) 

    Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi. 

    Vous vous souvenez d’Éléonore ? Mais si, c’est « la rencontre déclic » qui a permis à Manon et Caro d’être certaines de s’engager sur la Via Alpina. Je vous l’annonce d’emblée, c’est sur elle que je serai la moins objective. Parce qu’avec le temps, Éléonore, c’est devenue une amie. La genre que l’on compte sur les doigts d’une main. 

    Et j’aime beaucoup l’idée de l’avoir rencontrée grâce à la Via Alpina. 

    S’engager

    La Via Alpina, c’est un rêve de gosse. D’ado plutôt. J’ai découvert ça à travers l’alpiniste Patrick Berhault et son livre « Encordé mais libre » (dont est inspiré le nom de ce média d’ailleurs). C’était il y a dix ans, j’étais au lycée, j’avais encore des études à faire, et franchement, je n’avais pas la maturité pour m’engager dans un tel projet. Je sais que c’était un truc « pour plus tard, quand je serai grande ». Voilà, maintenant, il est « plus tard ». Et je suis « grande ». Ce projet est venu toquer à la porte. Je lui ai fait sa place par la petite porte. En l’invitant dans un podcast que j’ai lancé avec une autre amie, Caroline Ciavaldini. 

    Je voulais qu’une invitée nous parle de son expérience sur la Via Alpina. Et comme personne dans mon entourage ne s’était lancé dans ce genre de projet, j’ai tapé sur Google : « femme seule Via Alpina ». C’est comme ça que je suis tombée sur Éléonore. 

    Deux mois plus tard, elle s’est retrouvée face à Caroline et moi. Nous avions toutes un micro à la main. C’était le début d’une belle aventure. 

    Échanger

    Éléonore nous a parlé de son épopée sur la Via Alpina pendant deux heures. On aurait pu rester deux heures de plus. Je n’ai pas encore fait la Via Alpina, mais je peux vous dire que si vous avez ce projet dans le coin de la tête, la rencontre avec Éléonore finira de vous convaincre. Elle impulsera sans doute ce dernier petit élan, celui qu’il vous manquait pour fixer une date. Pour dire : « Là, je pars ». C’est ce qui s’est passé ce jour-là pour moi. « Qu’est-ce qui t’empêche de partir ? » m’a-t-elle demandé.

    Les journalistes, ils n’aiment pas trop quand la personne interviewée commence à leur poser des questions. Ils appellent cela « retourner l’interview ». Moi, j’aime bien quand on me « retourne les interviews », ça veut dire que ce drôle d’exercice se transforme en échange. C’est nettement plus authentique, constructif et enrichissant. 

    Avant de poursuivre sur Éléonore, je vais tout de même vous parler de son histoire avec la Via Alpina – c’est pour ça que vous êtes là, je crois. 

    Barrières mentales

    Éléonore, c’est le genre récidiviste. Quand on lui demande de nous parler de sa Via Alpina, elle nous répond : « Laquelle ? ». Parce qu’elle est partie en 2021 sur l’itinéraire rouge (sens Monaco-Triste), en 2023 sur les itinéraires jaune/vert/bleu (sens Trieste-Monaco) et sur le violet en 2024 (d’Oberstdorf au Triglav). À noter que l’intégralité des itinéraires de la Via Alpina a désormais été regroupée en un seul parcours. 

    Sa première Via Alpina, Éléonore l’a raconté dans un sublime texte, initialement publié dans le magazine du CAF de Villeurbanne, dont voici quelques extraits : 

    « Pour moi, le lancement de ce projet est l’illustration parfaite de l’expression “barrières mentales”. […] Je voyais dans chaque petit obstacle une barrière qui remettrait inévitablement en question l’intégralité du projet. Mais à partir du moment où ma décision fut prise, ces barrières se volatilisèrent avec une facilité déconcertante dès l’instant où je les abordai.

    Parmi mes barrières mentales, il y avait, en premier lieu, la peur du jugement, notamment du jugement de mes parents. Je craignais qu’ils ne voient dans ce choix que la volonté d’une personne oisive de prendre des vacances sous un prétexte fallacieux. Alors quelle n’a pas été ma surprise quand, à mon annonce, mon père est allé chercher le livre “L’histoire du monde en 500 marches” en me déclarant : “Tiens, ça te donnera peut-être des idées”. Et c’est en effet dans cet ouvrage que je découvrais la Via Alpina pour la première fois. Un court paragraphe, mais qui m’a tout de suite donné envie d’en savoir plus. Ma mère, quant à elle, m’a fixée attentivement, et m’a simplement dit très calmement : “Je sais que tu vas le faire”.

    Je me disais également que jamais mon employeur n’accepterait mon congé. Barrière complètement stupide s’il en est, car un congé sabbatique ne peut pas être refusé, dès lors que l’on remplit quelques conditions très sommaires. Au-delà du côté légal, je voulais malgré tout partir dans de bonnes conditions et en bons termes avec l’entreprise dans laquelle je travaillais. Il se trouve que mon manager de l’époque est un passionné de montagne. Il m’a plus qu’encouragée à réaliser ce projet et … il est même venu marcher avec moi. 

    Je ne vais pas toutes les citer, car il y en avait beaucoup (matérielles, logistiques, financières,…), mais la dernière barrière, et sûrement la plus importante : la peur de ne pas en être capable. Cependant la seule manière de lever celle-là … c’était d’essayer. Quelque part, cette barrière était depuis le début en constante opposition avec mon envie croissante de savoir jusqu’où je pourrais aller, si ce n’est jusqu’au bout. Alors allons-y. J’ai commencé de la meilleure façon qui soit : par un rendez-vous chez l’ostéopathe. Le samedi du départ, à 10h, je me retrouve donc dans cette petite salle d’attente, au lieu de fouler mes premiers pas sur le sentier comme je l’avais prévu. […] Cette douleur sera probablement ma camarade la plus fidèle, celle qui fera le plus de kilomètres en ma compagnie. Douleur très désagréable mais finalement non immobilisante, qui m’aura engendré plus d’anxiété qu’une quelconque envie d’abandon. Nous voilà donc partis, de Monaco, ce samedi 29 mai 2021, mon compagnon et moi, à 14h, enfin ! Quelques gouttes et une grosse averse nous salueront sur cette première journée sinon tranquille, présage de la météo qui allait m’accompagner tout au long de ce périple.

    Lever de soleil sur la Via Alpina (@Éléonore Najia)

    Le lendemain, après le déjeuner, je laisse mon compagnon à la gare de Sospel, comme convenu. Commence alors le début de la solitude. Cette première montée seule fut longue et larmoyante, me demandant ce que je faisais là et pourquoi diable j’avais décidé d’entreprendre cette aventure. Ce seront mes premières et mes dernières larmes avant l’arrivée. 

    N’ayant jamais bivouaqué seule, j’appréhendais la première nuit en tente. Et celle-ci ne fut pas des plus tranquilles. Extrait de mon journal de bord : “Tout à coup, j’entends un grognement, des bruits de branches. Le temps que je tourne la tête, je vois deux sangliers (un adulte et un petit) monter la montagne en courant à 150 m de moi. Je ne sais pas si mon odeur les a effrayés car j’étais tranquillement et silencieusement en train d’écrire.

    Je finis d’écrire et rentre dans la tente. Maintenant, j’ai peur que les sangliers reviennent dans la nuit et saccagent ma tente. Je regarde sur internet, apparemment le sanglier a peur de l’homme et n’attaque que pour défendre ses petits. En cas d’attaque, il faut grimper à un arbre… (je vais mourir donc, tuée par un sanglier).

    Je mets toute ma nourriture dans mon sac anti-odeurs rafistolé avant le départ : banane, saucisson, fromage, etc. pour ne pas les attirer. […] Je dors mal cette nuit-là. Chaque bruit est pour moi le bruit d’un sanglier aux aguets, malgré les boules quies. J’ai laissé mon couteau dans une poche latérale de la tente, au cas où. Le bruit de la pluie permet tout de même de couvrir les autres bruits, tant mieux ! Je n’en dors pas mieux pour autant.”

    Un début d’aventure en fanfare, donc. Les quatre mois suivants ne seront pas aussi agités, heureusement. Je dirais plutôt qu’ils ont abrité une alternance subtile de moments difficiles et de moments magiques.

    Ainsi, même si je suis parfois revenue à la question qui me taraudait le premier jour, à savoir : “qu’est-ce que je fais là ?”, je n’ai jamais envisagé sérieusement d’abandonner. […] Parfois, la pépite qui m’attendait se concrétisait sous la forme d’un paysage époustouflant. D’autres fois, elle se matérialisait par des rencontres. 

    Un matin je me réveille dans ma tente, un peu au-dessus de Mesocco. J’entends la pluie tapoter doucement sur la toile, encore. Les deux derniers jours ont été une succession d’averses torrentielles, de pluie fine, d’orages et d’accalmies. Je regarde la météo, et aucune amélioration n’est prévue dans les six prochains jours. Coup dur. Je lis les messages que j’ai reçus pendant la nuit, et l’un d’eux me déçoit particulièrement. La pluie s’arrête et j’en profite pour plier la tente rapidement. Je commence à marcher, contente qu’il ne pleuve plus, mais le répit est de courte durée.

