Il n’y a pas d’âge pour s’élancer, et Jayne le prouve chaque jour. À 65 ans, elle incarne la liberté, le courage et l’envie de ne rien remettre à demain. Son histoire, c’est un rappel précieux : vivre, c’est vouloir vivre – peu importe l’âge, peu importe les peurs.
« Regardez les gars comme Jayne vous met la pâtée ! »
Je souris, puis rétorque : « On n’a jamais dit que c’était une compétition ! La clé, c’est la collaboration. Avancer tous et toutes ensemble, n’est-ce pas ? »
Pourtant, c’est vrai : Jayne leur met sacrément « la pâtée » aux gars.
À 65 ans, Jayne cavale dans la via ferrata des gorges du Durance. Elle cavale parce qu’elle a de plus en plus l’habitude de la verticalité. Et qu’elle n’a pas peur, ou elle la maîtrise vraiment bien, cette appréhension du vide.
L’important, c’est de partager un moment de montagne à plusieurs, nous sommes bien d’accord, mais Jayne, première de cordée, avouez que ça a de la gueule !
Sans doute parce que rien n’était écrit d’avance. C’est ce qu’elle m’a raconté quelques jours plus tard : « Je m’occupais des enfants à la maison. Mike [son mari, ndlr] avait le rugby, on allait le voir jouer le week-end. Je ne me suis jamais trop posée d’autres questions. »
Puis un jour, sa belle-fille lui a proposé d’enfiler un baudrier.
Une main tendue qui lui fait réaliser que c’était « maintenant ou jamais ».
Jayne, elle est britannique, alors elle dit : « Now or never ».
Cette allitération en « n » confère une belle musicalité à cette phrase, que l’on ne retrouve pas dans la langue française.
« Now or never ».
Il y a un sentiment d’urgence.
Une peur, une nécessité.
Mais aussi une promesse.
La promesse de ne plus remettre à demain.
De ne pas attendre que tout soit parfait, que le courage arrive.
La promesse de se lancer, même quand on a peur, même quand on n’est « pas prête ».
Parce qu’attendre, c’est déjà renoncer un peu.
« Voir les enfants [son fils et sa belle-fille, ndlr] bouger partout, être dehors, m’a donné envie de faire pareil. » m’a avoué Jayne. « Alors voilà, je le fais ».
« On trouve toujours une solution »
« Jayne, c’est une force de la nature » m’a dit sa belle-fille. « Tu sais qu’elle part faire du vélo toute seule ? Elle prend le train, et s’en va, pour une journée. »
J’ai demandé à Jayne de m’en dire plus sur ses aventures à deux roues. C’est alors que j’ai réalisé qu’elle avait les mêmes peurs que moi : la solitude, la crevaison… Et que le plus difficile, même si elle ne me l’a pas dit, ça devait être de fermer la porte, son vélo à la main, pour dire à Mike, son mari : « À toute à l’heure ».
Puis de monter dans le train.
« J’ai compris que l’on trouve toujours une solution, quelqu’un de bienveillant sur le bord du chemin, quoiqu’il arrive », conclut Jayne.
C’est alors que je me suis dit : « Pourquoi ne pas partir sur les chemins des Hautes-Alpes à vélo avec Jayne ? Ce serait le moyen idéal de poursuivre cette histoire débutée à flanc de falaise ».
J’avais peur qu’elle me mette « la pâtée » à vélo, Jayne.
Alors j’ai tout donné, elle aussi.
Et je crois bien que l’on était bien fières d’avoir ajouté une jolie aventure à nos vies respectives.
Vivre, c’est vouloir vivre
Une pensée ne m’a pas quittée sur le vélo : « J’aimerais tellement être comme Jayne, au même âge. »
Mais pour tout vous dire, je me rends bien compte que ces histoires d’âge, c’est une bien belle connerie. Car ce qui importe, c’est ce qu’il y a dans le coeur, cette irrépressible envie de découverte, de rencontres, d’aventures.
Le poids des années ne peut rien faire face à la volonté.
Grimpeuses, c’est une « safe place ». Une association qui, depuis sept ans, fait la part belle à la sororité. Une respiration, façon « colonie de vacances », où l’escalade devient le prétexte idéal pour se retrouver, refaire le monde, s’épanouir et simplement se faire du bien. J’étais à Paris lors de leur dernier événement. Voici le récit de ce week-end, en toute subjectivité.
5h00. Le réveil sonne.
Je tourne la page de mon éphéméride : « Vendredi 3 octobre. Avec qui aimeriez-vous partir sur un coup de tête ? »
La question me fait sourire. J’y vois un signe : je suis sur le bon chemin.
Ça y est, j’y vais, à Grimpeuses.
Une décision prise hier, sur un coup de tête, lorsque j’ai compris que ma naissante tristesse n’était pas qu’une histoire de SPM : je voulais être de la partie, celle écrite par mes amies à Paris ce week-end.
Salomé & Clémence, deux bénévoles Grimpeuses @Coralie Havas
Créer quelque chose ensemble, ce n’est pas rien
Grimpeuses a été ma « safe place ». Un environnement bienveillant dans lequel je me suis épanouie en tant que personne.
Ces années de bénévolat m’ont énormément appris. C’est pourquoi je serai toujours profondément reconnaissante envers cette association, que j’ai vue grandir aux côtés de Caroline Ciavaldini, sa fondatrice, pour tout le bagage de confiance qu’elle m’a apporté.
Mais mon aventure Grimpeuses, c’est avant tout des émotions partagées. Avec les autres bénévoles, bien sûr, mais aussi avec les participantes, les coachs et tous les locaux. Elle est là, l’âme de Grimpeuses.
C’est ce que je retiens de ces six années d’engagement.
La page « bénévolat » n’a pas été facile à tourner. Les visios avec les autres membres de l’asso ont cessé de rythmer mes soirées. Il en va de même pour les dizaines de messages WhatsApp quotidiens. Sans parler de cette émulation permanente. Car créer quelque chose ensemble, ce n’est pas rien, croyez-moi.
Mais « passer à autre chose » était nécessaire. Un choix, le mien, parfois difficile à assumer – surtout à l’approche des événements.
Ensemble, c’est tout
6h06. Le train démarre. Je suis heureuse.
Heureuse à l’idée du week-end qui s’annonce. Le programme est simple : je vais passer du temps avec mes amies. Elles seront nombreuses à se retrouver autour de cette association – qui restera à jamais dans mon cœur. Aucun doute : ma place est à leurs côtés.
Alors voilà, je suis en route pour Paris avec ma fidèle acolyte, Caro. Huit heures de transport, trois trains, un bus, la France à traverser… et un monde à refaire, ensemble. Une formalité.
L’avantage du coup de tête, c’est qu’il laisse place à la spontanéité. C’est ainsi que j’ai choisi de vivre Grimpeuses cette fois-ci : en me laissant porter.
J’avais pourtant le choix entre plusieurs casquettes : journaliste indépendante, fondatrice d’encordées, photographe, participante, bénévole ou amie. En adopter une seule aurait été bien réducteur. Alors j’ai choisi de passer le week-end en mode hybride, électron libre.
Alice, coache à Grimpeuses, et une participante @Sonia Charapoff
De la sororité
« Elles sont où, ces femmes, dans la vraie vie ? »
La question, posée par Victoire – une participante devenue amie -, m’avait fait sourire. Parce que je me l’étais posée, moi aussi, le 15 septembre 2018, à l’issue de la première journée Grimpeuses.
Elle revient aujourd’hui dans mon esprit, sept ans plus tard, alors que je refais le monde avec une participante au pied d’un bloc. Nombreuses sont mes plus belles amitiés à avoir commencé ainsi.
Il y a vraiment quelque chose de spécial à Grimpeuses, depuis le début. J’ai longtemps été incapable de mettre des mots dessus.
Aujourd’hui, je parlerais de sororité : « une relation horizontale, sans hiérarchie ni droit d’aînesse, un rapport de femme à femme », selon l’autrice Chloé Delaume. En résumé, à Grimpeuses, nous avons toutes à apprendre les unes des autres. Ça, on n’en a jamais ouvertement parlé, mais on l’a toutes intériorisé.
Cette réflexion m’est venue lors de la deuxième journée de l’événement parisien, dans la forêt de Fontainebleau, quand les rayons du soleil traversaient les arbres pour venir éclairer les visages heureux des participantes évoluant sur les blocs de grès.
Une participante sur les blocs de Fontainebleau @Louise Dallons-Thanneur
L’ambiance m’a ramenée à 2018, lors du premier événement qui s’était déroulé sur les blocs de La Capelle. Une nostalgie heureuse, une conclusion identique : Grimpeuses me fait du bien, me recentre.
Et je ne suis pas la seule.
Éline Le Menestrel, coach à Paris cette année, me l’avait dit la veille : « Merci, j’avais besoin de ça. »
Eline Le Menestrel en plein coaching à Grimpeuses @Coralie Havas
« Safe place »
On s’est souvent moqué de mon implication à Grimpeuses, par le passé. « Tu devrais travailler à te construire un avenir plutôt qu’à organiser bénévolement des réunions Tupperware », m’a-t-on répété.
Une remarque sexiste, visant à rabaisser un événement créé par des femmes et pour des femmes, à quelque chose de trivial, domestique et sans importance.
Certes, Grimpeuses ne changera pas le monde. Mais il est indéniable que cette association a réussi, le temps d’un week-end, à créer un environnement propice à l’épanouissement de soi, en toute bienveillance, pour une soixantaine de personnes. Et ça fait du bien de savoir que de telles « safe places » existent encore dans un monde de plus en plus divisé.
Merci Grimpeuses pour ces tranches de vie – et de rires aussi. Merci Grimpeuses pour les rencontres avec « tata Sonia », « maman Bao », Victoire, Louise, Alix, Salomé, Sarah… Merci, Grimpeuses, de m’avoir aidée à grandir.
Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi.
Vous vous souvenez d’Éléonore ? Mais si, c’est « la rencontre déclic » qui a permis à Manon et Caro d’être certaines de s’engager sur la Via Alpina. Je vous l’annonce d’emblée, c’est sur elle que je serai la moins objective. Parce qu’avec le temps, Éléonore, c’est devenue une amie. La genre que l’on compte sur les doigts d’une main.
Et j’aime beaucoup l’idée de l’avoir rencontrée grâce à la Via Alpina.
S’engager
La Via Alpina, c’est un rêve de gosse. D’ado plutôt. J’ai découvert ça à travers l’alpiniste Patrick Berhault et son livre « Encordé mais libre » (dont est inspiré le nom de ce média d’ailleurs). C’était il y a dix ans, j’étais au lycée, j’avais encore des études à faire, et franchement, je n’avais pas la maturité pour m’engager dans un tel projet. Je sais que c’était un truc « pour plus tard, quand je serai grande ». Voilà, maintenant, il est « plus tard ». Et je suis « grande ». Ce projet est venu toquer à la porte. Je lui ai fait sa place par la petite porte. En l’invitant dans un podcast que j’ai lancé avec une autre amie, Caroline Ciavaldini.
Je voulais qu’une invitée nous parle de son expérience sur la Via Alpina. Et comme personne dans mon entourage ne s’était lancé dans ce genre de projet, j’ai tapé sur Google : « femme seule Via Alpina ». C’est comme ça que je suis tombée sur Éléonore.
Deux mois plus tard, elle s’est retrouvée face à Caroline et moi. Nous avions toutes un micro à la main. C’était le début d’une belle aventure.
Échanger
Éléonore nous a parlé de son épopée sur la Via Alpina pendant deux heures. On aurait pu rester deux heures de plus. Je n’ai pas encore fait la Via Alpina, mais je peux vous dire que si vous avez ce projet dans le coin de la tête, la rencontre avec Éléonore finira de vous convaincre. Elle impulsera sans doute ce dernier petit élan, celui qu’il vous manquait pour fixer une date. Pour dire : « Là, je pars ». C’est ce qui s’est passé ce jour-là pour moi. « Qu’est-ce qui t’empêche de partir ? » m’a-t-elle demandé.
