En célébrant la domination de Janja Garnbret dans l’une de ses dernières vidéos, Le Monde relance le débat : les femmes peuvent-elles être plus fortes que les hommes ? Une question qui en dit long sur notre manière de penser l’égalité… et sur les limites d’un modèle de performance calqué sur celui des hommes.
Ce n’est pas souvent que les journalistes du Monde s’intéressent au microcosme de l’escalade. Ils ont choisi de le faire la semaine dernière, via la mise en scène d’un « duel » hommes/femmes. Une vidéo virale – plus de 130 000 vues sur YouTube – qui réduit la performance des femmes à… une simple comparaison.
« Plus fortes que les hommes ? » interroge la miniature.
Avouons-le : nous sommes nombreux·ses à vouloir que cela soit vrai. Ou, à défaut, que les femmes atteignent le même niveau.
Qui n’a pas envie de voir, à la une d’un magazine, une femme enchaîner un 9c ? Ou se hisser sur la plus haute marche du classement général de l’UTMB, par exemple ?
Des sports où les femmes ont déjà surpassé les hommes, il en existe (contrairement à ce qu’affirme Le Monde dans sa vidéo). Jasmin Paris sur The Spine Race – souvent décrite comme l’un des ultra-marathons les plus difficiles d’Europe – en est l’un des plus beaux exemples. En 2019, la traileuse britannique avait bouclé les 430 kilomètres de cette course en 83 heures et 12 minutes, devançant de plus de 12 heures le premier homme. Même son de cloche du côté de la voile : en 2022, Kirsten Neuschäfer est devenue la première femme à remporter un tour du monde en solitaire sans escale, après huit mois de mer.
Rappelons d’ailleurs qu’en 1993, une grimpeuse avait déjà marqué l’histoire : Lynn Hill, première à réussir l’ascension en libre du Nose, sur El Capitan. Rien de nouveau, donc, à voir les femmes côtoyer le très haut niveau masculin… même si ces role models ont longtemps été invisibilisées.
Lynn Hill dans The Nose (1993)
Mais il est vrai que l’actuelle « domination » de la grimpeuse slovène Janja Garnbret, à laquelle Le Monde s’est intéressé, apporte un souffle nouveau à la discipline. Ses dix titres de championne du monde inspirent.
Il en va de même de ses deux titres olympiques.
« Va-t-elle concourir avec les hommes ? » interroge Le Monde, qui semble nourrir un certain appétit à voir les femmes se rapprocher du très haut niveau masculin en escalade. À cette question s’en ajoute une autre : « À quand le 9c ? »
Ce à quoi Janja répond : « Ce n’est qu’une question de temps. »
Une question de temps avant d’égaler les meilleures performances masculines.
Mais pourquoi notre société semble-t-elle désormais vouloir des surfemmes ? Peut-être parce que les surhommes, eux, ne suffisent plus.
Quid des inégalités structurelles ?
Vu sous cet angle, on dirait presque que performer serait la manière la plus simple – et la plus efficace – de clore le débat sur les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est ce que semblait suggérer Katherine Choong, grimpeuse suisse auteure de la première grande voie féminine Zahir, dans un récent article de Vertige Media.
L’argument est pratique. Rassurant, même.
Mais il masque le travail collectif encore nécessaire.
Car oui, la performance attire l’attention des médias – l’un des leviers permettant de mettre en lumière la question de l’égalité entre les sexes. Mais elle ne change rien aux inégalités structurelles, qui ont la peau dure : celles qui concernent les salaires, le traitement médiatique, les stéréotypes persistants ou encore l’accès aux infrastructures.
Que Janja Garnbret concoure avec les hommes – ou qu’elle enchaîne un 9c – ne résoudra pas cette fâcheuse tendance qu’a notre société à mettre des bâtons dans les roues aux petites filles désireuses de prendre les mêmes risques que les garçons.
Car certes, célébrer des héroïnes a le mérite de créer de puissants modèles féminins, ce qui aide à se projeter. Mais quid de la masse des pratiquantes invisibilisées ? Celles qui passent encore en secondes dans la cordée. Non pas par choix, mais par habitude. Voire même par contrainte.