    Dix minutes à peine après mon départ, voilà que la pluie reprend de plus belle. Cette journée sera l’une des plus difficiles moralement de mon voyage. Je la passe à attendre sous des porches, des ponts, ou des arbres que l’intensité des averses faiblisse. Le reste du temps, je marche. Je réussis tout de même à faire sécher ma tente au cours d’une brève éclaircie, le vent m’aidant. Je suis fatiguée, et ne pas savoir quand le soleil sera de retour est pesant. Je cogite, ce qui m’arrive rarement. Le soir, je plante ma tente près d’une cascade et d’un camp scout. Une fois mon abri monté, je m’assois à une table de pique-nique pour préparer mon dîner, que je finirai sous la tente, la pluie ayant repris à nouveau. […] J’arrive à l’auberge Stuetta en bord de route vers 15h et décide de m’y arrêter. La météo annonçait une nette amélioration qui ne fait que se décaler dans le temps. Je prends un chocolat chaud et une part de gâteau au chocolat (le chocolat sera mon fidèle réconfort tout au long du voyage, je ne l’en remercierai jamais assez). La salle principale étant comble, la serveuse me met dans une pièce à part où je suis toute seule.

    Au moment de repartir, dans le sas de l’entrée, je croise un papy, qui ne parle qu’italien. Il remarque mon sac à dos, me pose des questions (du moins, j’imagine que ce sont des questions), et insiste pour me payer un café. J’accepte. Et nous voilà dans la pièce principale, pleine à craquer. Une Suisse, qui parle français et italien fait office de traductrice. Le café que m’offre le papy est agrémenté d’une “goutte” de Vecchia Romagna, un genre de cognac italien. Tout le monde me pose des questions, l’ambiance est chaleureuse. La gérante me demande où je compte dormir et s’inquiète pour moi. Elle me propose d’appeler le refuge Bertacchi, prochain refuge par lequel je dois passer, qui est à 1h30/2h de marche, pour me réserver un lit. Les gens sont tous si gentils avec moi, que sans même s’en apercevoir, ils sont en train de m’apporter le réconfort dont j’avais besoin. En partant, la gérante me laisse son numéro en me disant de l’appeler si j’ai le moindre souci. 

    Je repars le cœur léger. Ce simple café a littéralement dissipé tous mes soucis. A l’instar de ce café, il y a toujours une petite surprise qui m’a redonné le moral et a conforté mon envie de continuer. Ce sont des anecdotes qui peuvent paraître anodines, mais qui en réalité ont tellement d’importance. Ce sont elles qui m’ont portée à travers les difficultés et peut-être que la réponse à la question est là. Peut-être que je ne suis là que pour apprécier ces petites choses qui n’ont l’air de rien.

    Peut-être qu’il n’y a pas besoin de trouver une grande réponse philosophique. Ajoutez à cela des amis et des parents extraordinaires et d’un soutien indéfectible. Leur présence, qu’elle ait été virtuelle à travers les nombreux messages que j’ai reçus, ou réelle, lorsqu’ils m’ont rejointe pour faire un bout de chemin avec moi a été immensément stimulante et a beaucoup contribué au succès de l’entreprise.

    Ma dernière nuit sera aussi calme que la première. Un orage a éclaté et m’a forcée à planter ma tente plus tôt que prévu. Puis, des animaux que j’ai supposé être des sangliers sont venus grogner et farfouiller dans le pierrier juste à côté duquel j’étais installée, de 3h du matin jusqu’à mon départ. Quatre mois de bivouac ne m’auront pas tranquillisée sur les sangliers. Je ne dors quasiment pas pour ma dernière nuit, et lève le camp dans la précipitation.

    Le 27 septembre, mon dernier jour, je marche vers Muggia en ressassant cette dernière nuit et en pensant que je n’aurais donc rien appris au cours de ces 2620 km. Ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai appris que j’étais capable de réaliser quelque chose qui me paraissait initialement insensé. J’ai redécouvert à quel point la nature était belle, majestueuse et apaisante. J’ai été confortée dans mon opinion de me dire que l’on n’a pas toujours besoin des autres pour avancer, mais que leur soutien est une aide précieuse et motivante. J’ai appris que je pouvais vivre avec moi-même, sans ruminer. J’ai appris que je pouvais me lever avec entrain tous les matins à 5h malgré la perspective de marcher entre 20 et 30 km et de faire entre 1000 et 1500 m de dénivelé chaque jour. C’était une expérience incroyable, probablement la plus forte des expériences que j’ai vécues jusqu’à présent. » 

    Sur la Via Alpina (@Éléonore Najia)

    Performance

    Notre rencontre aurait pu s’arrêter à cet enregistrement de podcast, mais il semblerait bien que la vie en ait décidé autrement. C’est ce que je me suis dit quand je suis tombée par hasard sur Éléonore dans une salle d’escalade lyonnaise. S’en est suivie une séance de grimpe toute en bienveillance. L’occasion de réaliser que nous étions alignées sur bien des sujets. 

    C’était deux mois avant le début de sa dernière Via Alpina (pour l’instant ?). C’est à ce moment-là que l’on a commencé à s’envoyer de très longs vocaux, de plusieurs dizaines de minutes – elle les écoutait durant les longues montées auxquelles elle faisait face, et moi, en arrosant le jardin. On n’a pas trop parlé Via Alpina, exception faite au moment où elle m’a raconté sa rencontre, guère amicale, avec un renard (récidiviste, lui aussi). À la place, on a échangé sur nos parcours de vie, sur la méritocratie et plein d’autres sujets. 

    J’avais une question en tête à ce moment : « Est-il possible de combiner performance et contemplation ? ». C’est ce qu’Éléonore testait cet été-là, en avançant à une moyenne de 30 kilomètres par jour. On a décidé d’en parler à Lyon à son retour, en septembre (encore dans une salle d’escalade !). Sa conclusion ? Pas si facile de se pousser vers ses objectifs sans perdre, de temps en temps, son émerveillement. 

    On s’est également programmé un week-end de rando, écrit dans le calendrier afin que cela ne reste pas qu’une jolie parole lancée en l’air. 

    Refaire le monde

    C’est ainsi que l’on s’est retrouvées deux mois plus tard à manger une fondue dans une tente sur les Hauts-Plateaux du Vercors face à un paysage « pas ouf », dixit la principale protagoniste, assez amusée par l’idée de jouer la blasée. J’ai aussi découvert son moment préféré : le lever du soleil. Alors on a mis un réveil, pour ne pas le louper. On a bien fait. 

    Vraiment bien fait. 

    Pendant que l’on marchait en refaisant le monde pendant deux jours, Éléonore m’a confiée qu’elle était allée « trop loin dans l’ascétisme » sur sa dernière Via Alpina. Cette phrase, je l’ai bien aimée. Alors je l’ai ajoutée à ma liste de jolies phrases prononcées par celles et ceux qui comptent. Mais aussi à mes idées de sujets, l’ascétisme étant l’une des valeurs véhiculées par le monde du sport, parfois à raison, parfois à tort. Parce qu’au fond, ça veut dire quoi « aller trop loin dans l’ascétisme ? »

    Dans le Vercors, j’avais toujours mon appareil photo à la main. Je m’en suis servie aussi bien pour photographier nos souvenirs que pour les filmer. Et c’est en montant, avec une poussière dans l’œil, la vidéo de ce périple que j’ai réalisé qu’Éléonore, c’était bien plus qu’une « meuf stylée avec qui partir en montagne », mais qu’elle était en train de devenir une amie. 

    Le genre d’amie qui n’hésite pas à sortir les pompons dès qu’il faut soutenir une copine. Elle joue le jeu à fond – mieux que quiconque (elle n’aimera pas ce paragraphe, je le sais). Manon et Caro vous ont raconté à quel point leur rencontre avec Éléonore avait été déterminante pour elle. Quand j’ai dit ça à la principale intéressée, elle m’a répondu : « Elles ont sûrement exagéré ». Moi, je sais bien que non. Parce qu’Éléonore, elle sait prendre le temps d’écouter, de questionner. Rien de tel pour nous inviter à réfléchir, sans juger. Sans donner de leçons non plus. Et ça, c’est extrêmement précieux. 

  • Elles ont traversé les Alpes à pied : « Si l’on fait ça, c’est avant tout pour fuir le réel » (Léa, GR5)

    Elles ont traversé les Alpes à pied : « Si l’on fait ça, c’est avant tout pour fuir le réel » (Léa, GR5)

    Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi. 

    Léa, ce sont, comme bien des rencontres, les hasards de la vie qui l’ont mise sur mon chemin. On s’est croisées à la librairie de Briançon, à l’occasion d’une rencontre avec Stéphanie Bodet. C’est elle qui est venue me voir, avec une question : « T’es pas à Grimpeuses ? ». 

    Grimpeuses, c’est un événement visant à promouvoir l’escalade au féminin que je co-organisais. Et une fois n’est pas coutume, j’oublie les visages de la plupart des participantes, ce qui a le don de m’agacer. Léa, elle suit mes aventures sur les réseaux sociaux depuis l’événement Grimpeuses. Elle connaissait donc les grandes lignes de ma vie – c’est ce que j’ai compris au cours de notre discussion. Mais moi, je ne connaissais pas grand-chose à la sienne. Si ce n’est qu’elle habite à Briançon, qu’elle grimpe et qu’elle lit Stéphanie Bodet. Une bonne base qui m’a motivée à aller jeter un coup d’œil à ce qu’elle partageait sur les réseaux sociaux. 

