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  • L’odyssée d’Aurélie Martin sur les traces des plus grands glaciers français : étape 1, le massif du Mont-Blanc

    L’odyssée d’Aurélie Martin sur les traces des plus grands glaciers français : étape 1, le massif du Mont-Blanc

    Aurélie Martin est une athlète qui s’engage. Mais pas question pour elle de mettre en avant ses performances individuelles : ce qu’elle veut, c’est utiliser sa passion pour des causes qu’elle estime justes. C’est pourquoi l’Annécienne, qui fait aujourd’hui partie des Climatosportifs, un collectif de sportif.ves engagé.es pour l’environnement, s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers de France, mêlant natation en lac alpin ainsi que des approches en vélo et randonnée. Le tout avec un objectif : sensibiliser à l’importance de la protection de ces géants. Un projet divisé en trois étapes, chacune se déroulant dans l’un des plus grands massifs alpins français, qu’elle mène actuellement. encordées a échangé avec Aurélie à l’issue de son aventure dans le massif du Mont-Blanc.

    Amoureuse des montagnes, voilà comment se définit Aurélie Martin, une triathlète partie à l’aventure à travers les Alpes cet été. Un projet où la performance est laissée au second plan. Puisque cette odyssée est avant tout un moyen de sensibiliser à l’importance de la protection des glaciers. Ces géants de glace, présentés comme de véritables réservoirs d’eau douce, n’ont de cesse de dépérir. Ils devraient d’ailleurs perdre entre 20 % et 52 % de leur masse d’ici 2100, tandis que ceux des Alpes pourraient avoir presque disparu. Face à cette situation alarmante, l’ONU a déclaré 2025 comme l’« année internationale de la préservation des glaciers ».

    Le regard tourné vers les glaciers (@Aurélie Martin)
    Le regard tourné vers les glaciers
    (@Aurélie Martin)

    La sensibilisation environnementale, une vocation

    Originaire de Nantes, Aurélie Martin a grandi loin des montagnes. « Je viens d’un sport un peu original, le hockey sur gazon », raconte-t-elle. « Comme c’était un peu niche, j’ai évolué assez vite. J’ai fait sport-études hockey pendant tout mon collège-lycée. J’ai ensuite voulu évoluer à plus haut niveau. Je suis donc allée à Paris pour pouvoir évoluer au plus haut niveau français, l’équivalent de la Ligue 1 en foot en quelque sorte ».

    En parallèle, Aurélie se lance dans des études en droit et sciences politiques, jusqu’à obtenir un master en développement durable. « La préservation de l’environnement, c’était avant tout un engagement personnel », explique-t-elle. « Je n’ai jamais pensé en faire vraiment mon métier. Et par le fruit du hasard, mais surtout par une révolte personnelle sur le fait que mon sport avait un énorme impact environnemental, j’ai décidé de postuler auprès de la Fédération française de hockey pour en être responsable du développement durable. Un moyen d’aider mon sport à être plus vertueux ».

    Un premier pas l’ayant menée à se tourner vers la sensibilisation, au sein d’une ressourcerie sportive d’abord, puis au Climate Workout, un atelier ludique créé par l’éco aventurier Matthieu Witvoet à Annecy. C’est à ce moment-là que le triathlon est entré dans sa vie : « Même si j’ai toujours fait beaucoup de sport, je me suis vraiment mise au vélo il y a un an. Après avoir fait 15 ans d’un même sport, pouvoir faire trois sports différents en un, je trouve ça trop cool ».

    Une enfance près des montagnes (@Aurélie Martin)
    Une enfance jamais trop loin des montagnes
    (@Aurélie Martin)

    Est ensuite né son projet autour des glaciers alpins. « J’ai répondu à un appel à projets du mouvement Maïf Sport Planet qui soutient chaque année celles et ceux souhaitant mêler aventure et préservation de l’environnement », détaille Aurélie. « Je suis assez sensible aux glaciers. Ça me touche beaucoup de les voir s’effacer. J’avais donc envie de faire un projet cette année dédié à la préservation des glaciers en utilisant ma passion, le triathlon ».

    Une aventure sous le signe du partage

    Une grande traversée des plus grands glaciers de France qu’elle a divisée en trois aventures, chacune se déroulant au sein d’un massif alpin : le Mont-Blanc, les Écrins et la Vanoise. « L’idée, c’est de faire un triathlon pendant 15 jours dans chaque massif en partant d’un lac alpin, en parcourant les massifs à vélo, puis en allant faire de la randonnée glaciaire sur les plus grands glaciers de chaque massif », nous a expliqué Aurélie. « Le tout avec un objectif : embarquer un maximum de gens avec moi dans l’aventure, sensibiliser à la préservation des glaciers, faire des vidéos de vulgarisation scientifique sur l’importance des glaciers et l’impact de leur fonte, mais aussi aller à la rencontre des acteurs locaux, des associations qui œuvrent au quotidien sur ces sujets-là. »

    Le 25 mai, Aurélie est partie à la nage du lac Léman, le plus grand lac d’eau douce d’Europe, d’origine glaciaire. « J’avais fait un appel à tous les clubs de natation et les personnes qui faisaient de la nage en eau libre via des groupes Facebook. Ça me tenait à cœur de partager le début de cette aventure », détaille-t-elle.