Tracer sa propre voie
Et si, plutôt que de regarder la situation à travers les œillères de la performance – si bien intégrées qu’on en oublie qu’elles restreignent notre champ de vision -, on sortait enfin de ce combat stérile… où la référence demeure l’homme ?
Pourquoi les femmes devraient-elles chercher à fonctionner comme leurs homologues masculins ?
Ne serait-il pas temps de cesser les comparaisons ?
Et de mettre fin à cette course à la performance ?
Une course dont les règles du jeu ont été définies par des hommes. Pour des hommes.
Et si, au lieu de faire de l’escalade un terrain d’affrontement social, on laissait aux femmes la liberté de tracer leur propre voie ?
C’est une page importante de l’histoire de l’escalade féminine qui s’est écrite à Tsaranoro ces derniers jours. Vingt-six ans après son ouverture par Lynn Hill, leader d’une cordée exclusivement féminine, Bravo les filles a enfin été libérée dans son intégralité par deux grimpeuses. Fin juin, Sasha DiGiulian et Marianna Ordóñez ont réussi la première ascension libre féminine de cette grande voie emblématique du granite malgache (600 mètres d’escalade répartis en 13 longueurs, dont un crux en 8b). Un accomplissement technique, symbolique et inspirant.
Bravo les filles. Comme son nom le suggère, cette voie, située à Tsaranoro, l’un des spots d’escalade les plus célèbres de l’hémisphère Sud, c’est avant tout une histoire de femmes.
Tout commence en 1999, année où Lynn Hill, légende de l’escalade, et ses compères – Beth Rodden, Nancy Faegan et Kath Pike – posent leurs chaussons sur le granit des falaises malgaches, qui offrent une inhabituelle richesse gestuelle tout en exigeant technique, détermination et un indispensable soupçon d’engagement. La particularité de leur expédition ? Être uniquement composée de grimpeuses – accompagnées de Greg Epperson, photographe, Kevin Thaw, monteur et d’un duo de caméramans, Michael Brow et Rob Raker.
« [Nous] sommes arrivées à notre camp de base, situé à une heure de marche du massif du Tsaranoro, le 23 juin. De là, nous avons remarqué une paroi particulièrement belle avec un sommet séparé à droite de la formation principale. Nous avons donc décidé de le gravir » raconte Lynn Hill à l’American Alpine Club. « Le 24 juin, nous avons commencé la première longueur de la voie. Comme nous étions quatre grimpeuses, nous nous sommes divisées en deux cordées de deux. Kath et moi d’un côté ; Nancy et Beth de l’autre. »
Une ascension technique et engagée
« La partie inférieure de la paroi était peu déversante, mais une fois les premières longueurs passées, la falaise est progressivement plus raide – et l’escalade plus difficile. Comme il y avait très peu de fissures dans lesquelles placer des protections naturelles, nous avons placé des plaquettes » détaille la grimpeuse américaine.
Les premières centaines de mètres, ne dépassant pas le 6b, ne présentent aucune difficulté majeure pour les grimpeuses. Les choses commencent à se corser à partir des 6e et 7e longueurs – respectivement cotées 6c+ et 7b+. « Lorsque nous avons atteint la 8e longueur, Beth a dû partir pour une compétition aux États-Unis. Kath, Nancy et moi avons donc continué à équiper les cinq dernières longueurs jusqu’au sommet » poursuit Lynn Hill. « Notre objectif était de grimper l’ensemble de la voie depuis le sol tout en plaçant toutes les plaquettes de protection en tête. »
Les grimpeuses finiront par équiper la voie un jour seulement avant leur départ. Ce qui leur a laissé peu de temps pour la libérer. « Jusque-là, j’avais escaladé en libre toutes les longueurs de la voie, à l’exception de la longueur 8 [cotée 8b, ndlr]. » raconte la grimpeuse américaine. « Le dernier jour, Nancy et moi sommes descendues en rappel jusqu’à la longueur 8 et j’ai commencé à travailler sur une séquence de mouvements compliquée. […] Après avoir essayé toutes les solutions possibles et imaginables pour passer cette section de rocher vierge pendant plus de deux heures, j’ai finalement trouvé un moyen de grimper en libre après le crux. Après avoir travaillé chaque mouvement de la longueur, j’ai essayé d’enchaîner la séquence complète à deux reprises, mais à chaque fois, j’ai manqué de force sur les derniers mouvements avant la fin. Après avoir passé près de 15 jours à grimper, hisser, jumper, descendre en rappel et forer plus de 50 plaquettes, mon corps était épuisé. Néanmoins, pendant les dernières heures du jour, Nancy et moi avons continué l’escalade libre des cinq dernières longueurs de la voie (7b, 6c, 6a+, 6b, 5c). À la fin de la journée, Nancy, Kath, Rob [l’un des caméramans, ndlr] et moi avons grimpé en solitaire la dernière centaine de mètres menant sommet de la formation Tsaranoro. Tout en regardant le soleil se coucher sur les vastes hautes terres désertiques des Andringitra, nous avons tous ressenti un grand sentiment de paix et de satisfaction d’avoir gravi une voie aussi superbe. »
Bravo les filles, à l’époque la grande voie la plus difficile jamais gravie par une équipe féminine, venait de naître.