    C’est alors que je me suis dit qu’il n’avait pas que des défauts, notre monde virtuel. Je suis tombée sur son compte de dessins, où elle partage notamment quelques planches de bandes dessinées qu’elle confectionne avec beaucoup de passion (et de talent). Étant du genre fascinée par celles et ceux sachant manier le crayon, j’ai écumé son compte, je le confesse. Bien mal m’en a pris, puisque j’ai trouvé des pépites : une partie de son récit sur le GR5, un itinéraire qui traverse les Alpes françaises, du Lac Léman à la Méditerranée. Une jolie balade d’environ 600 kilomètres qu’elle a effectuée durant l’été 2022. 

    Léa sur le GR5 (@Léa)

    « Léa fait donc de la randonnée itinérante, encore un point commun », je me suis dit. Alors j’ai cliqué sur le bouton « suivre », avant de lui envoyer un message : « Je suis très fan de ton compte de dessins. Notamment de tes petits carnets de voyage. Tu pourrais me les envoyer en plus grand ? ». 

    Deux semaines plus tard, Léa postait quelques photos d’elle en Ardèche, en itinérance à vélo cette fois-ci. Un point commun de plus. « Il faudra que l’on se capte sur Briançon parce que moi aussi, le vélo, j’aime bien ça ». Voilà ce que je lui ai écrit. 

    Escalades dans les Écrins

    On s’est retrouvées, comme de bonnes grimpeuses qui se respectent, à la salle d’escalade. Notre conversation, contrairement à celle avec Manon et Caro, je ne l’ai pas enregistrée. Déjà parce que je n’avais pas encore imaginé cette série de portraits, mais aussi parce qu’elle a bien duré quatre heures ! 

    Avec Léa, on n’a pas tout de suite parlé dessin. On a d’abord parlé grimpe, alpinisme plus précisément, de sa course du lendemain, « Le Doigt de Dieu ». Un sommet non loin de la grande Meije qui allait clôturer son initiation à l’alpinisme. Je l’ai grandement questionnée sur ce projet, parce que l’alpinisme, ça fait bien longtemps que ça me met des étoiles dans les yeux. Elle m’a dit qu’elle était partie de zéro, et que là, elle se sentait autonome. 

    Léa, quand je l’ai vu grimper, j’ai su qu’elle ne partait pas vraiment de zéro. Et j’étais bien contente d’avoir trouvé une copine de grimpe avec laquelle me challenger. 

    Garder les souvenirs

    Léa, elle m’a ensuite parlé de son boulot, psychologue à l’hôpital de Briançon, de son besoin de vacances (parce qu’aller en montagne le week-end, ça ne repose pas tant que ça) mais aussi de sa prochaine itinérance à vélo, en Suède. 

    Puis on s’est attablées. Elle m’a donné quelques feuilles, en me disant : « Tiens, je t’ai imprimé ça ». C’est le récit de son aventure à vélo en Ardèche – j’aurais bien aimé qu’elle dure des pages et des pages. Puis elle m’a montré son journal rédigé sur le GR5. Ça m’a rappelé à quel point il était important de garder ce genre de souvenirs. Les lieux traversés, les personnes rencontrées, les émotions éprouvées. Voici quelques extraits de son aventure. 

    Au moment où je finis d’écrire cet article, cela fait plusieurs semaines que j’ai rencontré Léa. Plusieurs semaines qu’une des phrases qu’elle m’a dite tourne en boucle dans ma tête : « Si l’on fait ça, c’est pour fuir le réel, tu ne trouves pas ? ». 

    Je suis tout à fait d’accord avec elle. Même si je trouve ça extrêmement paradoxal, parce qu’en randonnée itinérante, on est, je le sais d’expérience, plus que jamais plongé.e.s dans le réel. Je crois tout de même que c’est une fuite, celle du monde que l’on nous impose. 

    Les recommandations lecture de Léa 

    Sarah Marquis, « Sauvage par nature »

    « Durant les trois premiers mois, le corps et l’esprit se nettoient. Passé ce cap, le corps ne fait plus mal, l’esprit est libéré. La marche : une pratique ancestrale reconnue chez les moines comme une forme de méditation que Sarah Marquis a fait sienne. Dans ce témoignage extraordinaire, elle nous raconte son voyage à pied de 2010 à 2013 (mai), avec pour seul bagage un sac à dos de 30 kilos. Des paysages somptueux du lac Baïkal à la jungle luxuriante du Laos ; une faune splendide avec les loups de Sibérie, les léopards des neiges du désert de Gobi ; des échanges étonnants avec les hommes, comme la fois où elle fut menacée par des narcotrafiquants après avoir foulé un champ d’opium… »

    Stéphanie Bodet, « À la verticale de soi »

    « C’est l’histoire d’une enfant asthmatique qui serre très fort un caillou dans sa main pendant le supplice du cours de gym. D’une petite fille sensible qui aime se perdre hors des sentiers. Qui d’aussi loin qu’elle se souvienne, a choisi de regarder sa vie de haut, à la verticale de soi. Surtout depuis cette fêlure, celle d’une petite sœur disparue trop tôt et qui lui a donné ses ailes : « Vivre. Vivre intensément », écrit-elle. Perdue pour le sport, Stéphanie Bodet s’est pourtant donnée à l’escalade. Elle raconte l’entraînement intensif, les podiums en compétition, puis les années de vagabondages verticaux sur des parois égarées dans des jungles, les bivouacs glacials sous les étoiles. Et cet amour fertile qui l’unit à Arnaud Petit »

    Denis Infante, « Rousse »

    « Sur une terre que l’homme semble avoir désertée, où l’eau est devenue rarissime, tous les vivants – mobiles autant qu’immobiles – souffrent de la soif. Les végétaux dépérissent. Les animaux aquatiques aussi, pris au piège de l’évaporation de leurs demeures. Au retour de leurs longs périples, les oiseaux migrateurs n’apportent pas de bonnes nouvelles : partout la sécheresse sévit. ‘Quelques-uns pourtant avaient osé, s’étaient décidés pour une des quatre directions, par choix ou guidés par pur hasard, et s’étaient mis en marche, droit devant. Rousse était de ceux-là’ »

  • Elles ont traversé les Alpes à pied : « Si tu attends d’être prête pour partir, tu ne le feras jamais » (Caro, Via Alpina) 

    Elles ont traversé les Alpes à pied : « Si tu attends d’être prête pour partir, tu ne le feras jamais » (Caro, Via Alpina) 

    Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi. 

    J’ai su que je devais écrire sur Caro en assistant à la conférence, intitulée « Un itinéraire, trois aventurières » qu’elle a donné avec Manon (je vous ai parlé d’elle la semaine dernière) et Éléonore (rendez-vous fin août pour découvrir son portrait). 

    Je crois que ce qui m’a tout de suite plu chez elle, c’est sa spontanéité. « À partir du moment où je me suis dit que je voulais faire la Via Alpina [un itinéraire qui traverse les Alpes, de la Slovénie à la France, sur plus de 2000 kilomètres, ndlr], j’ai décidé de ne pas attendre, de foncer et d’y aller » se souvient-elle. Une forme d’insouciance que l’on a souvent pu me reprocher, la confondant avec de l’inconscience. « T’es sûre d’être prête ? » me demande-t-on souvent. Non, je ne suis pas sûre. Mais le cœur me dit d’y aller, maintenant. Alors pourquoi devrais-je refuser de l’écouter ? 

    Caro, je me suis tout de suite dit qu’elle était du genre à suivre son coeur. Et surtout à parler avec ses tripes. Moi, ça me plaît. 

    J’ai finalement échangé avec elle deux jours avant son départ pour son premier long trip à vélo, de l’Italie à la Croatie. « Je suis un peu à l’arrache », m’a confié Caro. « J’essaie de savoir si je peux transporter mon vélo dans un Flixbus – ce n’est pas du tout clair. Niveau matos, je suis aussi clairement à l’arrache. Mais bon, ça va. Je me dis que ça va très bien se passer. Je sais être très organisée, mais là, le fait d’être déjà partie sur la Via Alpina me fait relativiser les choses. » 

    J’ai très vite compris qu’avec Caro, on aurait pu parler vélo très longtemps. Mais comme j’avais cet article à écrire, on s’est concentrées sur la Via Alpina. Il y avait déjà beaucoup de choses à dire.

    Une volonté plus forte que tout

    « Je me suis posée pas mal de questions avant de partir » se souvient Caro. « Éléonore m’a pas mal aidée à y répondre – elle a joué un rôle clé pour Manon et moi. Sa rencontre nous a vraiment incitées à nous lancer. Je me souviens lui avoir demandé : ‘Est-ce que tu n’avais pas peur seule ?’ J’essayais de savoir si ce que je ressentais était normal et comment elle avait géré ce genre de peurs». 

    « Je crois que c’est pour ça que j’ai voulu faire cette conférence » poursuit-elle. « Car c’était un moyen pour moi d’essayer de faire passer un message, en disant : ‘Mais allez-y. Vous pouvez y aller. C’est normal d’avoir peur, c’est normal de se poser plein de questions’ ».

    Les questions venaient aussi de son entourage. « Quand j’ai fait la demande de congé sabbatique à mon boss, il m’a dit : ‘Toute seule ? Quatre mois ? Oui, tu peux y aller.’ Je suis sortie de cette discussion en me demandant ce que je faisais. J’ai douté. Mais à aucun moment ça a remis en question ma capacité à le faire, ma volonté à le faire » raconte-t-elle.