Les journalistes, ils n’aiment pas trop quand la personne interviewée commence à leur poser des questions. Ils appellent cela « retourner l’interview ». Moi, j’aime bien quand on me « retourne les interviews », ça veut dire que ce drôle d’exercice se transforme en échange. C’est nettement plus authentique, constructif et enrichissant.
Avant de poursuivre sur Éléonore, je vais tout de même vous parler de son histoire avec la Via Alpina – c’est pour ça que vous êtes là, je crois.
Barrières mentales
Éléonore, c’est le genre récidiviste. Quand on lui demande de nous parler de sa Via Alpina, elle nous répond : « Laquelle ? ». Parce qu’elle est partie en 2021 sur l’itinéraire rouge (sens Monaco-Triste), en 2023 sur les itinéraires jaune/vert/bleu (sens Trieste-Monaco) et sur le violet en 2024 (d’Oberstdorf au Triglav). À noter que l’intégralité des itinéraires de la Via Alpina a désormais été regroupée en un seul parcours.
Sa première Via Alpina, Éléonore l’a raconté dans un sublime texte, initialement publié dans le magazine du CAF de Villeurbanne, dont voici quelques extraits :
« Pour moi, le lancement de ce projet est l’illustration parfaite de l’expression “barrières mentales”. […] Je voyais dans chaque petit obstacle une barrière qui remettrait inévitablement en question l’intégralité du projet. Mais à partir du moment où ma décision fut prise, ces barrières se volatilisèrent avec une facilité déconcertante dès l’instant où je les abordai.
Parmi mes barrières mentales, il y avait, en premier lieu, la peur du jugement, notamment du jugement de mes parents. Je craignais qu’ils ne voient dans ce choix que la volonté d’une personne oisive de prendre des vacances sous un prétexte fallacieux. Alors quelle n’a pas été ma surprise quand, à mon annonce, mon père est allé chercher le livre “L’histoire du monde en 500 marches” en me déclarant : “Tiens, ça te donnera peut-être des idées”. Et c’est en effet dans cet ouvrage que je découvrais la Via Alpina pour la première fois. Un court paragraphe, mais qui m’a tout de suite donné envie d’en savoir plus. Ma mère, quant à elle, m’a fixée attentivement, et m’a simplement dit très calmement : “Je sais que tu vas le faire”.
Je me disais également que jamais mon employeur n’accepterait mon congé. Barrière complètement stupide s’il en est, car un congé sabbatique ne peut pas être refusé, dès lors que l’on remplit quelques conditions très sommaires. Au-delà du côté légal, je voulais malgré tout partir dans de bonnes conditions et en bons termes avec l’entreprise dans laquelle je travaillais. Il se trouve que mon manager de l’époque est un passionné de montagne. Il m’a plus qu’encouragée à réaliser ce projet et … il est même venu marcher avec moi.
Je ne vais pas toutes les citer, car il y en avait beaucoup (matérielles, logistiques, financières,…), mais la dernière barrière, et sûrement la plus importante : la peur de ne pas en être capable. Cependant la seule manière de lever celle-là … c’était d’essayer. Quelque part, cette barrière était depuis le début en constante opposition avec mon envie croissante de savoir jusqu’où je pourrais aller, si ce n’est jusqu’au bout. Alors allons-y. J’ai commencé de la meilleure façon qui soit : par un rendez-vous chez l’ostéopathe. Le samedi du départ, à 10h, je me retrouve donc dans cette petite salle d’attente, au lieu de fouler mes premiers pas sur le sentier comme je l’avais prévu. […] Cette douleur sera probablement ma camarade la plus fidèle, celle qui fera le plus de kilomètres en ma compagnie. Douleur très désagréable mais finalement non immobilisante, qui m’aura engendré plus d’anxiété qu’une quelconque envie d’abandon. Nous voilà donc partis, de Monaco, ce samedi 29 mai 2021, mon compagnon et moi, à 14h, enfin ! Quelques gouttes et une grosse averse nous salueront sur cette première journée sinon tranquille, présage de la météo qui allait m’accompagner tout au long de ce périple.
Le lendemain, après le déjeuner, je laisse mon compagnon à la gare de Sospel, comme convenu. Commence alors le début de la solitude. Cette première montée seule fut longue et larmoyante, me demandant ce que je faisais là et pourquoi diable j’avais décidé d’entreprendre cette aventure. Ce seront mes premières et mes dernières larmes avant l’arrivée.
N’ayant jamais bivouaqué seule, j’appréhendais la première nuit en tente. Et celle-ci ne fut pas des plus tranquilles. Extrait de mon journal de bord : “Tout à coup, j’entends un grognement, des bruits de branches. Le temps que je tourne la tête, je vois deux sangliers (un adulte et un petit) monter la montagne en courant à 150 m de moi. Je ne sais pas si mon odeur les a effrayés car j’étais tranquillement et silencieusement en train d’écrire.
Je finis d’écrire et rentre dans la tente. Maintenant, j’ai peur que les sangliers reviennent dans la nuit et saccagent ma tente. Je regarde sur internet, apparemment le sanglier a peur de l’homme et n’attaque que pour défendre ses petits. En cas d’attaque, il faut grimper à un arbre… (je vais mourir donc, tuée par un sanglier).
Je mets toute ma nourriture dans mon sac anti-odeurs rafistolé avant le départ : banane, saucisson, fromage, etc. pour ne pas les attirer. […] Je dors mal cette nuit-là. Chaque bruit est pour moi le bruit d’un sanglier aux aguets, malgré les boules quies. J’ai laissé mon couteau dans une poche latérale de la tente, au cas où. Le bruit de la pluie permet tout de même de couvrir les autres bruits, tant mieux ! Je n’en dors pas mieux pour autant.”
Un début d’aventure en fanfare, donc. Les quatre mois suivants ne seront pas aussi agités, heureusement. Je dirais plutôt qu’ils ont abrité une alternance subtile de moments difficiles et de moments magiques.
Ainsi, même si je suis parfois revenue à la question qui me taraudait le premier jour, à savoir : “qu’est-ce que je fais là ?”, je n’ai jamais envisagé sérieusement d’abandonner. […] Parfois, la pépite qui m’attendait se concrétisait sous la forme d’un paysage époustouflant. D’autres fois, elle se matérialisait par des rencontres.
Un matin je me réveille dans ma tente, un peu au-dessus de Mesocco. J’entends la pluie tapoter doucement sur la toile, encore. Les deux derniers jours ont été une succession d’averses torrentielles, de pluie fine, d’orages et d’accalmies. Je regarde la météo, et aucune amélioration n’est prévue dans les six prochains jours. Coup dur. Je lis les messages que j’ai reçus pendant la nuit, et l’un d’eux me déçoit particulièrement. La pluie s’arrête et j’en profite pour plier la tente rapidement. Je commence à marcher, contente qu’il ne pleuve plus, mais le répit est de courte durée.
Dix minutes à peine après mon départ, voilà que la pluie reprend de plus belle. Cette journée sera l’une des plus difficiles moralement de mon voyage. Je la passe à attendre sous des porches, des ponts, ou des arbres que l’intensité des averses faiblisse. Le reste du temps, je marche. Je réussis tout de même à faire sécher ma tente au cours d’une brève éclaircie, le vent m’aidant. Je suis fatiguée, et ne pas savoir quand le soleil sera de retour est pesant. Je cogite, ce qui m’arrive rarement. Le soir, je plante ma tente près d’une cascade et d’un camp scout. Une fois mon abri monté, je m’assois à une table de pique-nique pour préparer mon dîner, que je finirai sous la tente, la pluie ayant repris à nouveau. […] J’arrive à l’auberge Stuetta en bord de route vers 15h et décide de m’y arrêter. La météo annonçait une nette amélioration qui ne fait que se décaler dans le temps. Je prends un chocolat chaud et une part de gâteau au chocolat (le chocolat sera mon fidèle réconfort tout au long du voyage, je ne l’en remercierai jamais assez). La salle principale étant comble, la serveuse me met dans une pièce à part où je suis toute seule.
Au moment de repartir, dans le sas de l’entrée, je croise un papy, qui ne parle qu’italien. Il remarque mon sac à dos, me pose des questions (du moins, j’imagine que ce sont des questions), et insiste pour me payer un café. J’accepte. Et nous voilà dans la pièce principale, pleine à craquer. Une Suisse, qui parle français et italien fait office de traductrice. Le café que m’offre le papy est agrémenté d’une “goutte” de Vecchia Romagna, un genre de cognac italien. Tout le monde me pose des questions, l’ambiance est chaleureuse. La gérante me demande où je compte dormir et s’inquiète pour moi. Elle me propose d’appeler le refuge Bertacchi, prochain refuge par lequel je dois passer, qui est à 1h30/2h de marche, pour me réserver un lit. Les gens sont tous si gentils avec moi, que sans même s’en apercevoir, ils sont en train de m’apporter le réconfort dont j’avais besoin. En partant, la gérante me laisse son numéro en me disant de l’appeler si j’ai le moindre souci.
Je repars le cœur léger. Ce simple café a littéralement dissipé tous mes soucis. A l’instar de ce café, il y a toujours une petite surprise qui m’a redonné le moral et a conforté mon envie de continuer. Ce sont des anecdotes qui peuvent paraître anodines, mais qui en réalité ont tellement d’importance. Ce sont elles qui m’ont portée à travers les difficultés et peut-être que la réponse à la question est là. Peut-être que je ne suis là que pour apprécier ces petites choses qui n’ont l’air de rien.
Peut-être qu’il n’y a pas besoin de trouver une grande réponse philosophique. Ajoutez à cela des amis et des parents extraordinaires et d’un soutien indéfectible. Leur présence, qu’elle ait été virtuelle à travers les nombreux messages que j’ai reçus, ou réelle, lorsqu’ils m’ont rejointe pour faire un bout de chemin avec moi a été immensément stimulante et a beaucoup contribué au succès de l’entreprise.
Ma dernière nuit sera aussi calme que la première. Un orage a éclaté et m’a forcée à planter ma tente plus tôt que prévu. Puis, des animaux que j’ai supposé être des sangliers sont venus grogner et farfouiller dans le pierrier juste à côté duquel j’étais installée, de 3h du matin jusqu’à mon départ. Quatre mois de bivouac ne m’auront pas tranquillisée sur les sangliers. Je ne dors quasiment pas pour ma dernière nuit, et lève le camp dans la précipitation.
Le 27 septembre, mon dernier jour, je marche vers Muggia en ressassant cette dernière nuit et en pensant que je n’aurais donc rien appris au cours de ces 2620 km. Ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai appris que j’étais capable de réaliser quelque chose qui me paraissait initialement insensé. J’ai redécouvert à quel point la nature était belle, majestueuse et apaisante. J’ai été confortée dans mon opinion de me dire que l’on n’a pas toujours besoin des autres pour avancer, mais que leur soutien est une aide précieuse et motivante. J’ai appris que je pouvais vivre avec moi-même, sans ruminer. J’ai appris que je pouvais me lever avec entrain tous les matins à 5h malgré la perspective de marcher entre 20 et 30 km et de faire entre 1000 et 1500 m de dénivelé chaque jour. C’était une expérience incroyable, probablement la plus forte des expériences que j’ai vécues jusqu’à présent. »
Performance
Notre rencontre aurait pu s’arrêter à cet enregistrement de podcast, mais il semblerait bien que la vie en ait décidé autrement. C’est ce que je me suis dit quand je suis tombée par hasard sur Éléonore dans une salle d’escalade lyonnaise. S’en est suivie une séance de grimpe toute en bienveillance. L’occasion de réaliser que nous étions alignées sur bien des sujets.