Une voie libérée pour la première fois en 2004
Et si la cordée portée par Lynn Hill avait réussi à libérer toutes les longueurs, à l’exception de la 8e, il faudra attendre 2004 pour assister à la première ascension en libre, oeuvre des frères espagnols, Eneko et Iker Pou.
Depuis, quelques répétitions en libre ont eu lieu, notamment celle du Tchèque Ondra Benés et de l’Autrichien Harald Berger. Sans toutefois qu’aucune cordée féminine ne parvienne à se hisser en libre au sommet de Bravo les filles.
Bravo les filles, enfin libérée par une cordée féminine
Juin 2025. Une nouvelle cordée se présente au pied de l’imposante paroi où se dessine la ligne de Bravo les filles : Marianna Ordóñez et Sasha DiGiulian, qui s’était familiarisée avec le granite de Tsaranoro en 2017, dans le cadre de son ascension de Mora Mora (700 m, 8c) aux côtés d’Edu Marin.
Les deux grimpeuses se sont, dès leur arrivée à Madagascar, mises à travailler les 13 longueurs de Bravo les filles. Une fois la voie déchiffrée, les méthodes calées (notamment dans le 8b) et les sections engagées apprivoisées, elles se sont lancées dans leur tentative d’ascension en libre de la ligne.
« Le premier jour, nous avons grimpé les premières longueurs en réversible [chaque membre de la cordée devient successivement le leader, ndlr] » raconte Sasha DiGiulian sur Instagram. « Est ensuite arrivée la longueur crux [le 8b, ndlr] ; je l’ai enchaînée dès mon premier essai – une vraie chance ! J’ai ensuite libéré la longueur suivante, puis nous sommes descendues à notre portaledge afin d’y passer la nuit avant de nous attaquer, dès le lendemain, aux 200 derniers mètres de la voie. »
Le deuxième jour, la grimpeuse américaine a pris la tête jusqu’au sommet, enchaînant les longueurs « épuisantes, envahies par la végétation » souligne-t-elle.
« Nous sommes ensuite descendues en rappel en toute sécurité jusqu’à notre portaledge où nous avons passé notre dernière nuit avant de lever le camp et de retourner au pied de la paroi » poursuit Sasha DiGiulian. « Nous sommes ravies, fières et reconnaissantes d’avoir vécu une expérience aussi mémorable sur une ligne légendaire ».
Un an et demi après leur succès au Mexique, dans la voie El Sendero Luminoso, un bigwall de 760 mètres situé à El Potrero Chico, la cordée DiGiulian-Ordóñez a ainsi signé une belle première féminine, Bravo les filles, filmée et photographiée par Jan Novak et William Hamilton, dont il nous tarde de découvrir les images.
Il y aura un avant et un après Laura Pineau et Kate Kelleghan, c’est indéniable. La cordée franco-américaine vient de réaliser une performance historique : venir à bout de la Triple Crown, un enchaînement mythique des trois big walls du Yosemite, jusque-là réservé à une poignée de cordées masculines. Une première féminine, réalisée en 23 heures et 36 minutes sous des conditions météo menaçantes, fruit d’un entraînement millimétré, d’une véritable osmose et d’une détermination sans faille. Laura nous avait parlé de ce projet en mars dernier. Son ambition était claire : faire connaître l’histoire des femmes et de l’escalade de vitesse au Yosemite. « Cette ascension pourrait inspirer plein d’autres femmes » avait-elle confié. Mission accomplie.