    Mais le plus important pour Caro, c’était la réaction de ses parents, surtout de son père, dont elle dit être assez proche… et qui s’est avéré être très enthousiaste vis-à-vis de son projet ! « Il s’est même mis à m’aider dans la recherche d’un matériel le plus léger possible, afin d’alléger le poids de mon sac », se souvient-elle. « C’était clairement une force, et je sais très bien que tout le monde n’a pas cette chance-là. Je crois qu’au fond, mes proches n’étaient pas surpris par ce genre de projet. Même côté boulot [Caro travaille dans le domaine du conseil en développement durable, ndlr], certaines personnes comprenaient moins le projet. Mais personne ne m’a dissuadée. […] Mais ça peut dissuader à la longue, à force d’entendre : ‘mais t’as pas peur de ça ?’. Même si c’est dit avec beaucoup de bienveillance. Personnellement, ces remarques ont consolidé ma volonté de partir. La Via Alpina était une évidence. Je savais que j’allais la faire d’une manière ou d’autre. C’était un sentiment tellement fort qu’il m’a presque paru facile de partir – et c’est peut-être pour ça aussi que les choses sont allées aussi vite. » 

    Caro sur la Via Alpina @Caro Terme

    Une confiance à toute épreuve

    Sa motivation principale, Caro la tire d’une intuition : celle qui la poussait à aller chercher « quelque chose ». Une envie de liberté, un goût de l’aventure à assouvir davantage, m’a-t-elle expliqué. 

    « D’un point de vue perso, les planètes se sont alignées. À la base, je rêvais plutôt de partir à vélo » détaille Caro. « Mais finalement partir à pied m’a semblé un peu plus facile, notamment en étant une femme seule. Ça m’a aussi semblé un peu plus accessible, avec peut-être moins la question de la barrière du matériel. »

    Un trek de deux semaines en montagne lui a donné envie de s’élancer sur la Via Alpina. « À la base, j’avais prévu de partir deux semaines solo. Mais un peu avant le départ, j’avais proposé à mon copain de l’époque de venir. Parce que je m’étais dit : ‘mais en fait je ne le sens pas du tout de faire ça seule’ » confie Caro. « Et finalement, je me suis sentie super bien, dans mon élément. Car même si je ne connaissais pas bien la montagne, le fait d’avoir été scout, et donc de savoir camper, ça m’a donné l’impression que ce genre d’aventure est un peu en moi. Je me suis dit : ‘Finalement, ce n’est pas très compliqué, on marche, on campe, et c’est trop cool’ ». Une itinérance qui lui a donné une sacrée confiance : « Je savais quoi faire, et je n’avais besoin de personne pour y arriver », résume-t-elle.

    « Ce n’est peut-être pas très humble, mais je n’ai jamais douté sur ma capacité à arriver au bout » m’a confié Caro. « Disons que l’aspect physique a été nettement moins problématique que l’aspect mental. Tu vois, quand je dis aux gens que j’ai fait la Via Alpina, on me demande souvent le nombre de kilomètres… Mais moi, j’en ai rien à faire du nombre de kilomètres que j’ai fait. Le plus difficile, c’est plus le chemin que tu parcours, les incertitudes, la météo, les petites blessures, etc. »

    Le poids de la solitude

    Une phrase, prononcée par Caro, a retenu mon attention lors de la conférence : « Je suis revenue, mais pas tout à fait pareille ». Et quand je lui ai demandé ce que la Via Alpina avait changé chez elle, sa réponse ne se fit pas attendre : « mon rapport à la solitude ». 

    Être seule. Voilà ce qui lui faisait le plus peur avant son départ. « Éléonore m’avait dit : ‘Non mais t’inquiète, tu peux rencontrer du monde, si tu fais des efforts, tu peux trouver du monde à qui parler’. Ça s’est confirmé dès le premier jour » raconte Caro. « Je me suis retrouvée à papoter pendant deux heures, avec un Slovène, dans un refuge, parce qu’il pleuvait. J’en suis repartie avec le méga smile. J’ai tout de suite su qu’il fallait que je vive mon aventure ainsi, en allant à la rencontre des autres ». Par la suite, elle m’a expliqué que l’expérience lui avait fait comprendre que si être seule pouvait être difficile au début, c’est quelque chose que l’on pouvait parvenir à gérer. « Ce que je ne pensais pas savoir faire », souligne-t-elle.

    Au début de son aventure, Caro partageait de nombreuses vidéos sur Instagram. Un moyen pour elle de maintenir un lien avec ses ami.e.s proches.  « Je pense que j’avais besoin de garder contact » confie-t-elle. « Et puis, c’était le début de l’aventure, j’étais assez excitée, donc je pense que j’avais plein de trucs à partager. Mais à un moment, j’ai arrêté de le faire. J’ai juste réalisé que je n’en ressentais plus le besoin. Disons que j’ai trouvé un équilibre interne ». 

    Elle m’a raconté avoir beaucoup écrit, pour « garder des souvenirs, des réflexions » mais aussi « tous les doutes qui sont arrivés ». « À vrai dire, j’ai même commencé à écrire avant de partir » explique Caro. « À propos des premières remarques que j’ai eues, des questionnements aussi, les miens et ceux des autres, du pourquoi je voulais partir… Ensuite, j’ai essayé d’écrire chaque jour, pour un peu avoir une trace. Et ça, franchement, ça a beaucoup de valeur. C’est trop ouf d’avoir des écrits de ce qu’on a vécu, parce qu’en fait on oublie vite, même nos peurs. Garder une trace de tout ça m’a permis de pouvoir mieux partager mon aventure – j’ai pu dresser l’historique de mes questionnements, de mes peurs aussi. À quels moments sont-elles arrivées ? À partir de quand ai-je été rassurée ? ». 

    « Quand je marchais, je me disais : ‘C’est ouf, la solitude, c’est fort, ça fait du bien’ », se souvient Caro. Un sentiment qu’elle m’a affirmé n’avoir jamais éprouvé avant. 

    Si bien qu’à l’issue de sa randonnée, elle s’est dit : « Il faut que tu te donnes ces moments de solitude pour toi, parce qu’en fait, c’est hyper bénéfique ». « Mais en réalité, quand je suis arrivée, j’ai tout de suite repris la course aux mille trucs » détaille-t-elle. « Car après tout, c’est aussi mon caractère de faire plein de choses. Mais je garde quand même en tête à quel point c’est bien d’être seule. Je crois même que c’est devenu un besoin. Il y a même des moments où je me dis : ‘Il faut que je me fasse un week-end solo’. Ça, avant, je ne suis pas sûre que ça me serait arrivé. »

    Caro sur la Via Alpina @Caro Terme

    Oser

    « Je crois qu’il ne faut pas se mettre de freins », conclut Caro. « Quand je voulais partir à vélo, les freins, je m’en mettais beaucoup. J’en avais discuté avec mon père. Je lui ai dit qu’il faudrait que j’apprenne à gérer la mécanique avant et tout. Il m’avait dit : ‘Si tu attends d’être prête pour partir, tu ne le feras jamais’. Je raconte souvent ma méconnaissance de la montagne avant de me lancer sur la Via Alpina. J’ai tout appris sur le terrain. Moi, je ne me suis jamais vraiment sentie prête avant de partir. Parce qu’il est vraiment difficile de tout connaître. Je m’étais notée de me renseigner sur les risques de loups, d’ours, etc. Et je ne l’ai pas fait. Ce genre de choses, c’est en parlant aux locaux, sur place, que tu te rends compte du risque. Avec du recul, je pense que je ne me serais jamais vraiment sentie prête. Donc, il faut accepter cela. Se dire que l’on va prendre de l’expérience en chemin. »

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  • Elles ont traversé les Alpes à pied : « J’ai arrêté de vivre par procuration, et je suis partie » (Manon, Via Alpina)

    Elles ont traversé les Alpes à pied : « J’ai arrêté de vivre par procuration, et je suis partie » (Manon, Via Alpina)

    Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi. 

    Les mots de Manon m’ont percutée de plein fouet. Sans doute parce qu’ils ont profondément résonné en moi. À l’issue de notre conversation, alors qu’elle filait donner sa conférence, intitulée « Un itinéraire, trois aventurières ordinaires » en compagnie de Caro et d’Éléonore (dont je vous reparlerai très bientôt), Manon m’a remercié pour « la séance de psy gratuite ». Quand on me dit ça, c’est que j’ai bien fait mon boulot. Sauf que là, pendant cette heure d’échange sur la place de Décines, à quelques kilomètres de Lyon, je n’ai pas eu l’impression de « travailler ». J’ai vécu une tranche de vie qui m’a marquée à jamais, c’est différent. 

    Retour à la réalité

    « Moi, je ne voulais pas rentrer »

    C’est ainsi qu’a commencé notre échange avec Manon, par la fin, le moment où elle est revenue de son voyage sur la Via Alpina, un itinéraire qui traverse les Alpes, de la Slovénie à la France, sur plus de 2000 kilomètres. C’était à l’issue de l’été 2023. Mais j’ai eu l’impression que c’était hier, tant ses mots étaient chargés d’émotion. « J’avais vraiment pensé à continuer le voyage, mais pas forcément en marchant », m’a-t-elle expliqué. « J’avais plein d’idées. Ça m’a ouvert des portes – j’ai réalisé que je pouvais faire plein de choses. Mais voilà, j’ai dû rentrer et travailler. » 

    Manon est ingénieure ferroviaire, « un travail très terre-à-terre où la créativité, le rêve, l’aventure sont absents », détaille-t-elle. « Il faut même que la part d’aléatoire soit la plus faible possible. On fait des réunions d’une heure pour te dire de faire attention à comment tu vas ouvrir les portes. Alors que moi, j’étais au fond de la montagne seule avec des ours et des chamois pendant 4 mois ».