C’était deux mois avant le début de sa dernière Via Alpina (pour l’instant ?). C’est à ce moment-là que l’on a commencé à s’envoyer de très longs vocaux, de plusieurs dizaines de minutes – elle les écoutait durant les longues montées auxquelles elle faisait face, et moi, en arrosant le jardin. On n’a pas trop parlé Via Alpina, exception faite au moment où elle m’a raconté sa rencontre, guère amicale, avec un renard (récidiviste, lui aussi). À la place, on a échangé sur nos parcours de vie, sur la méritocratie et plein d’autres sujets.
J’avais une question en tête à ce moment : « Est-il possible de combiner performance et contemplation ? ». C’est ce qu’Éléonore testait cet été-là, en avançant à une moyenne de 30 kilomètres par jour. On a décidé d’en parler à Lyon à son retour, en septembre (encore dans une salle d’escalade !). Sa conclusion ? Pas si facile de se pousser vers ses objectifs sans perdre, de temps en temps, son émerveillement.
On s’est également programmé un week-end de rando, écrit dans le calendrier afin que cela ne reste pas qu’une jolie parole lancée en l’air.
Refaire le monde
C’est ainsi que l’on s’est retrouvées deux mois plus tard à manger une fondue dans une tente sur les Hauts-Plateaux du Vercors face à un paysage « pas ouf », dixit la principale protagoniste, assez amusée par l’idée de jouer la blasée. J’ai aussi découvert son moment préféré : le lever du soleil. Alors on a mis un réveil, pour ne pas le louper. On a bien fait.
Vraiment bien fait.
Pendant que l’on marchait en refaisant le monde pendant deux jours, Éléonore m’a confiée qu’elle était allée « trop loin dans l’ascétisme » sur sa dernière Via Alpina. Cette phrase, je l’ai bien aimée. Alors je l’ai ajoutée à ma liste de jolies phrases prononcées par celles et ceux qui comptent. Mais aussi à mes idées de sujets, l’ascétisme étant l’une des valeurs véhiculées par le monde du sport, parfois à raison, parfois à tort. Parce qu’au fond, ça veut dire quoi « aller trop loin dans l’ascétisme ? »
Dans le Vercors, j’avais toujours mon appareil photo à la main. Je m’en suis servie aussi bien pour photographier nos souvenirs que pour les filmer. Et c’est en montant, avec une poussière dans l’œil, la vidéo de ce périple que j’ai réalisé qu’Éléonore, c’était bien plus qu’une « meuf stylée avec qui partir en montagne », mais qu’elle était en train de devenir une amie.
Le genre d’amie qui n’hésite pas à sortir les pompons dès qu’il faut soutenir une copine. Elle joue le jeu à fond – mieux que quiconque (elle n’aimera pas ce paragraphe, je le sais). Manon et Caro vous ont raconté à quel point leur rencontre avec Éléonore avait été déterminante pour elle. Quand j’ai dit ça à la principale intéressée, elle m’a répondu : « Elles ont sûrement exagéré ». Moi, je sais bien que non. Parce qu’Éléonore, elle sait prendre le temps d’écouter, de questionner. Rien de tel pour nous inviter à réfléchir, sans juger. Sans donner de leçons non plus. Et ça, c’est extrêmement précieux.
Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi.
Léa, ce sont, comme bien des rencontres, les hasards de la vie qui l’ont mise sur mon chemin. On s’est croisées à la librairie de Briançon, à l’occasion d’une rencontre avec Stéphanie Bodet. C’est elle qui est venue me voir, avec une question : « T’es pas à Grimpeuses ? ».
Grimpeuses, c’est un événement visant à promouvoir l’escalade au féminin que je co-organisais. Et une fois n’est pas coutume, j’oublie les visages de la plupart des participantes, ce qui a le don de m’agacer. Léa, elle suit mes aventures sur les réseaux sociaux depuis l’événement Grimpeuses. Elle connaissait donc les grandes lignes de ma vie – c’est ce que j’ai compris au cours de notre discussion. Mais moi, je ne connaissais pas grand-chose à la sienne. Si ce n’est qu’elle habite à Briançon, qu’elle grimpe et qu’elle lit Stéphanie Bodet. Une bonne base qui m’a motivée à aller jeter un coup d’œil à ce qu’elle partageait sur les réseaux sociaux.
C’est alors que je me suis dit qu’il n’avait pas que des défauts, notre monde virtuel. Je suis tombée sur son compte de dessins, où elle partage notamment quelques planches de bandes dessinées qu’elle confectionne avec beaucoup de passion (et de talent). Étant du genre fascinée par celles et ceux sachant manier le crayon, j’ai écumé son compte, je le confesse. Bien mal m’en a pris, puisque j’ai trouvé des pépites : une partie de son récit sur le GR5, un itinéraire qui traverse les Alpes françaises, du Lac Léman à la Méditerranée. Une jolie balade d’environ 600 kilomètres qu’elle a effectuée durant l’été 2022.
« Léa fait donc de la randonnée itinérante, encore un point commun », je me suis dit. Alors j’ai cliqué sur le bouton « suivre », avant de lui envoyer un message : « Je suis très fan de ton compte de dessins. Notamment de tes petits carnets de voyage. Tu pourrais me les envoyer en plus grand ? ».
Deux semaines plus tard, Léa postait quelques photos d’elle en Ardèche, en itinérance à vélo cette fois-ci. Un point commun de plus. « Il faudra que l’on se capte sur Briançon parce que moi aussi, le vélo, j’aime bien ça ». Voilà ce que je lui ai écrit.
Escalades dans les Écrins
On s’est retrouvées, comme de bonnes grimpeuses qui se respectent, à la salle d’escalade. Notre conversation, contrairement à celle avec Manon et Caro, je ne l’ai pas enregistrée. Déjà parce que je n’avais pas encore imaginé cette série de portraits, mais aussi parce qu’elle a bien duré quatre heures !
Avec Léa, on n’a pas tout de suite parlé dessin. On a d’abord parlé grimpe, alpinisme plus précisément, de sa course du lendemain, « Le Doigt de Dieu ». Un sommet non loin de la grande Meije qui allait clôturer son initiation à l’alpinisme. Je l’ai grandement questionnée sur ce projet, parce que l’alpinisme, ça fait bien longtemps que ça me met des étoiles dans les yeux. Elle m’a dit qu’elle était partie de zéro, et que là, elle se sentait autonome.
Léa, quand je l’ai vu grimper, j’ai su qu’elle ne partait pas vraiment de zéro. Et j’étais bien contente d’avoir trouvé une copine de grimpe avec laquelle me challenger.
Garder les souvenirs
Léa, elle m’a ensuite parlé de son boulot, psychologue à l’hôpital de Briançon, de son besoin de vacances (parce qu’aller en montagne le week-end, ça ne repose pas tant que ça) mais aussi de sa prochaine itinérance à vélo, en Suède.
Puis on s’est attablées. Elle m’a donné quelques feuilles, en me disant : « Tiens, je t’ai imprimé ça ». C’est le récit de son aventure à vélo en Ardèche – j’aurais bien aimé qu’elle dure des pages et des pages. Puis elle m’a montré son journal rédigé sur le GR5. Ça m’a rappelé à quel point il était important de garder ce genre de souvenirs. Les lieux traversés, les personnes rencontrées, les émotions éprouvées. Voici quelques extraits de son aventure.
Au moment où je finis d’écrire cet article, cela fait plusieurs semaines que j’ai rencontré Léa. Plusieurs semaines qu’une des phrases qu’elle m’a dite tourne en boucle dans ma tête : « Si l’on fait ça, c’est pour fuir le réel, tu ne trouves pas ? ».
Je suis tout à fait d’accord avec elle. Même si je trouve ça extrêmement paradoxal, parce qu’en randonnée itinérante, on est, je le sais d’expérience, plus que jamais plongé.e.s dans le réel. Je crois tout de même que c’est une fuite, celle du monde que l’on nous impose.
Les recommandations lecture de Léa
Sarah Marquis, « Sauvage par nature »
« Durant les trois premiers mois, le corps et l’esprit se nettoient. Passé ce cap, le corps ne fait plus mal, l’esprit est libéré. La marche : une pratique ancestrale reconnue chez les moines comme une forme de méditation que Sarah Marquis a fait sienne. Dans ce témoignage extraordinaire, elle nous raconte son voyage à pied de 2010 à 2013 (mai), avec pour seul bagage un sac à dos de 30 kilos. Des paysages somptueux du lac Baïkal à la jungle luxuriante du Laos ; une faune splendide avec les loups de Sibérie, les léopards des neiges du désert de Gobi ; des échanges étonnants avec les hommes, comme la fois où elle fut menacée par des narcotrafiquants après avoir foulé un champ d’opium… »
Stéphanie Bodet, « À la verticale de soi »
« C’est l’histoire d’une enfant asthmatique qui serre très fort un caillou dans sa main pendant le supplice du cours de gym. D’une petite fille sensible qui aime se perdre hors des sentiers. Qui d’aussi loin qu’elle se souvienne, a choisi de regarder sa vie de haut, à la verticale de soi. Surtout depuis cette fêlure, celle d’une petite sœur disparue trop tôt et qui lui a donné ses ailes : « Vivre. Vivre intensément », écrit-elle. Perdue pour le sport, Stéphanie Bodet s’est pourtant donnée à l’escalade. Elle raconte l’entraînement intensif, les podiums en compétition, puis les années de vagabondages verticaux sur des parois égarées dans des jungles, les bivouacs glacials sous les étoiles. Et cet amour fertile qui l’unit à Arnaud Petit »
Denis Infante, « Rousse »
« Sur une terre que l’homme semble avoir désertée, où l’eau est devenue rarissime, tous les vivants – mobiles autant qu’immobiles – souffrent de la soif. Les végétaux dépérissent. Les animaux aquatiques aussi, pris au piège de l’évaporation de leurs demeures. Au retour de leurs longs périples, les oiseaux migrateurs n’apportent pas de bonnes nouvelles : partout la sécheresse sévit. ‘Quelques-uns pourtant avaient osé, s’étaient décidés pour une des quatre directions, par choix ou guidés par pur hasard, et s’étaient mis en marche, droit devant. Rousse était de ceux-là’ »
Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi.
J’ai su que je devais écrire sur Caro en assistant à la conférence, intitulée « Un itinéraire, trois aventurières » qu’elle a donné avec Manon (je vous ai parlé d’elle la semaine dernière) et Éléonore (rendez-vous fin août pour découvrir son portrait).
Je crois que ce qui m’a tout de suite plu chez elle, c’est sa spontanéité. « À partir du moment où je me suis dit que je voulais faire la Via Alpina [un itinéraire qui traverse les Alpes, de la Slovénie à la France, sur plus de 2000 kilomètres, ndlr], j’ai décidé de ne pas attendre, de foncer et d’y aller » se souvient-elle. Une forme d’insouciance que l’on a souvent pu me reprocher, la confondant avec de l’inconscience. « T’es sûre d’être prête ? » me demande-t-on souvent. Non, je ne suis pas sûre. Mais le cœur me dit d’y aller, maintenant. Alors pourquoi devrais-je refuser de l’écouter ?
Caro, je me suis tout de suite dit qu’elle était du genre à suivre son coeur. Et surtout à parler avec ses tripes. Moi, ça me plaît.
J’ai finalement échangé avec elle deux jours avant son départ pour son premier long trip à vélo, de l’Italie à la Croatie. « Je suis un peu à l’arrache », m’a confié Caro. « J’essaie de savoir si je peux transporter mon vélo dans un Flixbus – ce n’est pas du tout clair. Niveau matos, je suis aussi clairement à l’arrache. Mais bon, ça va. Je me dis que ça va très bien se passer. Je sais être très organisée, mais là, le fait d’être déjà partie sur la Via Alpina me fait relativiser les choses. »
J’ai très vite compris qu’avec Caro, on aurait pu parler vélo très longtemps. Mais comme j’avais cet article à écrire, on s’est concentrées sur la Via Alpina. Il y avait déjà beaucoup de choses à dire.