    Les quatre nageur.ses ont rejoint Évian-les-Bains, la première ville exportatrice d’eau douce mondiale. S’en sont suivis trois jours de vélo jusqu’à Chamonix par la route des Grandes Alpes. Un total de 200 kilomètres et 3 700 mètres de dénivelé positif. 

    Une fois arrivée à la capitale mondiale de l’alpinisme, Aurélie s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers du massif, en commençant donc par deux jours sur la Mer de Glace, sans doute l’un des lieux les plus symboliques quand on parle de l’impact du réchauffement climatique sur les glaciers. Avant d’enchaîner sur une journée sur le glacier d’Argentière et une journée sur le glacier des Bossons, sous lequel se forme un lac proglaciaire qui constitue une menace d’inondation soudaine pour les populations et infrastructures en aval, si bien que des travaux de vidange sont régulièrement entrepris.

    « J’ai été accompagnée d’un guide et médiateur scientifique local qui travaille pour la réserve naturelle des Aiguilles Rouges », raconte Aurélie. « On a fait de la randonnée glaciaire ». L’équivalent d’environ 60 kilomètres de marche, entrecoupée de rencontres avec des locaux.

    Direction les Écrins

    De Chamonix, Aurélie a ensuite rejoint Annecy à vélo. « L’idée, c’était d’arriver sur le triathlon de l’Alpsman », raconte-t-elle. « Un triathlon partenaire de la Maïf, avec qui je collabore. Ça m’a permis de finir cette première étape sur un événement ».

    Elle a ensuite prévu de prendre la direction du massif des Écrins. « J’aimerais avoir de l’impact en termes de sensibilisation », conclut-elle. « À terme, j’aimerais arriver à amener des cordées avec moi sur les glaciers. Dans les Écrins, j’aimerais vraiment beaucoup travailler avec les refuges, mais aussi une population plus touristique et plus jeune qui n’a pas forcément conscience des enjeux environnementaux ». Avec toujours le même objectif en tête : mettre l’accent sur l’impact que peut avoir son aventure plutôt que sur sa performance individuelle.

  • Juliette Becquet, hydroécologue à la tête du projet « Downstream »

    Juliette Becquet, hydroécologue à la tête du projet « Downstream »

    2025 a été désignée « année internationale de la préservation des glaciers » par l’ONU, un moyen de souligner l’urgence à laquelle ces géants font face. Puisque les glaciers du monde entier devraient perdre entre 20 % et 52 % de leur masse d’ici 2100, et ceux des Alpes pourraient avoir presque disparu. Un phénomène qui affecterait profondément les ressources en eau douce et la biodiversité. C’est ce que met en lumière le projet Downstream, porté par Juliette Becquet. L’objectif ? Mettre en évidence l’impact du recul des glaciers sur trois grands fleuves alimentés par ces derniers : le Rhône en Europe, le Columbia en Amérique du Nord et le Waitaki en Nouvelle-Zélande. Bien que géographiquement éloignés, ces cours d’eau partagent des défis communs liés à la fonte des glaciers, à la gestion des ressources en eau et à la perte de biodiversité.

    encordées :
    Quel a été ton rôle dans le projet Downstream ? 

    À l’origine, le projet Downstream n’était pas destiné à être un film, mais un projet de recherche. Protect Our Winters (POW) m’a contactée pour savoir si j’étais intéressée à prendre le lead sur la partie scientifique du projet, ce que j’ai accepté. Ce n’est que quelques mois plus tard, lorsqu’il a fallu réfléchir à la manière de médiatiser le projet, qu’ils ont décidé de créer un film. Huw James, le réalisateur, a été contacté, tandis que de mon côté, j’ai dû trouver des personnes à interviewer. POW pensait que ce serait une bonne idée que je sois la « conductrice » du film.

    Mon rôle principal dans le projet Downstream a été d’écrire le livre blanc, disponible en ligne. Ce livre de 60 pages est une revue bibliographique qui rassemble tous les faits scientifiques liés au climat, aux glaciers et à l’eau. Bien que la revue soit assez survolée, elle est beaucoup plus détaillée que ce qui apparaît dans le film. C’est grâce à ce livre blanc que Protect Our Winters peut utiliser le projet Downstream comme un outil de sensibilisation et de discussion pour plaider en faveur d’actions pour le climat.