    « Il faut se réadapter, finalement. Moi, je ne me suis pas ré-adaptée », conclut-elle. À la place, Manon s’est jetée à corps perdu dans le boulot, pour « ressentir des trucs forts ». « Mes collègues me disaient : ‘Mais pourquoi t’en fais autant ?’. Et moi, j’étais là : ‘Mais enfin, vous n’avez pas envie de vivre ? », raconte-t-elle. « Et un jour, je me suis arrêtée. Je me suis dit qu’il fallait que je change, parce que j’étais en train de me ruiner la santé ». 

    Ce qui lui manque alors dans son travail, c’est le sens. À quoi bon « mettre de l’énergie pour aller gagner des affaires à des centaines de milliers d’euros ? Pour engraisser des actionnaires sur des études complètement abstraites et théoriques ? », interroge Manon. « Tandis que sur la Via Alpina, j’étais parfaitement à ma place pour la première fois de ma vie. Avoir trouvé sa place et devoir la quitter, c’est hyper violent. Mais on ne peut pas être au milieu des chamois H24. Alors il faut trouver un compromis. Entre un confort moderne, un travail qui, malgré tout, me fait vivre, qui me permet de partir en voyage, mais dans lequel je ne dois pas me donner, puisque de toute façon, on ne me donnera jamais autant en retour ».

    Manon sur la Via Alpina @Manon Hus

    Écrire sa propre aventure

    Manon sait depuis longtemps que sa place est en montagne. « Quand j’étais petite, j’allais dans les Écrins avec mon père et ma famille, dans un petit village, au-dessus de Saint-Christophe-en-Oisans, dans la vallée de La Bérarde », se souvient-elle. « Pour y accéder, il fallait monter en voiture, s’arrêter au niveau d’une cascade, et poursuivre à pied, avec des sacs de 25 kilos remplis de nourriture. Ces instants-là nous ont bercées, ma sœur et moi ». 

    La culture de la montagne, Manon dit se l’être vraiment appropriée autour de ses 18 ans, période où elle commence à se plonger dans la littérature de montagne, via la collection Guérin notamment. En parallèle, elle découvre la grimpe, un moyen pour elle d’aller vivre ce qu’elle lisait au quotidien. « Je serai toute ma vie reconnaissante envers mon copain qui m’a emmenée pour la première fois vers ce sport. Ça m’a complètement donné une incroyable confiance en moi », raconte-t-elle. « Le simple fait de grimper en tête, de ressentir de l’adrénaline, ça m’a fait prendre de la distance avec le stress du boulot, des présentations à faire, des réunions avec des clients ».

    Naissent alors des envies d’itinérance, portées par une volonté : « arrêter de vivre par procuration ». 

    La sororité comme déclencheur

    Manon se demande alors quels itinéraires seraient accessibles selon son niveau. « J’avais aussi envie de sortir de France, mais sans aller trop loin », explique-t-elle. « Disons que je n’avais pas envie de prendre trop de risques. Je voulais être dépaysée, mais pas trop ». Elle découvre alors la Via Alpina. À partir de là, tout s’enchaîne. 

    Premier déclic : quand elle tombe sur la trace GPX de cet itinéraire traversant l’intégralité des Alpes. « Je me suis dit : ‘Ok, c’est faisable, parce que je vois le sentier. Je vois exactement par où je dois passer. Je sais que ça existe, qu’il y a une trace, que quelqu’un a fait cette trace, donc c’est possible » détaille-t-elle.

    S’en suit la rencontre avec Éléonore. Un échange durant lequel elle se rend compte qu’elle n’est pas « la seule femme à se lancer là-dedans ». « J’avais, en bonne perfectionniste, préparé une liste de questions que je voulais lui poser », se souvient-elle. « Quelque chose d’hyper précis, du genre : ‘Alors, sur l’étape 54, t’as trouvé comment cette section ?’. En fait, j’avais repéré, en analysant les cartes et les profils altimétriques, trois étapes où je savais que j’allais vraiment en baver ». 

    « Éléonore m’a confirmée que j’étais très bien préparée », poursuit Manon. « Mais aussi que c’était faisable. Elle m’a fait comprendre qu’elle m’apporterait tout le soutien dont j’avais besoin pour aller au bout. Et ça, ça m’a aidé, c’était le déclencheur. Ce jour-là, j’ai su que j’allais partir. »

    L’art de l’adaptation 

    Éléonore, je la connais bien. Elle m’avait déjà raconté sa rencontre avec Manon. Je me souviens qu’elle avait insisté sur quelque chose qui l’avait vraiment marquée : Manon avait réservé tous les hébergements de son voyage avant son départ, soit plus d’une centaine. 

    Un moyen de « partir l’esprit libre » m’a-t-elle expliquée. « Parce que je savais que chaque jour j’avais un objectif : je devais atteindre tel point. Ne plus avoir ça en rentrant, ça a été dur. Parce que c’était hyper stimulant. Car si au quotidien, quand j’ai mal au ventre, je ne vais pas aller faire ma séance de running, là, on va dire je n’avais pas le choix, il fallait que j’aille marcher ».Mais parfois, ça n’a pas fonctionné. À trois reprises exactement, précise Manon. « Ce qui était génial, c’est que j’ai toujours trouvé une solution ! » détaille-t-elle. « Il y a des fois où j’ai vraiment été bloquée, notamment une fois à Samoëns [en Haute-Savoie, ndlr], je me suis pris un orage de grêle – qui a par la suite été déclaré catastrophe naturelle. On voyait des voitures avec des pare-brises pétés. La rivière s’est évidemment mise à déborder – le sentier qu’on aurait dû prendre était inondé. Je me suis retrouvée avec deux touristes. On s’est serrés tous les trois sous un sapin pour ne pas se faire taper par des grêlons. À ce moment-là, il était 16 heures. J’étais encore à 10 kilomètres du refuge où je devais aller dormir et il me restait 800 mètres de dénivelé à faire. […] Alors j’ai trouvé un hôtel qui était à 2 kilomètres. Le lendemain, j’étais éclatée. Je suis tombée malade, un petit rhume qui m’a mis à terre. Le contre-coup du stress. Ça m’arrive toujours après des moments hyper intenses. » 

    Manon a donc fait le choix de louper une étape. « Je dois retourner la faire d’ailleurs » précise-t-elle. « Mais je pense que c’était la bonne décision. Je ne l’ai pas regretté. À ce moment-là j’en avais besoin. »

    Manon sur la Via Alpina @Manon Hus

    Précieuse bienveillance

    Quand j’ai demandé à Manon quels enseignements elle avait tiré de son voyage, elle m’a tout de suite arrêtée : « Je n’aime pas ce terme, ça fait trop donneur de leçon, moraliste. Dans le sens : ‘Moi je sais, mais pas vous parce que vous n’avez pas l’expérience’ ». 

    Il est pourtant indéniable qu’elle a appris beaucoup. 

    « J’ai adoré la simplicité des contacts avec les gens pendant le voyage » raconte-t-elle. « C’est un truc qui m’a vraiment fait du bien. La bienveillance, la compréhension aussi. Parce que parfois, il suffit d’expliquer le contexte, de se présenter pour qu’en face, l’interlocuteur percute, que l’on arrive à communiquer. C’était chouette de voir que tout le monde était aussi gentil ». Une chose qu’elle a encore du mal à retrouver dans son quotidien. 

    « Cette absence d’agressivité, elle m’a fait un bien fou ! C’était hyper précieux » note Manon, sans filtre. « C’est aussi pour ça que le retour a été aussi dur… Se retrouver à nouveau confrontée à l’agressivité de mes chefs, de mes clients et de mes collègues, franchement, c’était pas un cadeau. »

    Partir… sans vraiment revenir

    « Psychologiquement, je ne suis clairement pas revenue » m’a avoué Manon qui, deux ans après, continue à digérer sa Via Alpina. « Je continue à l’analyser, à me poser beaucoup de questions sur ce que j’ai envie de faire, sur comment j’ai envie de vivre, où j’ai envie de vivre. »

    On dit souvent, à raison, que ce genre d’itinérance change une vie. Et quand on échange avec Manon, on se rend bien compte que cette affirmation n’a rien de grandiloquent. « Je suis contente de ne pas être revenue » conclut-elle. « Quand je revois la moi qui est partie, je me dis… que c’est la meilleure chose que j’ai faite de toute ma vie. C’était salvateur. Je ne sais pas comment j’aurais évolué si je n’avais pas fait ça. J’étais extrêmement stressée, angoissée de tout. La perfectionniste essaie aujourd’hui de mettre son énergie dans des choses qui ont du sens. Elle sait où elle va. Elle est moins perdue. Elle a quelque chose pour la guider. Peu importe ce que je ferai dans ma vie par la suite, je sais que ça, ça va être ma lumière. Ce moment où dans ma vie, j’ai été parfaitement bien. »