Une volonté plus forte que tout
« Je me suis posée pas mal de questions avant de partir » se souvient Caro. « Éléonore m’a pas mal aidée à y répondre – elle a joué un rôle clé pour Manon et moi. Sa rencontre nous a vraiment incitées à nous lancer. Je me souviens lui avoir demandé : ‘Est-ce que tu n’avais pas peur seule ?’ J’essayais de savoir si ce que je ressentais était normal et comment elle avait géré ce genre de peurs».
« Je crois que c’est pour ça que j’ai voulu faire cette conférence » poursuit-elle. « Car c’était un moyen pour moi d’essayer de faire passer un message, en disant : ‘Mais allez-y. Vous pouvez y aller. C’est normal d’avoir peur, c’est normal de se poser plein de questions’ ».
Les questions venaient aussi de son entourage. « Quand j’ai fait la demande de congé sabbatique à mon boss, il m’a dit : ‘Toute seule ? Quatre mois ? Oui, tu peux y aller.’ Je suis sortie de cette discussion en me demandant ce que je faisais. J’ai douté. Mais à aucun moment ça a remis en question ma capacité à le faire, ma volonté à le faire » raconte-t-elle.
Mais le plus important pour Caro, c’était la réaction de ses parents, surtout de son père, dont elle dit être assez proche… et qui s’est avéré être très enthousiaste vis-à-vis de son projet ! « Il s’est même mis à m’aider dans la recherche d’un matériel le plus léger possible, afin d’alléger le poids de mon sac », se souvient-elle. « C’était clairement une force, et je sais très bien que tout le monde n’a pas cette chance-là. Je crois qu’au fond, mes proches n’étaient pas surpris par ce genre de projet. Même côté boulot [Caro travaille dans le domaine du conseil en développement durable, ndlr], certaines personnes comprenaient moins le projet. Mais personne ne m’a dissuadée. […] Mais ça peut dissuader à la longue, à force d’entendre : ‘mais t’as pas peur de ça ?’. Même si c’est dit avec beaucoup de bienveillance. Personnellement, ces remarques ont consolidé ma volonté de partir. La Via Alpina était une évidence. Je savais que j’allais la faire d’une manière ou d’autre. C’était un sentiment tellement fort qu’il m’a presque paru facile de partir – et c’est peut-être pour ça aussi que les choses sont allées aussi vite. »
Une confiance à toute épreuve
Sa motivation principale, Caro la tire d’une intuition : celle qui la poussait à aller chercher « quelque chose ». Une envie de liberté, un goût de l’aventure à assouvir davantage, m’a-t-elle expliqué.
« D’un point de vue perso, les planètes se sont alignées. À la base, je rêvais plutôt de partir à vélo » détaille Caro. « Mais finalement partir à pied m’a semblé un peu plus facile, notamment en étant une femme seule. Ça m’a aussi semblé un peu plus accessible, avec peut-être moins la question de la barrière du matériel. »
Un trek de deux semaines en montagne lui a donné envie de s’élancer sur la Via Alpina. « À la base, j’avais prévu de partir deux semaines solo. Mais un peu avant le départ, j’avais proposé à mon copain de l’époque de venir. Parce que je m’étais dit : ‘mais en fait je ne le sens pas du tout de faire ça seule’ » confie Caro. « Et finalement, je me suis sentie super bien, dans mon élément. Car même si je ne connaissais pas bien la montagne, le fait d’avoir été scout, et donc de savoir camper, ça m’a donné l’impression que ce genre d’aventure est un peu en moi. Je me suis dit : ‘Finalement, ce n’est pas très compliqué, on marche, on campe, et c’est trop cool’ ». Une itinérance qui lui a donné une sacrée confiance : « Je savais quoi faire, et je n’avais besoin de personne pour y arriver », résume-t-elle.
« Ce n’est peut-être pas très humble, mais je n’ai jamais douté sur ma capacité à arriver au bout » m’a confié Caro. « Disons que l’aspect physique a été nettement moins problématique que l’aspect mental. Tu vois, quand je dis aux gens que j’ai fait la Via Alpina, on me demande souvent le nombre de kilomètres… Mais moi, j’en ai rien à faire du nombre de kilomètres que j’ai fait. Le plus difficile, c’est plus le chemin que tu parcours, les incertitudes, la météo, les petites blessures, etc. »
Le poids de la solitude
Une phrase, prononcée par Caro, a retenu mon attention lors de la conférence : « Je suis revenue, mais pas tout à fait pareille ». Et quand je lui ai demandé ce que la Via Alpina avait changé chez elle, sa réponse ne se fit pas attendre : « mon rapport à la solitude ».
Être seule. Voilà ce qui lui faisait le plus peur avant son départ. « Éléonore m’avait dit : ‘Non mais t’inquiète, tu peux rencontrer du monde, si tu fais des efforts, tu peux trouver du monde à qui parler’. Ça s’est confirmé dès le premier jour » raconte Caro. « Je me suis retrouvée à papoter pendant deux heures, avec un Slovène, dans un refuge, parce qu’il pleuvait. J’en suis repartie avec le méga smile. J’ai tout de suite su qu’il fallait que je vive mon aventure ainsi, en allant à la rencontre des autres ». Par la suite, elle m’a expliqué que l’expérience lui avait fait comprendre que si être seule pouvait être difficile au début, c’est quelque chose que l’on pouvait parvenir à gérer. « Ce que je ne pensais pas savoir faire », souligne-t-elle.
Au début de son aventure, Caro partageait de nombreuses vidéos sur Instagram. Un moyen pour elle de maintenir un lien avec ses ami.e.s proches. « Je pense que j’avais besoin de garder contact » confie-t-elle. « Et puis, c’était le début de l’aventure, j’étais assez excitée, donc je pense que j’avais plein de trucs à partager. Mais à un moment, j’ai arrêté de le faire. J’ai juste réalisé que je n’en ressentais plus le besoin. Disons que j’ai trouvé un équilibre interne ».
Elle m’a raconté avoir beaucoup écrit, pour « garder des souvenirs, des réflexions » mais aussi « tous les doutes qui sont arrivés ». « À vrai dire, j’ai même commencé à écrire avant de partir » explique Caro. « À propos des premières remarques que j’ai eues, des questionnements aussi, les miens et ceux des autres, du pourquoi je voulais partir… Ensuite, j’ai essayé d’écrire chaque jour, pour un peu avoir une trace. Et ça, franchement, ça a beaucoup de valeur. C’est trop ouf d’avoir des écrits de ce qu’on a vécu, parce qu’en fait on oublie vite, même nos peurs. Garder une trace de tout ça m’a permis de pouvoir mieux partager mon aventure – j’ai pu dresser l’historique de mes questionnements, de mes peurs aussi. À quels moments sont-elles arrivées ? À partir de quand ai-je été rassurée ? ».
« Quand je marchais, je me disais : ‘C’est ouf, la solitude, c’est fort, ça fait du bien’ », se souvient Caro. Un sentiment qu’elle m’a affirmé n’avoir jamais éprouvé avant.
Si bien qu’à l’issue de sa randonnée, elle s’est dit : « Il faut que tu te donnes ces moments de solitude pour toi, parce qu’en fait, c’est hyper bénéfique ». « Mais en réalité, quand je suis arrivée, j’ai tout de suite repris la course aux mille trucs » détaille-t-elle. « Car après tout, c’est aussi mon caractère de faire plein de choses. Mais je garde quand même en tête à quel point c’est bien d’être seule. Je crois même que c’est devenu un besoin. Il y a même des moments où je me dis : ‘Il faut que je me fasse un week-end solo’. Ça, avant, je ne suis pas sûre que ça me serait arrivé. »
Oser
« Je crois qu’il ne faut pas se mettre de freins », conclut Caro. « Quand je voulais partir à vélo, les freins, je m’en mettais beaucoup. J’en avais discuté avec mon père. Je lui ai dit qu’il faudrait que j’apprenne à gérer la mécanique avant et tout. Il m’avait dit : ‘Si tu attends d’être prête pour partir, tu ne le feras jamais’. Je raconte souvent ma méconnaissance de la montagne avant de me lancer sur la Via Alpina. J’ai tout appris sur le terrain. Moi, je ne me suis jamais vraiment sentie prête avant de partir. Parce qu’il est vraiment difficile de tout connaître. Je m’étais notée de me renseigner sur les risques de loups, d’ours, etc. Et je ne l’ai pas fait. Ce genre de choses, c’est en parlant aux locaux, sur place, que tu te rends compte du risque. Avec du recul, je pense que je ne me serais jamais vraiment sentie prête. Donc, il faut accepter cela. Se dire que l’on va prendre de l’expérience en chemin. »
Les recommandations de Caro
Marion Poitevin, « Briser le plafond de glace »
« C’est un classique. Dès le début, j’ai trouvé très fort. Il est à mettre entre toutes les mains ! »
Michel Dessagne, « Tirer un trail sur le passé: 4260 km à pied du Mexique au Canada sur le Pacific Crest Trail »
« Un gars parti sur la PCT qui raconte son histoire et en parallèle le quotidien d’un marcheur ‘longue distance’. Ça avait fait beaucoup écho chez moi quand je l’avais lu à mon retour de la Via Alpina »
Il y a des rencontres qui inspirent. J’aimerais vous parler de celles qui marquent, qui bouleversent – de par leur profondeur, leur intensité, leur simplicité aussi. Cela n’arrive pas tous les jours. Pourtant, la vie a mis sur mon chemin quatre « drôles de dames » : Manon, Caro, Léa et Éléonore. Des femmes qui m’ont apporté de la joie, des apprentissages, une meilleure connaissance de moi-même… et parfois des réponses. Je vais tenter de vous les raconter au mieux, en espérant que la richesse de nos échanges vous parle autant qu’à moi.
Les mots de Manon m’ont percutée de plein fouet. Sans doute parce qu’ils ont profondément résonné en moi. À l’issue de notre conversation, alors qu’elle filait donner sa conférence, intitulée « Un itinéraire, trois aventurières ordinaires » en compagnie de Caro et d’Éléonore (dont je vous reparlerai très bientôt), Manon m’a remercié pour « la séance de psy gratuite ». Quand on me dit ça, c’est que j’ai bien fait mon boulot. Sauf que là, pendant cette heure d’échange sur la place de Décines, à quelques kilomètres de Lyon, je n’ai pas eu l’impression de « travailler ». J’ai vécu une tranche de vie qui m’a marquée à jamais, c’est différent.
Retour à la réalité
« Moi, je ne voulais pas rentrer »
C’est ainsi qu’a commencé notre échange avec Manon, par la fin, le moment où elle est revenue de son voyage sur la Via Alpina, un itinéraire qui traverse les Alpes, de la Slovénie à la France, sur plus de 2000 kilomètres. C’était à l’issue de l’été 2023. Mais j’ai eu l’impression que c’était hier, tant ses mots étaient chargés d’émotion. « J’avais vraiment pensé à continuer le voyage, mais pas forcément en marchant », m’a-t-elle expliqué. « J’avais plein d’idées. Ça m’a ouvert des portes – j’ai réalisé que je pouvais faire plein de choses. Mais voilà, j’ai dû rentrer et travailler. »
Manon est ingénieure ferroviaire, « un travail très terre-à-terre où la créativité, le rêve, l’aventure sont absents », détaille-t-elle. « Il faut même que la part d’aléatoire soit la plus faible possible. On fait des réunions d’une heure pour te dire de faire attention à comment tu vas ouvrir les portes. Alors que moi, j’étais au fond de la montagne seule avec des ours et des chamois pendant 4 mois ».