Laura Pineau. Retenez bien ce nom. Car il ne fait aucun doute que vous allez l’entendre souvent au cours des prochaines années. Surnommée « mademoiselle fissure », c’est une athlète qui monte. Haut. Et vite. Encordées l’avait rencontrée dans la Valle dell’ Orco, dans un van au pied de Greenspit, une voie qu’elle venait d’enchaîner la veille, signant au passage la 2e répétition féminine. « Cela fait sept ans que je grimpe », nous avait-elle alors confiée. « J’ai commencé par le psicobloc, au-dessus de l’eau, pas très loin de chez mes parents à Toulon, dans un endroit où j’allais quand j’étais petite pour sauter des rochers avec mes copains. Un jour, j’ai rencontré un grimpeur qui s’appelait Fred. Il m’a emmenée pendant quatre heures faire le tour des falaises. C’était vraiment génial, et très addictif, je dois bien l’admettre ».
La grimpeuse de 24 ans n’a depuis jamais arrêté de grimper, oscillant entre la France et les Etats-Unis. Là-bas, elle a notamment rencontré Brittany Goris, l’une des meilleures grimpeuses de trad naturellement devenue son mentor dans la discipline. Puis Kate Kelleghan, adepte de big walls et de speed climbing, ou escalade de vitesse, une discipline qui trouve toute sa place aux États-Unis, mais qui reste encore marginale en Europe. Avec elle, Laura a signé ce printemps le record féminin de la voie mythique Naked Edge, dans le Colorado : cinq longueurs, comprenant certains passages où la chute n’est tout simplement pas permise, avalées en 37 minutes et 8 secondes. Le fruit d’une réelle complicité entre les deux grimpeuses, ainsi que d’une communion avec une communauté unie par cette pratique.
Le triptyque de la légende : El Cap, Half Dome, Watkins
Mais Naked Edge, ce n’était que l’échauffement avant un gros projet que Laura et Kate avaient tenu à garder secret. La grimpeuse française en avait tout de même parlé à encordées au printemps, avec un enthousiasme sans pareille : la Triple Crown. Un enchaînement extrêmement ambitieux, véritable rite de passage pour les grimpeur.ses de vitesse au Yosemite. L’idée est aussi claire que vertigineuse : 3 ascensions d’ampleur (El Capitan, le Half Dome, le mont Watkins) soit environ 72 longueurs pour 2200 mètres d’escalade. Ajoutez à cela environ 30 kilomètres de randonnée (entre les trois itinéraires). Une invention signée Dean Potter et Timmy O’Neill, en 2001. Depuis, seules une dizaine de cordées masculines en sont venues à bout.
« L’objectif c’est de le faire in a day, en moins de 24 heures » nous avait confié Laura fin mars. « Mais quoi qu’il arrive, même si on le fait en 26 heures, on sera les premières femmes à y arriver. Aucune femme n’a encore enchaîné les trois ascensions d’un coup, même en 48 heures. Mais avec Kate, on aime cette idée de vitesse. D’autant que tous les mecs qui ont signé la Triple Crown, l’ont fait en moins de 24 heures. Arriver au bout de 26 heures, ce serait super dur psychologiquement. C’est pour ça qu’on va vraiment s’entraîner sur les trois big walls séparément pour savoir le temps que l’on va mettre sur chaque sommet ». Et c’est ce qu’elles ont fait. Comme on a pu le voir sur leur compte Instagram.
Des « doublettes » en salles aux parois du Yosemite
Mais avant d’arpenter les parois du Yosemite, Laura s’est entraînée en France. À raison de « doublettes ». L’idée ? « Tu grimpes une fois une fois, l’autre tire la corde et tu repars directement » explique-t-elle. « À chaque séance d’escalade je faisais à peu près 20 longueurs ». De quoi gagner en endurance. Ajoutez à cela des grosses journées de marche, avec beaucoup de dénivelé.