    Les recommandations lecture de Manon

    Jean-Christophe Lafaille – « Prisonnier de l’Annapurna »

    « Je trouve que ses ascensions sont novatrices mais pas pimpantes. J’adore sa façon de vivre la montagne, de la raconter. C’est quelqu’un qui m’a donné envie de partir voyager. »

    Les ouvrages de Walter Bonatti – « À mes montagnes » ; « Montagnes d’une vie »

    « C’est pas très original mais Bonatti, je trouve qu’il raconte extrêmement bien la montagne. De manière très humble. Il a été guide toute sa vie. Rien que de repenser à sa mort, ça me fait un nœud dans la gorge. Je suis très touchée par le massif du Mont Blanc – c’est un rêve que Bonatti a créé en moi. Il a construit quelque chose autour de ces aiguilles, de ces pics qui m’a fascinée. C’est pour ça d’ailleurs que j’ai casé le TMB [Tour du Mont-Blanc, ndlr] dans ma Via Alpina, alors que normalement, elle ne passe pas par là. Je voulais absolument aller voir le Mont Blanc, et voir longtemps. C’est triste parce qu’au final c’est un itinéraire extrêmement touristique… Mais par contre j’étais tellement aux anges. D’ailleurs, j’ai fait une pause de trois jours à Chamonix. Parce que je voulais marquer le coup de manière symbolique – je suis hyper contente de l’avoir fait ».

  • À la découverte du « pouvoir du vélo », avec Lara Amoros

    À la découverte du « pouvoir du vélo », avec Lara Amoros

    « Un jour de mai 2022, nous sommes partis sans grandes ambitions vers l’Est, et nous avons gardé ce cap un certain temps », raconte Lara Amoros, guide de haute montagne de 37 ans, qui a vécu cette aventure incroyable aux côtés de Bruno Sourzac, formateur à l’ENSA (École nationale de ski et d’alpinisme). « Une histoire de deux fous qui ont passé plus de deux ans à tournicoter autour de la Terre ! » résume-t-elle avec le sourire. Ces « deux fous » ont emporté avec eux leur matos de grimpe, prêts à gravir certaines des plus belles falaises du monde, de la Turquie à l’Amazonie en passant par le Japon et l’Australie. Leur périple de trois ans est raconté dans un film de 55 minutes, réalisé en « zéro budget production », comme aime le dire Lara (à découvrir en fin d’article). Elle a raconté à encordées leur voyage par téléphone. Ses mots nous ont transporté à travers le globe, on espère qu’il en sera de même pour vous.

    Je suis guide de haute montagne – et aussi institutrice, en disponibilité depuis quelques années déjà. Étant originaire du bord de mer, donc du Sud, devenir guide n’était pas du tout un rêve d’enfant ; en revanche, devenir alpiniste, oui.

    Je grimpe donc depuis longtemps, depuis mes 8 ans. Et le vélo a toujours été présent dans ma vie. Ma mère ne conduisait pas : elle a toujours tout fait à vélo, notamment à une époque où ce n’était pas très courant d’avoir un enfant sur le porte-bagage pour aller en ville. Mais je n’ai pas vraiment fait de voyage à vélo avec mes parents. En revanche, je suis partie pour mon premier trip grimpe à vélo.

    J’ai toujours pratiqué ce qu’on appelle le « vélo-grimpe ». Disons que le vélo, c’était mon moyen de déplacement, mais l’objectif, c’était quand même d’aller grimper. Pour ce trip, on avait fait, avec des copains qui avaient comme moi une vingtaine d’années, la traversée des Pyrénées. C’était pratique : on pouvait partir de chez nous à vélo, ça ne coûtait pas cher, et on était autonomes. On a fait une dizaine de sommets – enfin, de grandes voies un peu montagne, comme on en trouve au Vignemale par exemple [3 298 mètres, le point culminant des Pyrénées françaises, ndlr].

    L’année suivante, on a essayé de combiner vélo et alpinisme en Suisse. C’était très chouette, mais on s’est dit que c’était moins compatible. Déjà parce que le climat n’était pas le même que dans les Pyrénées. Et aussi parce qu’on était toujours un peu décalés par rapport aux bonnes conditions en montagne.

    Pour l’alpinisme, il faut être beaucoup plus réactif. Et cet été-là, il avait beaucoup neigé – on était bien plus chargés, et pas toujours dans les bons créneaux. Si bien que même en roulant sous la pluie, quand on arrivait au pied des montagnes, il y avait encore de la neige.

    Plus récemment, on est repartis sur un trip vélo-grimpe en Espagne. À cette époque-là, mon copain, Bruno, n’avait jamais vraiment voyagé à vélo. Ça lui a plu. Et je pense que c’est ce qui l’a motivé pour le tour du monde.

    Tandis que moi, je m’étais toujours dit qu’un jour, je partirais longtemps à vélo. J’avais un peu l’exemple d’un couple qui, dans les années 80-90, avait voyagé pendant 14 ans : les Hervé, je crois [Françoise et Claude Hervé, auteurs du livre “Le tour du monde à vélo”, ndlr]. Ils avaient eu une petite en cours de route. À l’époque, on ne communiquait pas trop là-dessus. Et puis je pense que des gens comme eux, ils n’avaient pas grand-chose non plus.

    La petite [Manon, ndlr] était rentrée à 6 ans, je crois, et elle devait avoir à peu près mon âge quand j’ai découvert leur histoire. Ça m’avait pas mal marquée. Alors je me suis dit : « Plus tard, je ferai comme eux. »

    Au moment de partir, j’étais déjà en disponibilité et je ne faisais plus que guide. Donc, on va dire que j’étais déjà assez libre. J’ai quand même prévenu mes clients : « Je pars un an. » Et puis, à chaque fois, j’ai un peu rallongé.

    Quand tu pars, tu te dis qu’un an, c’est super long. Et c’est assez marrant, parce qu’au début, pendant les premières semaines, j’avais l’impression qu’on roulait depuis des mois. Le temps s’étirait vraiment. Comme tu es tout le temps dehors, à bivouaquer, je ne trouvais pas le temps long, mais je me disais : « Wahou, en fait, c’est génial, on profite beaucoup plus. » Les journées semblaient plus longues. Et puis, comme dans la vie, au bout d’un moment, ça finit par s’accélérer.

    On a décidé de rallonger quand on est arrivés au bout de l’Asie, après un an de voyage. On n’était pas loin de destinations qu’on ne reverra peut-être jamais : le Japon, l’Australie… Des endroits où il faut traverser la planète en avion pour y aller. Alors on s’est dit : « Allez, on continue. » On a fait un an de plus. Et puis encore un petit rallongement ensuite, parce qu’on avait un plan pour rentrer en voilier, qui a finalement capoté un peu au dernier moment.

    Le fait de rallonger comme ça, au fur et à mesure, nous donnait quand même l’impression d’être en sursis. Disons que c’était un peu du bonus à chaque fois. Donc on se disait toujours : « Il faut en profiter, il ne nous reste plus que six mois. » Je pense qu’on l’aurait vécu différemment si, dès le départ, on s’était dit : « On a trois ans devant nous. » On aurait peut-être fait plus de pauses. Même si, à la base, on n’est pas trop du genre à vouloir se poser longtemps au même endroit, je pense qu’on aurait été un peu moins dans cette urgence de vouloir profiter à fond.

    Lara et Bruno sur les routes @Lara Amoros

    Avec Bruno, on est un peu nuls pour faire des plans. Les vélos, on les a achetés d’occasion juste avant le départ. Le voyage, on a décidé ça trois mois avant de partir – le temps de faire la demande de dispo, parce que le délai, c’est trois mois. Il n’y a pas eu de grande préparation ni de plan vraiment préétabli, mais on savait au moins qu’on voulait partir vers l’Est. C’est la direction logique quand tu veux aller le plus loin possible par voie terrestre.

    Il n’y avait aucune revendication écologique dans notre projet. Après, évidemment, moins on prenait l’avion, mieux c’était. L’idée, au départ, c’était de commencer à grimper en Turquie. Et on avait quand même envie de pédaler dans le Pamir, donc au Tadjikistan. C’était un peu ça, la motivation. Pas plus que ça. On s’est dit qu’on verrait en chemin.

    Après, la seule vraie contrainte, ce sont les visas. Il y a plein de pays – toute l’Asie centrale, par exemple – où tu as droit à un mois, pas plus. Donc un mois à vélo dans des pays comme le Kazakhstan, tu es quand même obligé de t’organiser un minimum : pour la semaine suivante, pour sortir à temps, ou alors pour sortir et re-rentrer si tu as besoin d’un peu plus de temps.

    Une fois qu’on avait passé l’Asie et l’Océanie, la suite logique, c’était l’Amérique du Sud, et surtout l’Argentine. J’y avais déjà passé un peu de temps, et Bruno avait pas mal de copains là-bas. C’était un peu comme un retour à la maison. C’était assez marrant.

    Ce qui m’a le plus manqué pendant le voyage, c’était le camion. Parce qu’en camion, tu peux vraiment te poser, rester quelque part sans bouger, et te reposer pour de vrai. Alors que là, en campant à l’arrache, ce n’était pas pareil. Tu ne peux pas passer la journée au milieu d’un jardin public juste parce que tu as décidé de lever le pied ce jour-là. Je me disais que c’était cool d’avoir un véhicule. Mais finalement, j’ai réalisé qu’une fois la frontière passée, c’est beaucoup plus contraignant. Alors qu’avec le vélo, si à un moment tu en as marre, si tu n’en peux plus de te faire frôler par les voitures, tu le mets sur le toit d’une bagnole ou dans un bus.