« Il faut se réadapter, finalement. Moi, je ne me suis pas ré-adaptée », conclut-elle. À la place, Manon s’est jetée à corps perdu dans le boulot, pour « ressentir des trucs forts ». « Mes collègues me disaient : ‘Mais pourquoi t’en fais autant ?’. Et moi, j’étais là : ‘Mais enfin, vous n’avez pas envie de vivre ? », raconte-t-elle. « Et un jour, je me suis arrêtée. Je me suis dit qu’il fallait que je change, parce que j’étais en train de me ruiner la santé ».
Ce qui lui manque alors dans son travail, c’est le sens. À quoi bon « mettre de l’énergie pour aller gagner des affaires à des centaines de milliers d’euros ? Pour engraisser des actionnaires sur des études complètement abstraites et théoriques ? », interroge Manon. « Tandis que sur la Via Alpina, j’étais parfaitement à ma place pour la première fois de ma vie. Avoir trouvé sa place et devoir la quitter, c’est hyper violent. Mais on ne peut pas être au milieu des chamois H24. Alors il faut trouver un compromis. Entre un confort moderne, un travail qui, malgré tout, me fait vivre, qui me permet de partir en voyage, mais dans lequel je ne dois pas me donner, puisque de toute façon, on ne me donnera jamais autant en retour ».
Écrire sa propre aventure
Manon sait depuis longtemps que sa place est en montagne. « Quand j’étais petite, j’allais dans les Écrins avec mon père et ma famille, dans un petit village, au-dessus de Saint-Christophe-en-Oisans, dans la vallée de La Bérarde », se souvient-elle. « Pour y accéder, il fallait monter en voiture, s’arrêter au niveau d’une cascade, et poursuivre à pied, avec des sacs de 25 kilos remplis de nourriture. Ces instants-là nous ont bercées, ma sœur et moi ».
La culture de la montagne, Manon dit se l’être vraiment appropriée autour de ses 18 ans, période où elle commence à se plonger dans la littérature de montagne, via la collection Guérin notamment. En parallèle, elle découvre la grimpe, un moyen pour elle d’aller vivre ce qu’elle lisait au quotidien. « Je serai toute ma vie reconnaissante envers mon copain qui m’a emmenée pour la première fois vers ce sport. Ça m’a complètement donné une incroyable confiance en moi », raconte-t-elle. « Le simple fait de grimper en tête, de ressentir de l’adrénaline, ça m’a fait prendre de la distance avec le stress du boulot, des présentations à faire, des réunions avec des clients ».
Naissent alors des envies d’itinérance, portées par une volonté : « arrêter de vivre par procuration ».
La sororité comme déclencheur
Manon se demande alors quels itinéraires seraient accessibles selon son niveau. « J’avais aussi envie de sortir de France, mais sans aller trop loin », explique-t-elle. « Disons que je n’avais pas envie de prendre trop de risques. Je voulais être dépaysée, mais pas trop ». Elle découvre alors la Via Alpina. À partir de là, tout s’enchaîne.
Premier déclic : quand elle tombe sur la trace GPX de cet itinéraire traversant l’intégralité des Alpes. « Je me suis dit : ‘Ok, c’est faisable, parce que je vois le sentier. Je vois exactement par où je dois passer. Je sais que ça existe, qu’il y a une trace, que quelqu’un a fait cette trace, donc c’est possible » détaille-t-elle.
S’en suit la rencontre avec Éléonore. Un échange durant lequel elle se rend compte qu’elle n’est pas « la seule femme à se lancer là-dedans ». « J’avais, en bonne perfectionniste, préparé une liste de questions que je voulais lui poser », se souvient-elle. « Quelque chose d’hyper précis, du genre : ‘Alors, sur l’étape 54, t’as trouvé comment cette section ?’. En fait, j’avais repéré, en analysant les cartes et les profils altimétriques, trois étapes où je savais que j’allais vraiment en baver ».
« Éléonore m’a confirmée que j’étais très bien préparée », poursuit Manon. « Mais aussi que c’était faisable. Elle m’a fait comprendre qu’elle m’apporterait tout le soutien dont j’avais besoin pour aller au bout. Et ça, ça m’a aidé, c’était le déclencheur. Ce jour-là, j’ai su que j’allais partir. »
L’art de l’adaptation
Éléonore, je la connais bien. Elle m’avait déjà raconté sa rencontre avec Manon. Je me souviens qu’elle avait insisté sur quelque chose qui l’avait vraiment marquée : Manon avait réservé tous les hébergements de son voyage avant son départ, soit plus d’une centaine.
Un moyen de « partir l’esprit libre » m’a-t-elle expliquée. « Parce que je savais que chaque jour j’avais un objectif : je devais atteindre tel point. Ne plus avoir ça en rentrant, ça a été dur. Parce que c’était hyper stimulant. Car si au quotidien, quand j’ai mal au ventre, je ne vais pas aller faire ma séance de running, là, on va dire je n’avais pas le choix, il fallait que j’aille marcher ».Mais parfois, ça n’a pas fonctionné. À trois reprises exactement, précise Manon. « Ce qui était génial, c’est que j’ai toujours trouvé une solution ! » détaille-t-elle. « Il y a des fois où j’ai vraiment été bloquée, notamment une fois à Samoëns [en Haute-Savoie, ndlr], je me suis pris un orage de grêle – qui a par la suite été déclaré catastrophe naturelle. On voyait des voitures avec des pare-brises pétés. La rivière s’est évidemment mise à déborder – le sentier qu’on aurait dû prendre était inondé. Je me suis retrouvée avec deux touristes. On s’est serrés tous les trois sous un sapin pour ne pas se faire taper par des grêlons. À ce moment-là, il était 16 heures. J’étais encore à 10 kilomètres du refuge où je devais aller dormir et il me restait 800 mètres de dénivelé à faire. […] Alors j’ai trouvé un hôtel qui était à 2 kilomètres. Le lendemain, j’étais éclatée. Je suis tombée malade, un petit rhume qui m’a mis à terre. Le contre-coup du stress. Ça m’arrive toujours après des moments hyper intenses. »
Manon a donc fait le choix de louper une étape. « Je dois retourner la faire d’ailleurs » précise-t-elle. « Mais je pense que c’était la bonne décision. Je ne l’ai pas regretté. À ce moment-là j’en avais besoin. »
Précieuse bienveillance
Quand j’ai demandé à Manon quels enseignements elle avait tiré de son voyage, elle m’a tout de suite arrêtée : « Je n’aime pas ce terme, ça fait trop donneur de leçon, moraliste. Dans le sens : ‘Moi je sais, mais pas vous parce que vous n’avez pas l’expérience’ ».
Il est pourtant indéniable qu’elle a appris beaucoup.
« J’ai adoré la simplicité des contacts avec les gens pendant le voyage » raconte-t-elle. « C’est un truc qui m’a vraiment fait du bien. La bienveillance, la compréhension aussi. Parce que parfois, il suffit d’expliquer le contexte, de se présenter pour qu’en face, l’interlocuteur percute, que l’on arrive à communiquer. C’était chouette de voir que tout le monde était aussi gentil ». Une chose qu’elle a encore du mal à retrouver dans son quotidien.
« Cette absence d’agressivité, elle m’a fait un bien fou ! C’était hyper précieux » note Manon, sans filtre. « C’est aussi pour ça que le retour a été aussi dur… Se retrouver à nouveau confrontée à l’agressivité de mes chefs, de mes clients et de mes collègues, franchement, c’était pas un cadeau. »
Partir… sans vraiment revenir
« Psychologiquement, je ne suis clairement pas revenue » m’a avoué Manon qui, deux ans après, continue à digérer sa Via Alpina. « Je continue à l’analyser, à me poser beaucoup de questions sur ce que j’ai envie de faire, sur comment j’ai envie de vivre, où j’ai envie de vivre. »
On dit souvent, à raison, que ce genre d’itinérance change une vie. Et quand on échange avec Manon, on se rend bien compte que cette affirmation n’a rien de grandiloquent. « Je suis contente de ne pas être revenue » conclut-elle. « Quand je revois la moi qui est partie, je me dis… que c’est la meilleure chose que j’ai faite de toute ma vie. C’était salvateur. Je ne sais pas comment j’aurais évolué si je n’avais pas fait ça. J’étais extrêmement stressée, angoissée de tout. La perfectionniste essaie aujourd’hui de mettre son énergie dans des choses qui ont du sens. Elle sait où elle va. Elle est moins perdue. Elle a quelque chose pour la guider. Peu importe ce que je ferai dans ma vie par la suite, je sais que ça, ça va être ma lumière. Ce moment où dans ma vie, j’ai été parfaitement bien. »
Les recommandations lecture de Manon
Jean-Christophe Lafaille – « Prisonnier de l’Annapurna »
« Je trouve que ses ascensions sont novatrices mais pas pimpantes. J’adore sa façon de vivre la montagne, de la raconter. C’est quelqu’un qui m’a donné envie de partir voyager. »
Les ouvrages de Walter Bonatti – « À mes montagnes » ; « Montagnes d’une vie »
« C’est pas très original mais Bonatti, je trouve qu’il raconte extrêmement bien la montagne. De manière très humble. Il a été guide toute sa vie. Rien que de repenser à sa mort, ça me fait un nœud dans la gorge. Je suis très touchée par le massif du Mont Blanc – c’est un rêve que Bonatti a créé en moi. Il a construit quelque chose autour de ces aiguilles, de ces pics qui m’a fascinée. C’est pour ça d’ailleurs que j’ai casé le TMB [Tour du Mont-Blanc, ndlr] dans ma Via Alpina, alors que normalement, elle ne passe pas par là. Je voulais absolument aller voir le Mont Blanc, et voir longtemps. C’est triste parce qu’au final c’est un itinéraire extrêmement touristique… Mais par contre j’étais tellement aux anges. D’ailleurs, j’ai fait une pause de trois jours à Chamonix. Parce que je voulais marquer le coup de manière symbolique – je suis hyper contente de l’avoir fait ».
Aurélie Martin est une athlète qui s’engage. Mais pas question pour elle de mettre en avant ses performances individuelles : ce qu’elle veut, c’est utiliser sa passion pour des causes qu’elle estime justes. C’est pourquoi l’Annécienne, qui fait aujourd’hui partie des Climatosportifs, un collectif de sportif.ves engagé.es pour l’environnement, s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers de France, mêlant natation en lac alpin ainsi que des approches en vélo et randonnée. Le tout avec un objectif : sensibiliser à l’importance de la protection de ces géants. Un projet divisé en trois étapes, chacune se déroulant dans l’un des plus grands massifs alpins français, qu’elle mène actuellement. encordées a échangé avec Aurélie à l’issue de son aventure dans le massif du Mont-Blanc.
Amoureuse des montagnes, voilà comment se définit Aurélie Martin, une triathlète partie à l’aventure à travers les Alpes cet été. Un projet où la performance est laissée au second plan. Puisque cette odyssée est avant tout un moyen de sensibiliser à l’importance de la protection des glaciers. Ces géants de glace, présentés comme de véritables réservoirs d’eau douce, n’ont de cesse de dépérir. Ils devraient d’ailleurs perdre entre 20 % et 52 % de leur masse d’ici 2100, tandis que ceux des Alpes pourraient avoir presque disparu. Face à cette situation alarmante, l’ONU a déclaré 2025 comme l’« année internationale de la préservation des glaciers ».
Le regard tourné vers les glaciers (@Aurélie Martin)
La sensibilisation environnementale, une vocation
Originaire de Nantes, Aurélie Martin a grandi loin des montagnes. « Je viens d’un sport un peu original, le hockey sur gazon », raconte-t-elle. « Comme c’était un peu niche, j’ai évolué assez vite. J’ai fait sport-études hockey pendant tout mon collège-lycée. J’ai ensuite voulu évoluer à plus haut niveau. Je suis donc allée à Paris pour pouvoir évoluer au plus haut niveau français, l’équivalent de la Ligue 1 en foot en quelque sorte ».