Et puis avec Kate, venue en France à l’occasion, elle a profité du soleil de Toulon pour enchaîner des grandes voies. Un moyen pour les grimpeuses d’apprendre à mieux se connaître. « Ca nous a aussi permis de découvrir les habitudes de l’autre » nous a raconté Laura. « Moi par exemple je me couche tôt. Tandis que Kate, elle aime se coucher à minuit, une heure du matin. Elle n’a pas besoin de manger le matin, moi à huit heures je me lève je mange tout de suite ». Elles se sont ensuite envolées dans le Colorado pour s’entraîner en altitude. Le début de journées à rallonge, chronomètre au poignet, chaussons aux pieds et cardiofréquencemètre autour du bras, qui les ont conduites à tenter l’enchaînement de la Triple Crown dimanche 8 juin. Et de définitivement inscrire leurs noms dans l’histoire de l’escalade.
Flashed revient sur une performance qui marque un tournant dans l’histoire de l’escalade : la première ascension flash d’une voie sur El Capitan, réalisée en novembre 2024 par l’Autrichienne Barbara Zangerl. En trois jours, la grimpeuse de 36 ans a enchaîné, sans chute ni repérage préalable, les 1000 mètres de Freerider (7c+ max), l’une des lignes les plus emblématiques de la paroi californienne.
Rendue célèbre auprès du grand public par le solo intégral d’Alex Honnold en 2017, Freerider a été libérée en 1998 par les frères Huber. Elle devient aujourd’hui le théâtre d’un nouvel exploit : celui de Barbara Zangerl, première grimpeuse – et première personne, tous genres confondus – à signer un flash sur El Capitan. Son partenaire, Jacopo Larcher, est passé tout près de l’exploit lui aussi, chutant une seule fois sur le crux de la célèbre Huber Pitch.
Le documentaire suit les deux grimpeurs durant leur ascension et donne à voir à la fois la rigueur de la préparation mentale, l’intensité de la grimpe et la complexité de ce type de projet. Plus qu’une simple performance physique, il s’agit d’un accomplissement technique et stratégique où chaque décision a un poids.
« Toujours essayer. Parce qu’on ne sait jamais vraiment ce dont on est capable »
Barbara Zangerl n’en est pas à son premier fait d’armes. Révélée dans le monde du bloc à la fin des années 2000, elle est la première femme à réussir un 8A+/B en 2008. Après une blessure sérieuse à la colonne vertébrale, elle se tourne vers l’escalade sportive puis vers le trad et les big walls, avec un parcours jalonné de premières féminines remarquées : Prinzip Hoffnung, The Path, Greenspit, ou encore Magic Line (8c+), gravie en 2023 dans le cadre du « Yosemite Double », l’enchaînement de deux voies de trad les plus difficiles du parc national américain.
Elle a également été la première femme à enchaîner la trilogie alpine (Silbergeier, Der Kaiser’s neue Kleider, End of Silence), et a été nommée Aventurière de l’année par National Geographic en 2019. Malgré son palmarès impressionnant, Zangerl continue de travailler comme manipulatrice en électroradiologie, menant de front une carrière professionnelle et une pratique de haut niveau. Une stabilité qui, selon elle, alimente sa motivation.
Avec ses images immersives et son rythme sobre, Flashed ne mise pas sur le sensationnalisme mais sur l’authenticité. On y découvre une grimpeuse humble, obstinée, dont la devise résonne comme un credo pour tous les passionnés d’aventure : « Toujours essayer. Parce qu’on ne sait jamais vraiment ce dont on est capable. »
Aucune femme n’apparaît dans le top 100 des athlètes les mieux rémunérés. Une phrase qui résonne comme une réalité frappante dans le monde du sport professionnel. Car malgré des évolutions notables sur le plan des mentalités et des politiques sportives, l’écart économique entre les athlètes masculins et féminins reste encore abyssal. Les raisons de cette inégalité sont multiples, allant des stéréotypes de genre profondément ancrés à la faible visibilité du sport féminin. Alors que des figures comme Serena Williams ou Naomi Osaka ont marqué l’histoire, le monde du sport professionnel continue de faire face à un plafond de verre pour ses athlètes féminines. Tant en termes de rémunération que de reconnaissance.
À temps de travail équivalent, le salaire moyen des femmes reste inférieur de 14,2 % à celui des hommes.