    Et puis, tu es quand même beaucoup plus libre qu’à pied. Nous, on est guides tous les deux, donc notre quotidien, c’est de marcher avec un sac à dos. Le fait de ne pas porter de charge sur le dos, c’est quand même un vrai luxe. On fait attention à ce qu’on emporte sur les vélos, on essaie d’être au plus léger, mais franchement, on n’est pas à deux kilos près – alors qu’à pied, chaque gramme compte.

    Et marcher chargé, c’est franchement relou. En plus, à pied, quand tu traverses une région, tu mets dix jours à voir le paysage changer. À vélo, en deux jours, tu as déjà changé d’ambiance. Là où on le ressentait encore plus, c’était quand on arrivait dans une grande ville : on était super libres dans nos déplacements. Pas besoin de marcher pendant des heures ou de chercher un taxi. Pour moi, le vélo, c’est vraiment ça : la liberté.

    En plus, tu ne pollues pas, donc tant mieux. Ça ne coûte pas cher. Et la seule essence que tu achètes, c’est pour le réchaud. C’est quand même chouette.

    Par contre… tu manges beaucoup. Beaucoup plus qu’à pied. C’est assez fou. Je n’ai jamais fait d’hypoglycémie en marchant, mais à vélo, on a vraiment pris des bons coups de bambou. Au début, je me disais qu’on allait s’habituer. Mais en fait, non : si tu ne manges pas toutes les deux ou trois heures, ça ne passe pas. C’est marrant. C’est un effort qui demande beaucoup.

    Bivouac dans les champs @Lara Amoros

    Là où on avait vraiment le plus à apprendre, c’était sur le matos vélo. Sur mes trips précédents, je partais avec mon vélo habituel, sans trop me poser de questions. Là, on s’est dit qu’il fallait partir avec des trucs pas forcément légers, mais surtout solides. On a trouvé deux vélos d’occasion auprès d’un couple – c’était parfait : ils faisaient la même taille que nous, chacun le sien. Des vélos en acier, assez lourds (17 kilos sans les bagages), mais qu’on peut ressouder. Partout dans le monde, tu trouves quelqu’un pour souder de l’acier. L’alu, c’est une autre histoire.

    Pour le reste du matos, c’était plus simple : notre quotidien, c’est déjà le matériel de grimpe. On a pris ce qu’on utilise d’habitude, en essayant d’alléger un peu. En montagne, en tant que guides, on a déjà les dégaines les plus light, les friends les plus compacts, ce genre de trucs. Pour la tente, on a vite compris que la référence chez les cyclistes, c’est la MSR — celle que tout le monde a. On est partis avec une tente neuve, et on a bien fait : elle a bien morflé.

    Globalement, préparer le matos a été assez facile, parce que c’est ce qu’on fait tout le temps. Mais malgré tous nos efforts pour partir léger, on s’est vite rendu compte qu’on avait quand même des trucs en trop. On s’est allégés un peu quand on a croisé des gens qui rentraient en France. Mais on n’a jamais envoyé de colis. C’est assez drôle : tu pars déjà avec très peu, et pourtant, il y a encore un petit peu de superflu.

    Pas beaucoup. Mais un petit peu.

    Lara sur la route @Lara Amoros

    Globalement, la grimpe et le vélo, ce sont deux activités qui ne fatiguent pas du tout de la même manière. Et c’est justement ça qui les rend assez compatibles, je pense.

    Une journée de grimpe, ça ne nous épuise pas vraiment. Ce n’est pas comme une grosse journée en montagne, où tu marches beaucoup et où tu portes du poids. Et les journées de vélo, tu les doses vraiment comme tu veux. Quand tu es cuit, de toute façon, tu n’avances plus. Tu t’arrêtes. Et c’est assez fou : en une nuit, tu récupères.

    Ce qui était un peu plus contraignant, en revanche, c’était d’arrêter complètement l’une ou l’autre des deux activités. Le vélo, même après un mois d’arrêt, on reprenait super vite. Tandis que l’escalade, c’est plus ingrat. Il y a eu des pauses grimpe quand il fallait simplement rejoindre le prochain spot, ou parfois parce qu’on avait décidé de faire une séquence purement vélo – comme sur certaines routes emblématiques, la Pamir Highway par exemple. Et au final, tu te rends compte que tu ne seras jamais vraiment dans une forme optimale en escalade.

    En plus de ça, il y a le changement constant de style de grimpe. Le temps de comprendre comment ça marche à un endroit, tu es déjà ailleurs.

    Sur les piliers au-dessus de la mer @Lara Amoros

    Je quittais chaque pays en me disant : « Il faut absolument qu’on y revienne ». Pour des raisons très différentes à chaque fois. La Turquie, par exemple, j’aimerais y retourner en camion. Ce n’est pas si loin, et là-bas, les gens étaient vraiment incroyables.

    Alors bien sûr, les gens sont globalement accueillants un peu partout dans le monde – et pas seulement dans les pays pauvres ou riches, comme on l’entend parfois. On a souvent tendance à faire des généralités sur “l’hospitalité des pays pauvres”, mais en réalité, on a rencontré des gens géniaux partout. Cela dit, en Turquie, c’était presque systématique. Il y avait des journées où on nous proposait de boire le thé tous les 100 mètres.

    L’Asie centrale aussi m’a marquée, avec ses paysages désertiques d’altitude. C’est vraiment le type d’environnement montagnard que j’adore. Bien plus, par exemple, que la Nouvelle-Zélande – même si tout le monde dit que c’est magnifique, sauvage. Pour nous, les glaciers et les forêts, c’est du familier, c’est ce qu’on voit tout le temps. Mais ces grands plateaux entre 4 000 et 5 000 mètres, sans arbres, sans eau… ça, ce sont des paysages qui nous fascinent.

    On a aussi adoré grimper en Australie et en Tasmanie, sur ces espèces de tours au-dessus de la mer. C’était hyper exotique pour nous. Ce n’était pas très haut, mais il fallait gérer plein de paramètres : la hauteur des vagues, la marée, etc.

    Et puis le Japon… culturellement, on a vraiment adoré.

    Lara et Bruno @Lara Amoros

    Ce voyage nous a changés, c’est certain. Parfois, tu es toi-même étonnée de ce que tu peux endurer, ou des façons dont tu réagis. Tu te surprends.

    Déjà, tu ne pars pas faire ce genre de voyage avec n’importe qui. C’est ce qu’on se disait avec Bruno, dans les moments où c’était difficile à supporter : finalement, avec qui d’autre on aurait pu faire ça ? Personne. Même pas ton meilleur pote.

    On était en mode zéro budget. On dormait tout le temps à l’arrache. Il y a eu de longues périodes où on était crados. Et franchement, on est souvent un peu nuls niveau organisation. On achetait à manger une heure avant de se poser au bivouac. Et s’il n’y avait rien… eh bien on ne mangeait pas. Mais on fonctionne un peu pareil là-dessus.

    Cela dit, on s’est quand même dit qu’on avait peut-être poussé un peu trop loin dans l’inconfort. Parce que quand tu enchaînes les grosses journées, si tu n’as pas une petite récompense à la fin, c’est dur. Parfois, il ne faut pas grand-chose. Juste une douche.

    Et dans les pays riches, tu te rends vite compte de tout ce qui te fait envie. Dans les supermarchés, il y a plein de trucs que tu n’as pas vus depuis des mois, surtout après des pays où les rayons sont presque vides. Là, tu as tout… mais c’est super cher. On a mis du temps à comprendre que, ne pas s’offrir de petits moments de réconfort, ça nous épuisait.

    Quand on commençait à mal se parler, on réalisait que notre seul vrai réconfort, c’était d’avoir un moment tranquille à deux, le soir. Ça nous a pris du temps, mais une fois qu’on a compris ça, on a mieux géré. Il y a eu des moments où on faisait plus “équipe” que “couple”. Et parfois, c’est juste comme ça. Parce que des fois, il faut juste avancer.

    Bruno sur la route @Lara Amoros

    La vraie conclusion de ce projet, c’est la confiance en l’humanité.

    On n’a croisé personne de mal intentionné. On ne s’est jamais fait emmerder. Jamais virés d’un terrain où on campait à l’arrache, même en pleine ville, même sur un terrain de rugby. Jamais.

    Le vélo, ça attire la curiosité. On appelait ça le pouvoir du vélo à la fin. Les gens veulent t’aider, alors qu’en vrai, tu n’as pas besoin d’aide. Tout va bien. T’es juste assis devant un supermarché, et quelqu’un sort pour t’offrir une boisson fraîche. Alors que t’avais même pas remarqué qu’on t’avait remarqué.

    Presque chaque jour, il y avait une situation improbable, juste parce que les gens sont surpris, curieux, touchés, pour des raisons très différentes. Certains sont admiratifs : tu fais un effort physique pour être là. D’autres pensent que tu es pauvre et ont pitié. Et puis certains te prennent pour un aventurier, un mec qui a fait quatre fois le tour du monde.