En parallèle, Aurélie se lance dans des études en droit et sciences politiques, jusqu’à obtenir un master en développement durable. « La préservation de l’environnement, c’était avant tout un engagement personnel », explique-t-elle. « Je n’ai jamais pensé en faire vraiment mon métier. Et par le fruit du hasard, mais surtout par une révolte personnelle sur le fait que mon sport avait un énorme impact environnemental, j’ai décidé de postuler auprès de la Fédération française de hockey pour en être responsable du développement durable. Un moyen d’aider mon sport à être plus vertueux ».
Un premier pas l’ayant menée à se tourner vers la sensibilisation, au sein d’une ressourcerie sportive d’abord, puis au Climate Workout, un atelier ludique créé par l’éco aventurier Matthieu Witvoet à Annecy. C’est à ce moment-là que le triathlon est entré dans sa vie : « Même si j’ai toujours fait beaucoup de sport, je me suis vraiment mise au vélo il y a un an. Après avoir fait 15 ans d’un même sport, pouvoir faire trois sports différents en un, je trouve ça trop cool ».
Une enfance jamais trop loin des montagnes (@Aurélie Martin)
Est ensuite né son projet autour des glaciers alpins. « J’ai répondu à un appel à projets du mouvement Maïf Sport Planet qui soutient chaque année celles et ceux souhaitant mêler aventure et préservation de l’environnement », détaille Aurélie. « Je suis assez sensible aux glaciers. Ça me touche beaucoup de les voir s’effacer. J’avais donc envie de faire un projet cette année dédié à la préservation des glaciers en utilisant ma passion, le triathlon ».
Une aventure sous le signe du partage
Une grande traversée des plus grands glaciers de France qu’elle a divisée en trois aventures, chacune se déroulant au sein d’un massif alpin : le Mont-Blanc, les Écrins et la Vanoise. « L’idée, c’est de faire un triathlon pendant 15 jours dans chaque massif en partant d’un lac alpin, en parcourant les massifs à vélo, puis en allant faire de la randonnée glaciaire sur les plus grands glaciers de chaque massif », nous a expliqué Aurélie. « Le tout avec un objectif : embarquer un maximum de gens avec moi dans l’aventure, sensibiliser à la préservation des glaciers, faire des vidéos de vulgarisation scientifique sur l’importance des glaciers et l’impact de leur fonte, mais aussi aller à la rencontre des acteurs locaux, des associations qui œuvrent au quotidien sur ces sujets-là. »
Le 25 mai, Aurélie est partie à la nage du lac Léman, le plus grand lac d’eau douce d’Europe, d’origine glaciaire. « J’avais fait un appel à tous les clubs de natation et les personnes qui faisaient de la nage en eau libre via des groupes Facebook. Ça me tenait à cœur de partager le début de cette aventure », détaille-t-elle.
Les quatre nageur.ses ont rejoint Évian-les-Bains, la première ville exportatrice d’eau douce mondiale. S’en sont suivis trois jours de vélo jusqu’à Chamonix par la route des Grandes Alpes. Un total de 200 kilomètres et 3 700 mètres de dénivelé positif.
Sur le départ (@Aurélie Martin)En montagne (@Aurélie Martin)
Une fois arrivée à la capitale mondiale de l’alpinisme, Aurélie s’est lancée dans une traversée des plus grands glaciers du massif, en commençant donc par deux jours sur la Mer de Glace, sans doute l’un des lieux les plus symboliques quand on parle de l’impact du réchauffement climatique sur les glaciers. Avant d’enchaîner sur une journée sur le glacier d’Argentière et une journée sur le glacier des Bossons, sous lequel se forme un lac proglaciaire qui constitue une menace d’inondation soudaine pour les populations et infrastructures en aval, si bien que des travaux de vidange sont régulièrement entrepris.
« J’ai été accompagnée d’un guide et médiateur scientifique local qui travaille pour la réserve naturelle des Aiguilles Rouges », raconte Aurélie. « On a fait de la randonnée glaciaire ». L’équivalent d’environ 60 kilomètres de marche, entrecoupée de rencontres avec des locaux.
Direction les Écrins
De Chamonix, Aurélie a ensuite rejoint Annecy à vélo. « L’idée, c’était d’arriver sur le triathlon de l’Alpsman », raconte-t-elle. « Un triathlon partenaire de la Maïf, avec qui je collabore. Ça m’a permis de finir cette première étape sur un événement ».
Elle a ensuite prévu de prendre la direction du massif des Écrins. « J’aimerais avoir de l’impact en termes de sensibilisation », conclut-elle. « À terme, j’aimerais arriver à amener des cordées avec moi sur les glaciers. Dans les Écrins, j’aimerais vraiment beaucoup travailler avec les refuges, mais aussi une population plus touristique et plus jeune qui n’a pas forcément conscience des enjeux environnementaux ». Avec toujours le même objectif en tête : mettre l’accent sur l’impact que peut avoir son aventure plutôt que sur sa performance individuelle.
C’est une page importante de l’histoire de l’escalade féminine qui s’est écrite à Tsaranoro ces derniers jours. Vingt-six ans après son ouverture par Lynn Hill, leader d’une cordée exclusivement féminine, Bravo les filles a enfin été libérée dans son intégralité par deux grimpeuses. Fin juin, Sasha DiGiulian et Marianna Ordóñez ont réussi la première ascension libre féminine de cette grande voie emblématique du granite malgache (600 mètres d’escalade répartis en 13 longueurs, dont un crux en 8b). Un accomplissement technique, symbolique et inspirant.
Bravo les filles. Comme son nom le suggère, cette voie, située à Tsaranoro, l’un des spots d’escalade les plus célèbres de l’hémisphère Sud, c’est avant tout une histoire de femmes.
Tout commence en 1999, année où Lynn Hill, légende de l’escalade, et ses compères – Beth Rodden, Nancy Faegan et Kath Pike – posent leurs chaussons sur le granit des falaises malgaches, qui offrent une inhabituelle richesse gestuelle tout en exigeant technique, détermination et un indispensable soupçon d’engagement. La particularité de leur expédition ? Être uniquement composée de grimpeuses – accompagnées de Greg Epperson, photographe, Kevin Thaw, monteur et d’un duo de caméramans, Michael Brow et Rob Raker.
« [Nous] sommes arrivées à notre camp de base, situé à une heure de marche du massif du Tsaranoro, le 23 juin. De là, nous avons remarqué une paroi particulièrement belle avec un sommet séparé à droite de la formation principale. Nous avons donc décidé de le gravir » raconte Lynn Hill à l’American Alpine Club. « Le 24 juin, nous avons commencé la première longueur de la voie. Comme nous étions quatre grimpeuses, nous nous sommes divisées en deux cordées de deux. Kath et moi d’un côté ; Nancy et Beth de l’autre. »
Une ascension technique et engagée
« La partie inférieure de la paroi était peu déversante, mais une fois les premières longueurs passées, la falaise est progressivement plus raide – et l’escalade plus difficile. Comme il y avait très peu de fissures dans lesquelles placer des protections naturelles, nous avons placé des plaquettes » détaille la grimpeuse américaine.
Les premières centaines de mètres, ne dépassant pas le 6b, ne présentent aucune difficulté majeure pour les grimpeuses. Les choses commencent à se corser à partir des 6e et 7e longueurs – respectivement cotées 6c+ et 7b+. « Lorsque nous avons atteint la 8e longueur, Beth a dû partir pour une compétition aux États-Unis. Kath, Nancy et moi avons donc continué à équiper les cinq dernières longueurs jusqu’au sommet » poursuit Lynn Hill. « Notre objectif était de grimper l’ensemble de la voie depuis le sol tout en plaçant toutes les plaquettes de protection en tête. »
Les grimpeuses finiront par équiper la voie un jour seulement avant leur départ. Ce qui leur a laissé peu de temps pour la libérer. « Jusque-là, j’avais escaladé en libre toutes les longueurs de la voie, à l’exception de la longueur 8 [cotée 8b, ndlr]. » raconte la grimpeuse américaine. « Le dernier jour, Nancy et moi sommes descendues en rappel jusqu’à la longueur 8 et j’ai commencé à travailler sur une séquence de mouvements compliquée. […] Après avoir essayé toutes les solutions possibles et imaginables pour passer cette section de rocher vierge pendant plus de deux heures, j’ai finalement trouvé un moyen de grimper en libre après le crux. Après avoir travaillé chaque mouvement de la longueur, j’ai essayé d’enchaîner la séquence complète à deux reprises, mais à chaque fois, j’ai manqué de force sur les derniers mouvements avant la fin. Après avoir passé près de 15 jours à grimper, hisser, jumper, descendre en rappel et forer plus de 50 plaquettes, mon corps était épuisé. Néanmoins, pendant les dernières heures du jour, Nancy et moi avons continué l’escalade libre des cinq dernières longueurs de la voie (7b, 6c, 6a+, 6b, 5c). À la fin de la journée, Nancy, Kath, Rob [l’un des caméramans, ndlr] et moi avons grimpé en solitaire la dernière centaine de mètres menant sommet de la formation Tsaranoro. Tout en regardant le soleil se coucher sur les vastes hautes terres désertiques des Andringitra, nous avons tous ressenti un grand sentiment de paix et de satisfaction d’avoir gravi une voie aussi superbe. »
Bravo les filles, à l’époque la grande voie la plus difficile jamais gravie par une équipe féminine, venait de naître.
Une voie libérée pour la première fois en 2004
Et si la cordée portée par Lynn Hill avait réussi à libérer toutes les longueurs, à l’exception de la 8e, il faudra attendre 2004 pour assister à la première ascension en libre, oeuvre des frères espagnols, Eneko et Iker Pou.
Depuis, quelques répétitions en libre ont eu lieu, notamment celle du Tchèque Ondra Benés et de l’Autrichien Harald Berger. Sans toutefois qu’aucune cordée féminine ne parvienne à se hisser en libre au sommet de Bravo les filles.
Bravo les filles, enfin libérée par une cordée féminine
Juin 2025. Une nouvelle cordée se présente au pied de l’imposante paroi où se dessine la ligne de Bravo les filles : Marianna Ordóñez et Sasha DiGiulian, qui s’était familiarisée avec le granite de Tsaranoro en 2017, dans le cadre de son ascension de Mora Mora (700 m, 8c) aux côtés d’Edu Marin.
Les deux grimpeuses se sont, dès leur arrivée à Madagascar, mises à travailler les 13 longueurs de Bravo les filles. Une fois la voie déchiffrée, les méthodes calées (notamment dans le 8b) et les sections engagées apprivoisées, elles se sont lancées dans leur tentative d’ascension en libre de la ligne.
« Le premier jour, nous avons grimpé les premières longueurs en réversible [chaque membre de la cordée devient successivement le leader, ndlr] » raconte Sasha DiGiulian sur Instagram. « Est ensuite arrivée la longueur crux [le 8b, ndlr] ; je l’ai enchaînée dès mon premier essai – une vraie chance ! J’ai ensuite libéré la longueur suivante, puis nous sommes descendues à notre portaledge afin d’y passer la nuit avant de nous attaquer, dès le lendemain, aux 200 derniers mètres de la voie. »
Le deuxième jour, la grimpeuse américaine a pris la tête jusqu’au sommet, enchaînant les longueurs « épuisantes, envahies par la végétation » souligne-t-elle.
« Nous sommes ensuite descendues en rappel en toute sécurité jusqu’à notre portaledge où nous avons passé notre dernière nuit avant de lever le camp et de retourner au pied de la paroi » poursuit Sasha DiGiulian. « Nous sommes ravies, fières et reconnaissantes d’avoir vécu une expérience aussi mémorable sur une ligne légendaire ».
Un an et demi après leur succès au Mexique, dans la voie El Sendero Luminoso, un bigwall de 760 mètres situé à El Potrero Chico, la cordée DiGiulian-Ordóñez a ainsi signé une belle première féminine, Bravo les filles, filmée et photographiée par Jan Novak et William Hamilton, dont il nous tarde de découvrir les images.