Les femmes occupent 42 % des postes salariés du secteur privé en équivalent temps plein, mais ne représentent que 24 % du top 1 % des emplois les mieux rémunérés.
À poste et établissement identiques, l’écart de salaire net en équivalent temps plein se réduit toutefois à 3,8 %.
(Source : INSEE)
Le monde du sport n’échappe pas à ce phénomène, qu’il s’agisse des salaires ou des primes. À titre d’exemple, l’équipe féminine de football des États-Unis, qui génère pourtant davantage de revenus que son homologue masculine, a déposé une plainte pour discrimination salariale contre la fédération américaine (U.S. Soccer) en 2016, affirmant percevoir 75 % de moins que les hommes.
Aucune femme dans le top 100 des athlètes les mieux payés en 2024
Depuis 1990, le magazine économique américain Forbes publie chaque année un classement des athlètes les mieux rémunérés. À ses débuts, la liste ne comptait que trente noms, et certaines femmes parvenaient à y figurer, notamment les grandes tenniswomen de l’époque comme Steffi Graf, Gabriela Sabatini, Monica Seles ou encore Jennifer Capriati.
« Les premiers classements faisaient la part belle aux sports individuels, avec seulement onze athlètes de sports collectifs en 1990 et neuf en 1991 », précise le magazine sur son site. En 2018, la tendance s’est inversée : « Les sportifs issus des disciplines collectives représentaient 82 % du classement. Les salaires dans ces sports ont explosé ces 25 dernières années, les médias dépensant des milliards de dollars pour acquérir les droits de diffusion en direct. Le plus haut salaire de la NBA en 1990 était de 3,75 millions de dollars pour Patrick Ewing. En 2018, Stephen Curry a empoché 34,7 millions de dollars avec les Golden State Warriors. »
L’année 2018 marque un tournant : pour la première fois, aucune femme ne figure dans le classement des athlètes les mieux payés. Devenu un top 50 en 2010, puis un top 100 en 2012, le classement Forbes reflète de plus en plus l’écart croissant entre les genres.
« L’absence de femmes dans ce classement s’explique par plusieurs facteurs », poursuit le magazine. « La tenniswoman chinoise Li Na a pris sa retraite en 2014, Maria Sharapova, classée onze années consécutives, subit encore les conséquences de sa suspension de 15 mois pour dopage, et Serena Williams n’a participé à aucun tournoi WTA depuis janvier 2017, date à laquelle elle a annoncé sa grossesse. Son total de gains s’est donc limité à 62 000 dollars cette année-là, contre 8 millions l’année précédente. »
Et en 2024, la tendance persiste : aucune athlète féminine ne figure dans le top 100. Avec des revenus estimés à 34,4 millions de dollars, la jeune star du tennis Coco Gauff, 20 ans, réalise toutefois l’une des meilleures performances financières pour une sportive. Elle reste néanmoins loin derrière ses consœurs Naomi Osaka et Serena Williams, qui avaient atteint respectivement 57,3 millions et 45,9 millions de dollars en 2022, la classant cette année à la 125e place.
Pour la première fois dans l’histoire des données de Forbes, chacun des dix athlètes les mieux payés en 2024 a gagné plus de 100 millions de dollars, dépassant ainsi le précédent sommet de huit athlètes en 2023. Du côté des femmes, les 20 athlètes les mieux rémunérées ont cumulé plus de 258 millions de dollars en 2024, marquant une augmentation de 15 % par rapport aux 226 millions de dollars enregistrés en 2023.
Cependant, le total combiné des revenus des sportives représente moins de 12 % des revenus des 20 sportifs les mieux payés au monde, qui ont généré un montant estimé à 2,23 milliards de dollars en 2024.
Une supportrice sur l’UTMB 2024 (@Coralie Havas)
Le sport féminin continue toutefois d’être perçu comme moins « rentable »
De tels écarts renforcent le préjugé selon lequel « les hommes sont de meilleurs athlètes que les femmes » et qu’ils sont plus légitimement présents dans le sport. Cependant, la réalité est bien plus complexe. Prenons l’exemple de deux phénomènes du basketball, des joueurs d’exception qui n’émergent qu’une fois par génération : l’Américaine Caitlin Clark, sélectionnée par le Fever de l’Indiana, membre de la WNBA pour la saison à venir, et le Français Victor Wembanyama, choisi par les Spurs de San Antonio lors de la saison précédente en NBA.