    Mais dans tous les cas, les gens sont ultra sympas. Et ça, c’est vraiment chouette.
    Parce que parfois, on a l’impression qu’on vit tous dans nos petites bulles, méfiants, refermés. Et là, tu découvres que non. Il y a partout des gens ouverts, généreux, curieux, attentifs.

    C’est une bonne leçon de voyage. Une qu’on a envie de garder en tête, même une fois revenus à une vie plus sédentaire. 

    Quelque part sur le globe @Lara Amoros

    Escal’À 2 roues, le “road-movie réalisé avec les moyens du bord”

    On a aussi fait un film pendant le voyage. Là encore, zéro budget de production. Quand on est arrivés au Japon, on avait déjà filmé pas mal de choses, plutôt pour nous, pour des souvenirs persos. Et on a été invités à Tokyo par une association de guides que Bruno avait formée plusieurs années de suite – soit ils venaient à Chamonix, soit lui allait au Japon. Ils nous ont organisé une petite fête de bienvenue. Super sympa, mais comme les Japonais parlent assez peu anglais – à l’époque, Bruno bossait avec une interprète – on s’est dit : « La soirée va être un peu longue si on ne peut pas échanger… »

    Alors dans l’après-midi, j’ai monté un petit film de 15 minutes avec des images de la première année. Juste pour partager un peu. Et finalement, ce petit film s’est rallongé au fil des mois. Il a fini par durer une heure.

    On l’a présenté un peu partout, au cours du voyage : dans des salles d’escalade, des clubs alpins, dans différents pays. Et comme on se retrouvait souvent face à des publics qui ne parlaient pas notre langue, on a gardé le film muet, juste avec de la musique. L’idée, c’était de discuter après, de laisser place à l’échange.

    Et c’est drôle, parce qu’en ne disant pas trop dans le film, on a parfois suscité plus de réactions que si on avait tout raconté. J’ai beaucoup dessiné pendant le voyage, et certaines pages de mon carnet faisaient les transitions entre les vidéos. Ça a vraiment créé du lien. À la fin d’une projection, les gens venaient nous parler, nous donner des contacts, des potes grimpeurs à l’autre bout du pays. C’est comme ça qu’on a rencontré plein de gens.

    Voir le film de Lara et Bruno ici

  • L’odyssée d’Aurélie Martin sur les traces des plus grands glaciers français : étape 1, le massif du Mont-Blanc

    L’odyssée d’Aurélie Martin sur les traces des plus grands glaciers français : étape 1, le massif du Mont-Blanc

    Aurélie Martin est une athlète qui s’engage. Mais pas question pour elle de mettre en avant ses performances individuelles : ce qu’elle veut, c’est utiliser sa passion pour des causes qu’elle estime justes. C’est pourquoi l’Annécienne, qui fait aujourd’hui partie des Climatosportifs, un collectif de sportif.ves engagé.es pour l’environnement, s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers de France, mêlant natation en lac alpin ainsi que des approches en vélo et randonnée. Le tout avec un objectif : sensibiliser à l’importance de la protection de ces géants. Un projet divisé en trois étapes, chacune se déroulant dans l’un des plus grands massifs alpins français, qu’elle mène actuellement. encordées a échangé avec Aurélie à l’issue de son aventure dans le massif du Mont-Blanc.

    Amoureuse des montagnes, voilà comment se définit Aurélie Martin, une triathlète partie à l’aventure à travers les Alpes cet été. Un projet où la performance est laissée au second plan. Puisque cette odyssée est avant tout un moyen de sensibiliser à l’importance de la protection des glaciers. Ces géants de glace, présentés comme de véritables réservoirs d’eau douce, n’ont de cesse de dépérir. Ils devraient d’ailleurs perdre entre 20 % et 52 % de leur masse d’ici 2100, tandis que ceux des Alpes pourraient avoir presque disparu. Face à cette situation alarmante, l’ONU a déclaré 2025 comme l’« année internationale de la préservation des glaciers ».

    Le regard tourné vers les glaciers (@Aurélie Martin)
    Le regard tourné vers les glaciers
    (@Aurélie Martin)

    La sensibilisation environnementale, une vocation

    Originaire de Nantes, Aurélie Martin a grandi loin des montagnes. « Je viens d’un sport un peu original, le hockey sur gazon », raconte-t-elle. « Comme c’était un peu niche, j’ai évolué assez vite. J’ai fait sport-études hockey pendant tout mon collège-lycée. J’ai ensuite voulu évoluer à plus haut niveau. Je suis donc allée à Paris pour pouvoir évoluer au plus haut niveau français, l’équivalent de la Ligue 1 en foot en quelque sorte ».

    En parallèle, Aurélie se lance dans des études en droit et sciences politiques, jusqu’à obtenir un master en développement durable. « La préservation de l’environnement, c’était avant tout un engagement personnel », explique-t-elle. « Je n’ai jamais pensé en faire vraiment mon métier. Et par le fruit du hasard, mais surtout par une révolte personnelle sur le fait que mon sport avait un énorme impact environnemental, j’ai décidé de postuler auprès de la Fédération française de hockey pour en être responsable du développement durable. Un moyen d’aider mon sport à être plus vertueux ».

    Un premier pas l’ayant menée à se tourner vers la sensibilisation, au sein d’une ressourcerie sportive d’abord, puis au Climate Workout, un atelier ludique créé par l’éco aventurier Matthieu Witvoet à Annecy. C’est à ce moment-là que le triathlon est entré dans sa vie : « Même si j’ai toujours fait beaucoup de sport, je me suis vraiment mise au vélo il y a un an. Après avoir fait 15 ans d’un même sport, pouvoir faire trois sports différents en un, je trouve ça trop cool ».

    Une enfance près des montagnes (@Aurélie Martin)
    Une enfance jamais trop loin des montagnes
    (@Aurélie Martin)

    Est ensuite né son projet autour des glaciers alpins. « J’ai répondu à un appel à projets du mouvement Maïf Sport Planet qui soutient chaque année celles et ceux souhaitant mêler aventure et préservation de l’environnement », détaille Aurélie. « Je suis assez sensible aux glaciers. Ça me touche beaucoup de les voir s’effacer. J’avais donc envie de faire un projet cette année dédié à la préservation des glaciers en utilisant ma passion, le triathlon ».

    Une aventure sous le signe du partage

    Une grande traversée des plus grands glaciers de France qu’elle a divisée en trois aventures, chacune se déroulant au sein d’un massif alpin : le Mont-Blanc, les Écrins et la Vanoise. « L’idée, c’est de faire un triathlon pendant 15 jours dans chaque massif en partant d’un lac alpin, en parcourant les massifs à vélo, puis en allant faire de la randonnée glaciaire sur les plus grands glaciers de chaque massif », nous a expliqué Aurélie. « Le tout avec un objectif : embarquer un maximum de gens avec moi dans l’aventure, sensibiliser à la préservation des glaciers, faire des vidéos de vulgarisation scientifique sur l’importance des glaciers et l’impact de leur fonte, mais aussi aller à la rencontre des acteurs locaux, des associations qui œuvrent au quotidien sur ces sujets-là. »

    Le 25 mai, Aurélie est partie à la nage du lac Léman, le plus grand lac d’eau douce d’Europe, d’origine glaciaire. « J’avais fait un appel à tous les clubs de natation et les personnes qui faisaient de la nage en eau libre via des groupes Facebook. Ça me tenait à cœur de partager le début de cette aventure », détaille-t-elle.

    Les quatre nageur.ses ont rejoint Évian-les-Bains, la première ville exportatrice d’eau douce mondiale. S’en sont suivis trois jours de vélo jusqu’à Chamonix par la route des Grandes Alpes. Un total de 200 kilomètres et 3 700 mètres de dénivelé positif. 

    Une fois arrivée à la capitale mondiale de l’alpinisme, Aurélie s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers du massif, en commençant donc par deux jours sur la Mer de Glace, sans doute l’un des lieux les plus symboliques quand on parle de l’impact du réchauffement climatique sur les glaciers. Avant d’enchaîner sur une journée sur le glacier d’Argentière et une journée sur le glacier des Bossons, sous lequel se forme un lac proglaciaire qui constitue une menace d’inondation soudaine pour les populations et infrastructures en aval, si bien que des travaux de vidange sont régulièrement entrepris.

    « J’ai été accompagnée d’un guide et médiateur scientifique local qui travaille pour la réserve naturelle des Aiguilles Rouges », raconte Aurélie. « On a fait de la randonnée glaciaire ». L’équivalent d’environ 60 kilomètres de marche, entrecoupée de rencontres avec des locaux.

    Direction les Écrins

    De Chamonix, Aurélie a ensuite rejoint Annecy à vélo. « L’idée, c’était d’arriver sur le triathlon de l’Alpsman », raconte-t-elle. « Un triathlon partenaire de la Maïf, avec qui je collabore. Ça m’a permis de finir cette première étape sur un événement ».

    Elle a ensuite prévu de prendre la direction du massif des Écrins. « J’aimerais avoir de l’impact en termes de sensibilisation », conclut-elle. « À terme, j’aimerais arriver à amener des cordées avec moi sur les glaciers. Dans les Écrins, j’aimerais vraiment beaucoup travailler avec les refuges, mais aussi une population plus touristique et plus jeune qui n’a pas forcément conscience des enjeux environnementaux ». Avec toujours le même objectif en tête : mettre l’accent sur l’impact que peut avoir son aventure plutôt que sur sa performance individuelle.