    En tant que scientifique, j’aurais aimé que le film dure deux heures et que l’on puisse entrer davantage dans les détails [le film dure 26 minutes, ndlr]. Cependant, l’objectif de Protect Our Winters était avant tout de sensibiliser et d’ouvrir à la discussion sur les divers enjeux liés au retrait des glaciers. Nous avons des dizaines d’heures d’interviews, mais le but était que ce soit facile à regarder. Le film permet au spectateur de se dire : « Je m’intéresse aux vignobles suisses ou aux saumons du nord de l’Amérique, alors je vais aller approfondir ces sujets dans le livre blanc. » De plus, les interviews complètes sont disponibles en ligne.

    encordées :
    Le grand public a souvent une vision assez lointaine des glaciers, surtout pour celles et ceux qui ne pratiquent pas la montagne. Comment rendre cette cause plus concrète ?

    L’objectif du film est de faire prendre conscience aux gens, qu’ils vivent à la mer, en montagne ou en ville, que les glaciers n’impactent pas uniquement les vies des habitants dans les dix premiers kilomètres en aval des vallées. Leur influence se fait sentir à des centaines de kilomètres en dessous, affectant des secteurs aussi cruciaux que la politique énergétique d’un pays, l’approvisionnement en eau potable, et même l’agriculture.

    Comment peut-on concrètement prendre conscience de cette réalité ? Déjà, en regardant le film Downstream, peut-être. Mais aussi en se renseignant, car l’information est disponible partout. Je conseille vivement à chacun de se plonger dans ces sujets.

    encordées :
    Quelles actions peut-on mettre en place, à notre échelle, pour préserver les glaciers ?

    Il existe des actions individuelles essentielles. D’abord, notre rôle en tant que citoyens est crucial. Consommer moins et faire durer ce que l’on a le plus longtemps possible est un pilier fondamental. Ce n’est pas une question de jeter des objets ou d’acheter des produits bon marché tous les deux ans. Il est bien plus pertinent de privilégier des matériaux de qualité et de les faire durer.

    Ensuite, il y a des aspects liés à notre alimentation. J’ai vu passer un article sur France Inter qui expliquait que si tous les Français réduisaient de moitié leur consommation de viande, nous atteindrions les objectifs climatiques du pays. Ce geste, pourtant simple, a un impact significatif.

    Et bien sûr, il y a la question du transport et des énergies fossiles. Rien de nouveau à ce sujet, mais il faut continuer à le répéter : les énergies fossiles sont le principal facteur du changement climatique. Cela implique de limiter nos déplacements, d’optimiser nos trajets, et de ralentir, tout simplement. 

    Ces actions individuelles sont importantes, mais elles ne suffisent pas à elles seules. Il est désormais largement admis que des changements doivent aussi se produire à une échelle plus large. Une poignée de personnes très riches dans ce monde sont responsables d’une grande part du réchauffement climatique. Même si nous agissons tous individuellement, cela peut ne pas être suffisant. Ce n’est peut-être même pas le levier principal. Les scientifiques s’accordent à dire qu’il faut des décisions politiques courageuses et drastiques. Et même si cela semble difficile, je pense que ce n’est pas illusoire. Lorsque l’on voit les mesures prises pendant la crise du Covid, il est possible de croire que des décisions tout aussi fortes peuvent être prises à l’échelle mondiale.

    Et depuis que je m’intéresse à la philosophie et à l’humain, j’ai envie de dire qu’on ne peut pas changer pour du « moins bien ». À mon avis, si on veut vraiment changer, il faut qu’on y trouve du positif. Au début, cela peut faire peur de privilégier le train plutôt que la voiture, mais je suis convaincue qu’on sera plus heureux dans une société qui ralentit, où l’on voyage moins, où l’on consomme moins, où l’on se compare moins. Et je pense que tout ça passe par un véritable questionnement sur nos vies, sur ce qui nous rend vraiment heureux, et sur le sens de nos relations. C’est souvent par cette réflexion que je termine mes discussions autour de « Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? »

    encordées :
    On parle souvent de réinventer les imaginaires collectifs, n’est-ce pas ?

    Oui, exactement. Et dans cette perspective, j’admire beaucoup Cyril Dion, qui incarne parfaitement cette idée : « Oui, il faut évidemment stopper ce qui ne va pas, mais il est absolument nécessaire de créer quelque chose de nouveau, quelque chose qui rende les gens heureux, parce que sinon, c’est juste déprimant ». C’est évident. Donc oui, il s’agit de réinventer nos imaginaires, de créer des films qui racontent autre chose que des histoires d’apocalypse, des séries qui proposent de nouvelles façons de vivre.