Il y aura un avant et un après Laura Pineau et Kate Kelleghan, c’est indéniable. La cordée franco-américaine vient de réaliser une performance historique : venir à bout de la Triple Crown, un enchaînement mythique des trois big walls du Yosemite, jusque-là réservé à une poignée de cordées masculines. Une première féminine, réalisée en 23 heures et 36 minutes sous des conditions météo menaçantes, fruit d’un entraînement millimétré, d’une véritable osmose et d’une détermination sans faille. Laura nous avait parlé de ce projet en mars dernier. Son ambition était claire : faire connaître l’histoire des femmes et de l’escalade de vitesse au Yosemite. « Cette ascension pourrait inspirer plein d’autres femmes » avait-elle confié. Mission accomplie.
Laura Pineau. Retenez bien ce nom. Car il ne fait aucun doute que vous allez l’entendre souvent au cours des prochaines années. Surnommée « mademoiselle fissure », c’est une athlète qui monte. Haut. Et vite. Encordées l’avait rencontrée dans la Valle dell’ Orco, dans un van au pied de Greenspit, une voie qu’elle venait d’enchaîner la veille, signant au passage la 2e répétition féminine. « Cela fait sept ans que je grimpe », nous avait-elle alors confiée. « J’ai commencé par le psicobloc, au-dessus de l’eau, pas très loin de chez mes parents à Toulon, dans un endroit où j’allais quand j’étais petite pour sauter des rochers avec mes copains. Un jour, j’ai rencontré un grimpeur qui s’appelait Fred. Il m’a emmenée pendant quatre heures faire le tour des falaises. C’était vraiment génial, et très addictif, je dois bien l’admettre ».
La grimpeuse de 24 ans n’a depuis jamais arrêté de grimper, oscillant entre la France et les Etats-Unis. Là-bas, elle a notamment rencontré Brittany Goris, l’une des meilleures grimpeuses de trad naturellement devenue son mentor dans la discipline. Puis Kate Kelleghan, adepte de big walls et de speed climbing, ou escalade de vitesse, une discipline qui trouve toute sa place aux États-Unis, mais qui reste encore marginale en Europe. Avec elle, Laura a signé ce printemps le record féminin de la voie mythique Naked Edge, dans le Colorado : cinq longueurs, comprenant certains passages où la chute n’est tout simplement pas permise, avalées en 37 minutes et 8 secondes. Le fruit d’une réelle complicité entre les deux grimpeuses, ainsi que d’une communion avec une communauté unie par cette pratique.
Le triptyque de la légende : El Cap, Half Dome, Watkins
Mais Naked Edge, ce n’était que l’échauffement avant un gros projet que Laura et Kate avaient tenu à garder secret. La grimpeuse française en avait tout de même parlé à encordées au printemps, avec un enthousiasme sans pareille : la Triple Crown. Un enchaînement extrêmement ambitieux, véritable rite de passage pour les grimpeur.ses de vitesse au Yosemite. L’idée est aussi claire que vertigineuse : 3 ascensions d’ampleur (El Capitan, le Half Dome, le mont Watkins) soit environ 72 longueurs pour 2200 mètres d’escalade. Ajoutez à cela environ 30 kilomètres de randonnée (entre les trois itinéraires). Une invention signée Dean Potter et Timmy O’Neill, en 2001. Depuis, seules une dizaine de cordées masculines en sont venues à bout.
« L’objectif c’est de le faire in a day, en moins de 24 heures » nous avait confié Laura fin mars. « Mais quoi qu’il arrive, même si on le fait en 26 heures, on sera les premières femmes à y arriver. Aucune femme n’a encore enchaîné les trois ascensions d’un coup, même en 48 heures. Mais avec Kate, on aime cette idée de vitesse. D’autant que tous les mecs qui ont signé la Triple Crown, l’ont fait en moins de 24 heures. Arriver au bout de 26 heures, ce serait super dur psychologiquement. C’est pour ça qu’on va vraiment s’entraîner sur les trois big walls séparément pour savoir le temps que l’on va mettre sur chaque sommet ». Et c’est ce qu’elles ont fait. Comme on a pu le voir sur leur compte Instagram.
Des « doublettes » en salles aux parois du Yosemite
Mais avant d’arpenter les parois du Yosemite, Laura s’est entraînée en France. À raison de « doublettes ». L’idée ? « Tu grimpes une fois une fois, l’autre tire la corde et tu repars directement » explique-t-elle. « À chaque séance d’escalade je faisais à peu près 20 longueurs ». De quoi gagner en endurance. Ajoutez à cela des grosses journées de marche, avec beaucoup de dénivelé.
Et puis avec Kate, venue en France à l’occasion, elle a profité du soleil de Toulon pour enchaîner des grandes voies. Un moyen pour les grimpeuses d’apprendre à mieux se connaître. « Ca nous a aussi permis de découvrir les habitudes de l’autre » nous a raconté Laura. « Moi par exemple je me couche tôt. Tandis que Kate, elle aime se coucher à minuit, une heure du matin. Elle n’a pas besoin de manger le matin, moi à huit heures je me lève je mange tout de suite ». Elles se sont ensuite envolées dans le Colorado pour s’entraîner en altitude. Le début de journées à rallonge, chronomètre au poignet, chaussons aux pieds et cardiofréquencemètre autour du bras, qui les ont conduites à tenter l’enchaînement de la Triple Crown dimanche 8 juin. Et de définitivement inscrire leurs noms dans l’histoire de l’escalade.
Elle a grimpé les parois les plus vertigineuses du monde, mais c’est dans le calme d’une cabane en Ariège que Stéphanie Bodet est allée chercher l’essentiel. Dans son dernier livre, À l’écoute du silence, elle confie son besoin vital de solitude, son rapport sensible au monde, et la manière dont l’écriture, la nature et le silence l’aident à se recentrer. Elle nous en a parlé dans un échange simple et sincère, mêlant douceur et authenticité.
La sortie d’un livre de Stéphanie Bodet, c’est toujours un petit événement chez encordées. La date est soigneusement notée dans l’agenda. Et une fois le jour tant attendu arrivé, c’est l’heure de la fameuse promesse en l’air : celle d’étaler la lecture sur plusieurs soirées, histoire de faire durer le plaisir. S’en est suivi l’évidence de vous en parler. De ce livre, À l’écoute du silence, mais aussi de son auteure : de sa sensibilité qui résonne chez beaucoup de ses lecteur.ices, de la gestion de ses émotions dans son passé de compétitrice, et de sa médiatisation aussi.
« Ce livre, c’est vraiment une célébration du silence vivant, un silence nourricier qui aide à retrouver ce silence intérieur qu’on perd souvent » nous a-t-elle confié. « Pour moi, ce silence intérieur, c’est cet espace dans le cœur qu’on a tous, mais qui a tendance à s’étioler si on n’en prend pas soin. Quand on le retrouve, on sent qu’on s’ouvre à nouveau, qu’on retrouve de l’élan, de la joie de vivre. Et après, on peut être entouré.e.s par des gens qu’on aime, parce qu’on a réussi à cultiver cet espace en soi. Le silence et les sons de la nature, ça me permet justement de regagner ça, et de m’ouvrir davantage ensuite. »
Stéphanie Bodet sur les blocs d’Ailefroide (@Victoire de Parscau)
encordées : Quand je suis allée chercher ton livre à la librairie de Briançon, le libraire m’a dit « Ah, tu verras, il n’est pas comme les autres. » Est-ce que toi aussi, tu dirais que ce livre-là, il n’est pas comme les autres ?
Écoute, je ne sais pas trop quoi répondre, parce qu’en fait, pour moi, c’est juste la continuité de ce que je suis. J’ai beaucoup moins voyagé ces dernières années, donc il y a peut-être un côté plus contemplatif, plus ancré, plus enraciné qui se dégage de ce livre. Peut-être que c’est aussi lié à la maturité. J’ai eu quelques petits soucis il y a deux ans, et cela m’a conduite à tourner davantage mon attention vers ce que j’aimais déjà : observer les choses minuscules, être à l’écoute. Finalement, ce déménagement [des Hautes-Alpes au Luberon, ndlr] a aussi été une forme de voyage pour moi. Je suis un peu comme un chat : je mets très longtemps à m’adapter à un nouveau territoire, je l’explore en profondeur avant de me sentir un peu chez moi, et j’essaie d’y créer des racines. Je me rends compte que ces dernières années ont été, en elles-mêmes, un voyage. Et puis, je pense que chaque livre est différent.
encordées : Peut-être que le libraire m’a dit ça parce que, finalement, tu ne parles presque pas tant d’escalade que ça dans ce livre, comparé aux autres ?
Oui, c’est vrai. L’escalade fait toujours partie de ma vie, mais je lui accorde une place différente aujourd’hui. Elle est peut-être moins centrale, moins prépondérante, mais elle reste cette espèce de colonne vertébrale. Le rocher est toujours là. À chaque fois que je vais grimper, même des choses faciles, il y a un émerveillement intact. Avant-hier, on était à Buoux, et c’était encore ce même aplomb immédiat que je ressens quand je me dresse un peu sur le rocher. Surtout dans les voies subtiles, en dalle ou en verticale, où il faut vraiment monter sur les pieds – ça, j’adore. Et quand je suis un peu fatiguée, je remarque que grimper dans ces voies pas trop physiques me fait un bien incroyable.
encordées : Pourquoi tu as voulu écrire spécifiquement sur le silence ?
Cette idée de livre, je l’ai eue il y a déjà six ans. J’avais envie d’écrire sur ce thème-là parce que, c’est un peu étrange, peut-être, j’ai toujours été fascinée par les récits d’ermites, par les histoires de gens qui se retirent un peu à l’abri du monde. Mais aussi par les raisons pour lesquelles, parfois, il est bon de disparaître un moment : pour revenir à soi, et ensuite mieux revenir au monde. Sans doute parce que j’ai moi-même traversé des périodes douloureuses. Et aussi, tout simplement, à cause de ma sensibilité. Même enfant, j’avais déjà ce besoin fort de solitude, de silence.
Et puis, en vieillissant, j’ai connu des périodes très tournées vers la convivialité, notamment dans le monde de l’escalade. Mais j’ai remarqué que, par rapport à d’autres, je fatiguais très vite dans les interactions sociales. Même si j’aimais ça, vraiment. Ce n’était pas du tout un rejet. J’aimais être avec des amis, parler, partager. Mais au bout d’un moment, je me sentais vidée. J’ai commencé à en souffrir, en me disant que j’étais peut-être un peu étrange, un peu différente. Ce besoin de silence m’interrogeait profondément.
C’est là que j’ai trouvé du réconfort dans les livres. Dans les journaux d’écrivains, chez les poètes. Fernando Pessoa, par exemple, ce poète portugais de l’intranquillité, ou Proust… Il y en a beaucoup. Ces auteurs, je les lisais un peu comme on dialogue avec des amis, des êtres avec qui on partage une même sensibilité. Je sais que ces sensibilités existent, mais je m’en suis encore plus aperçue en écrivant ce livre notamment. Ce que j’écris résonne davantage envers les tempéraments plus introvertis, les artistes, les gens qui font de la photo, de l’aquarelle, qui posent un regard discret sur le monde. Et je me rends compte qu’en fait, on est très nombreux à être comme ça.
Aujourd’hui, j’ai compris qu’il fallait s’accorder des temps de respiration. La vie, c’est un peu comme une musique : elle ne peut se déployer que grâce aux silences, aux soupirs qu’on lui offre.
encordées : J’ai beaucoup idéalisé certaines expériences, en lisant Walden, La vie dans les bois, ou Dans les forêts de Sibérie. Je me disais : « Waouh, c’est génial, cette idée d’aller dans une cabane, de s’isoler du monde ». Et j’ai essayé de le faire… mais en réalité, j’ai trouvé ça pesant. Le silence, la solitude, même quand on les choisit, peuvent être lourds.