    Et le rôle du citoyen est aussi d’aller voter en faveur de ces changements. Mais pour cela, il faut se ré-intéresser à la politique. Les politiques ont vraiment une grande marge de manœuvre. Et tout cela demande une implication du monde économique, pour s’orienter vers des pratiques comme l’économie régénérative, l’hydrologie régénérative, ou l’agriculture régénérative. Il s’agit de produire ou d’avoir des activités économiques qui ne visent plus uniquement à faire de l’argent, mais à protéger, voire restaurer la nature, tout en maintenant une économie stable. Et ce n’est pas une utopie. C’est tout à fait possible.

    encordées :
    Et concrètement, c’est quoi l’agriculture régénérative ?

    L’agriculture régénérative n’a pas de définition exacte, mais c’est un terme qui désigne un ensemble de pratiques agricoles visant à régénérer l’environnement. L’objectif est d’être efficace, bien sûr, en produisant des récoltes, mais tout en prenant soin de la nature, notamment en préservant la santé des sols. Il ne s’agit pas de voir l’espace agricole simplement comme une surface de production, mais comme un écosystème complet dans lequel la production s’intègre harmonieusement.

    En Nouvelle-Zélande, par exemple, des fermiers réfléchissent à la sélection des espèces végétales à planter en fonction du climat du moment, ce qui peut sembler classique. Cependant, leur approche va au-delà : ils s’efforcent de régénérer les sols pour qu’ils contiennent davantage de matières organiques. Un sol riche en matière organique retient mieux l’eau et joue ainsi son rôle de tampon face aux sécheresses ou aux inondations.

    Il s’agit aussi de ralentir le cycle de l’eau, un principe de l’hydrologie régénérative, défendu par des chercheurs comme Charlène Descollonges. Cela peut passer par des actions simples comme la plantation d’arbres, qui, de manière naturelle, aident à retenir l’eau dans l’écosystème. À l’origine, la nature savait faire tout cela seule.

    encordées :
    Tu es docteure en hydroécologie, qu’est-ce qui t’a menée à cette spécialité ?

    J’ai toujours voulu être scientifique, passionnée par la nature et les sciences. C’est en découvrant l’écologie scientifique lors de mon DUT à Lyon que j’ai trouvé ma voie. Je rêvais de travailler à Asters, le conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie, peu importe le sujet, même si j’étais plus attirée par les insectes ou les grands animaux. Finalement, j’ai travaillé avec le glaciologue Jean-Baptiste Bosson sur les lacs sentinelles, ce qui m’a beaucoup plu. L’enjeu était d’améliorer la compréhension du fonctionnement et des menaces qui pèsent sur les lacs d’altitude, afin de mieux les préserver. Cela m’a donné l’envie de poursuivre mes études en faisant une thèse sur les rivières de montagne, un sujet où l’écologie se mêle à l’hydroécologie.

    L’hydroécologie, c’est une sous-discipline de l’écologie appliquée aux milieux aquatiques. C’est l’étude des interactions entre l’environnement et les organismes, ainsi qu’entre les organismes eux-mêmes, dans les écosystèmes aquatiques. Cela m’a ouvert les yeux sur les problématiques auxquelles font face les bureaux d’études. Je me suis orientée vers cette voie parce que la science et la nature m’ont toujours passionnée, et mon choix d’orientation n’a jamais été une question à la maison.

    encordées :
    Tu as grandi en montagne, quel est ton rapport à cet univers ?

    J’ai grandi à Thyez, une petite ville près de Cluses, dans la vallée de l’Arve, avec la station de ski la plus proche, le Praz de Lys, à côté des Gets. Je suis née là-bas, et dès l’âge de deux ans, mes parents m’emmenaient skier au Praz de Lys. Puis, pour occuper mes mercredis après-midi, je suis allée au ski-club avec mes copines. Comme j’étais plutôt douée, j’ai commencé la compétition avant de me diriger vers le métier de monitrice de ski. Pour cela, je suis allée à Chamonix, où j’ai suivi trois années de formation entre monitrice de ski et baccalauréat général SVT. C’était une expérience enrichissante, mais aussi un peu challengeante à l’époque, car les mentalités n’étaient pas aussi ouvertes qu’aujourd’hui. Je me sentais parfois déconnectée des idées dominantes, mais je pense que cela évolue maintenant. À Chamonix, c’est difficile d’ignorer les impacts du changement climatique. Tout le monde voit que les guides de montagne doivent réajuster leurs itinéraires. C’est compliqué aujourd’hui d’être climato-sceptique quand on vit dans cette région. Même si, je crois, il en existe encore.