Je crois que ça dépend vraiment du tempérament de chacun, mais aussi du moment dans la vie où on le fait. Il y a des périodes où c’est nourrissant, et d’autres où ça devient presque trop. On peut fantasmer cette solitude choisie comme un état fertile, nourricier… mais parfois, elle devient morne, vide, un peu ennuyeuse. Elle peut nous renvoyer à notre propre vide intérieur. C’est ce que tu veux dire, non ?
encordées : Oui, c’est ça. Et du coup, pour combler ce vide parfois pesant, je vais écouter des podcasts, ou mettre un fond sonore… Et ça m’apaise.
Je trouve que c’est bien aussi, d’écouter un podcast. Tu vois, quand j’étais dans ma cabane en Ariège, ça m’est arrivé. Je crois que j’en avais un que je voulais écouter depuis longtemps. C’était justement en lien avec Walden : une prof de yoga, que j’avais entendue en conférence, a écrit un texte sur Thoreau, en le lisant un peu comme un yogi, parce que c’était aussi un ermite nourri de textes sanscrits, il connaissait un peu les traditions indiennes.
Donc voilà, même dans cette cabane, j’avais des livres, et j’ai écouté ce podcast. Mais bon, je n’en ai pas écouté beaucoup non plus. Après, je ne suis pas très musique. Enfin… je veux dire, je n’écoute pas souvent de la musique, parce que je suis très sensible. J’ai besoin de reposer mes oreilles. Quand j’écoute de la musique, je ne peux rien faire d’autre. Je ne peux pas la laisser en fond et écrire ou faire autre chose. Alors que je sais que certains y arrivent très bien. On est tous différents.
encordées : Et puis je trouve qu’aujourd’hui, dans le monde dans lequel on vit, le silence et la déconnexion sont presque devenus un luxe.
C’est ça que je veux dire : c’est une chance de pouvoir s’accorder ce silence dans sa vie. Parfois, on a une famille, des obligations sociales, un rythme soutenu… Mais si l’appel est vraiment fort, il faut réussir à s’octroyer ces moments. Pour moi, c’est presque vital. C’est comme une forme de nutrition essentielle, quelque chose de fondamental. Et je crois qu’on en a tous besoin, à des degrés différents.
Pour certains, ça va être simplement prendre dix ou quinze minutes entre deux rendez-vous pour se recentrer. Pour d’autres, ce sera partir faire une retraite, aller vivre quelque temps dans un lieu reculé. Et moi, mes petites respirations, ce sont d’aller grimper, jardiner, ou m’offrir, de temps en temps, des parenthèses comme celle que j’ai vécue en Ariège.
Je suis très attentive à ce qui m’entoure, donc en fait, je ne me sens pas seule. Même si, bien sûr, j’ai comme tout le monde des coups de fatigue ou des moments de blues, je me sens généralement bien quand je suis seule. Une petite balade autour de chez moi, en silence, ça ne me pèse pas – au contraire, j’en ai besoin.
encordées : On ressent que tu as une profonde sensibilité. Comment est-ce que tu gérais ça quand tu faisais des compétitions ? Car souvent, pour performer, on parle de « machine », comme si c’était quelque chose d’assez déshumanisé. Toi, comment tu vivais ça ?
Oui, je vois ce que tu veux dire. Moi, au contraire, j’avais souvent l’impression d’être entourée de « machines ». Et j’avais un fonctionnement un peu différent. Il a fallu que je trouve ma propre mélodie, ma manière à moi d’aborder les compétitions. Je faisais mes échauffements à mon rythme, je m’accordais un petit moment de relaxation, et surtout, j’essayais de ne pas voir les autres comme des concurrentes. C’était souvent des copines, en fait. En finale de Coupe du Monde, il y avait Liv Sansoz, Martina Cufar… c’était vraiment devenu des amies. Il y avait une relation de complicité plus que de rivalité.
J’essayais aussi de m’inspirer de ce que les autres pouvaient dégager de beau, de positif. Et je pense que ça m’a beaucoup aidée à canaliser mes émotions. Parce que j’étais très émotive, très sensible, parfois dans des situations où d’autres ne réagissaient pas du tout. Une injustice, par exemple, pouvait me bouleverser.
Mais paradoxalement, une fois que je grimpais, je retrouvais un silence intérieur. Juste avant de m’engager sur le mur, j’étais complètement tendue – j’avais parfois l’impression que j’allais m’évanouir. Il y avait ce moment de flottement entre l’isolement et le début de la voie. Et puis, dès que je posais les mains sur les premières prises, tout s’alignait. J’en parle un peu dans À la verticale de soi, de cette sensation un peu étrange.
C’est comme si tu perdais toute ta contenance, et puis d’un seul coup, tu es là, concentrée, totalement dans l’instant. Et je crois que le fait de faire de la compétition, d’être mise à l’épreuve à un moment imposé de la journée, ça t’apprend beaucoup. Tu dois être là, maintenant, pas plus tard.
Je me rappelle qu’Arnaud [Petit,son compagnon, ndlr] m’avait dit un jour : « Essaie de passer un bon moment. Tu ne peux pas rêver mieux comme entraînement qu’une vraie voie en compétition. Alors fais-la pleinement. Et amuse-toi ». Et ça, ça m’a permis de basculer dans ma tête. De transformer l’épreuve en jeu. De retrouver ce plaisir-là, cette envie de tenter, même si c’est pour tomber. De me dire : « Ce n’est pas grave, je recommencerai. » Et tout ça, au final, ça m’a énormément servie dans ma vie de grimpeuse sur les grandes parois. Ça m’a appris à mieux me connaître, à mieux gérer mes émotions. En résumé, la compétition m’a donné des outils très précieux.
encordées : Comment est-ce que tu as traversé cette exposition médiatique qui a accompagné ton parcours, et qui perdure encore aujourd’hui ?
Je ne me suis jamais vraiment sentie comme quelqu’un de très médiatisée. Au contraire. Avec ma sensibilité, j’ai accepté à certains moments de faire des films, notamment parce qu’on vivait aussi un peu grâce aux sponsors. Même si on « vivotait ». Ça permettait au moins de partir sur les projets qui nous faisaient rêver. Donc c’était un contrat implicite : ramener des images, parfois des textes.
Moi, j’aimais beaucoup écrire. Faire des articles, partager les récits, c’est quelque chose qui me plaisait. Mais c’est devenu plus difficile à partir du moment où les films ont pris une place centrale, et surtout quand c’est devenu presque une obligation de revenir avec une vidéo.
Je pense qu’aujourd’hui, dans le système de communication actuel, je serais assez malheureuse. Ce besoin d’être constamment visible à travers les stories, les vidéos, les posts… Cette injonction permanente à exister à travers les écrans, je la trouve très pesante. Ça me poserait problème je pense.
J’ai eu la chance de vivre cette époque juste avant, où on filmait entre nous. Et ensuite, au retour, c’était le caméraman ou le réalisateur qui faisait le montage. Il n’y avait pas cette pression du direct, ni cette omniprésence de l’écran. Hormis la caméra, on était encore relativement libres. Il n’y avait pas de téléphone portable qui nous suivait partout, en permanence.
encordées : Oui, exactement. Il y a cette exigence d’instantanéité aujourd’hui.
C’est ça, cette immédiateté, ce besoin d’être dans la réaction constante… Bon, après, je trouve qu’il y a aussi de très belles choses dans tout ça, notamment dans la mise en relation. Je ne dénigre pas du tout l’outil, parce que je trouve qu’il permet parfois de se connecter à des personnes avec une sensibilité proche, et de faire de très belles rencontres, même virtuelles. Je ne suis pas du tout opposée à ça. Mais je pense que, parfois, ça peut devenir aliénant. On peut se retrouver pris dans une sorte de frénésie, et au final, perdre un peu le lien avec la vie réelle. C’est un peu banal à dire, mais vrai.
Tu vois, quand tu passes ton temps à filmer, à photographier – même si c’est beau, même si c’est pour de bonnes raisons – par exemple pour un artiste qui veut garder une trace, une mémoire visuelle… Le téléphone, aujourd’hui, c’est un peu comme le journal intime ou l’album photo personnel. Donc oui, c’est important d’en avoir. Mais à force, on oublie ce regard direct, cette disponibilité, cette attention au réel qu’on peut avoir sans écran. Ça fait du bien, parfois, d’y revenir. Sinon, on risque de se couper du monde, de se créer une bulle un peu centrée sur soi – et c’est ce que je redoute, en fait.
Concernant la médiatisation, je me suis souvent posé des questions. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir Arnaud, par exemple, qui gère certaines choses, comme les stories. Moi, ce n’est pas quelque chose qui me passionne. Par contre, je réponds toujours aux messages quand on m’écrit, et ça, ça me fait plaisir. Et puis, j’aime bien participer à des émissions radio, ou à des podcasts quand on me le propose. Parce que, tu vois, à la radio, souvent, il n’y a pas d’image. Et je trouve ça très fort, ce rapport d’une voix à une autre. J’aime écouter les podcasts, plonger dans l’intime de quelqu’un. Donc cet aspect-là de la médiatisation, non, ça ne me pèse pas. Je suis même contente de pouvoir partager ce que j’aime, comme ça.
En fait, mon rapport à l’image, il est assez simple. Vers 34–35 ans, quand faire des films est devenu une sorte de nécessité pour continuer à exister dans ce milieu, ça a commencé à me peser. Et en même temps, je culpabilisais un peu, parce que je me disais : c’est aussi ce qui me permet de vivre. Mais je sentais que ça me fatiguait. C’est pour ça que j’ai arrêté pendant un moment, que j’ai fait une formation de yoga. Et ça m’a permis de revenir à l’écriture, à la contemplation, à autre chose. C’est ce qui m’a ensuite menée à écrire davantage, à publier mes livres. Et aujourd’hui, parler d’un livre, je trouve ça chouette. C’est un privilège, vraiment.
encordées : Est-ce que tu as déjà en tête un autre livre ?
Oui. Je l’ai déjà commencé il y a trois ans, pendant que j’écrivais celui-là. J’ai une trentaine de pages pour l’instant. J’avais envie d’écrire un livre qui s’appellerait L’Amitié des pierres – sur le rapport aux rochers, aux minéraux. Pas seulement en lien avec l’escalade, mais aussi dans la vie en général. Ce lien qu’on peut avoir avec la pierre, la roche… Ce truc très concret, très réel, très sensoriel, qui nous relie à la terre, à notre présence sur terre.
encordées : J’ai hâte de lire ça, alors…
Écoute, faut que je m’y remette ! Parce que là, c’est vrai que je ne fais pas grand-chose… à part planter des petites fleurs dans mon jardin.
Lire À l’écoute du silence
Résumé : « On peut, comme moi, grimper sur des parois immenses, dormir en paix avec cinq cents mètres de vide sous les pieds, mais être saisie de vertige dans un centre commercial. Marcher des heures durant avec un lourd sac à dos mais échouer à suivre une conversation recouverte par les décibels d’une chanson. Se sentir inadaptée en société et entourée au cœur d’une forêt. « Mon programme des jours à venir est d’une simplicité élémentaire et d’une ambition démesurée. Me mettre à l’écoute et laisser place au bruissement de la vie naturelle. M’ensauvager quelque temps pour mieux revenir au monde. » Ancienne championne d’escalade, Stéphanie Bodet souffre du bruit aliénant de notre société. Cette amoureuse de la nature décide de se retirer dans une cabane en Ariège. Les sens à l’affût, elle se lance dans un prodigieux voyage au cœur du silence. Son livre est le chant léger et grave de la terre, des airs, de la vie simple.
Éditeur : Équateurs Publication : 16 avril 2025 Prix : 20,00€ À découvrir ici