« Leur talent transcende les limites du terrain ; leur attrait auprès du public et leur charisme personnel sont tout aussi impressionnants », note Forbes. « Il n’y a jamais eu de doute sur leur statut de premier choix, leur suprématie sur le terrain étant incontestable. » Pourtant, Caitlin Clark se heurte à des plafonds salariaux bien inférieurs à ceux de la NBA. « Cette disparité salariale est souvent attribuée à des facteurs comme l’audience, les revenus publicitaires et la popularité générale du sport féminin par rapport à celui des hommes. Toutefois, de nombreux défenseurs de l’égalité des sexes dans le sport affirment que ces différences sont injustifiées et appellent à des réformes pour garantir un salaire égal pour un travail égal, quel que soit le genre », poursuit Forbes.
Quand on examine de plus près, on constate que Victor Wembanyama a signé un contrat de quatre ans d’une valeur de 55 millions de dollars. De son côté, Caitlin Clark a reçu 338 056 dollars. Pas par an, mais pour ses quatre premières années au sein de la WNBA.
Il existe cependant des raisons d’espérer. Depuis 2007, Roland-Garros a instauré l’égalité des primes entre hommes et femmes. Cette politique est désormais appliquée dans de nombreux sports, tels que le biathlon, le surf ou encore les CrossFit Games. Actuellement, 35 fédérations suivent ce modèle et distribuent des dotations égales pour les hommes et les femmes.
Le sport féminin continue cependant d’être perçu comme moins « rentable », moins médiatisé, moins sponsorisé, moins suivi et donc moins rémunéré. Une boucle infernale, alimentée par des stéréotypes et une vision archaïque du sport. Cette inégalité trouve ses racines dans l’histoire. Pendant longtemps, certaines disciplines sportives ont été fermées aux femmes ou leur développement a été limité, ce qui a laissé des traces durables sur les structures et les investissements dans le sport féminin.
Katie Schide sur l’UTMB 2024 (@Coralie Havas)
Aujourd’hui encore, 40 % des filles abandonnent le sport au début de l’adolescence, soit deux fois plus que les garçons. Les raisons sont multiples : un manque de confiance en soi (environ 6 filles sur 10 estiment ne pas avoir les compétences nécessaires pour continuer), des stéréotypes de genre (avec des idées reçues sur les « sports pour filles » ou les jugements sur les corps dits « trop musclés »), l’absence de modèles féminins (moins de 30 % des coachs et entraîneurs sont des femmes), ainsi que la pression des études et des obligations sociales. À l’âge de 17 ans, 51 % des filles déclarent être trop occupées par leurs études et leur vie sociale pour continuer à pratiquer une activité sportive.
De plus, les sports pratiqués par les femmes, moins médiatisés, génèrent moins d’opportunités de sponsoring, ce qui, selon les fédérations et sponsors, justifie les écarts de rémunération. Le manque de visibilité du sport féminin dans les médias empêche les marques de proposer des contrats de sponsoring aussi lucratifs que ceux offerts aux stars masculines telles que LeBron James, Cristiano Ronaldo ou Tom Brady (football américain). Même les sportives évoluant dans des disciplines dominées par les hommes, comme Ronda Rousey en MMA, ont peu de chances d’apparaître un jour dans les classements des athlètes les mieux rémunérés.
Ces disparités financières forment un véritable cercle vicieux qui freine la progression des sportives. Faute de rémunération suffisante, elles doivent jongler entre l’entraînement et un emploi classique. Or, une athlète qui s’entraîne moins voit ses performances stagner, ce qui conduit à une moindre visibilité médiatique et donc à des opportunités de sponsoring limitées, impactant ainsi sa rémunération.
Et les sports outdoor dans tout ça ?
Dans des disciplines comme l’escalade, l’alpinisme ou le trail, les chiffres restent flous. En d’autres termes, il est difficile de savoir exactement combien gagnent les athlètes. La plupart des compétitions proposent une rémunération égale, et bon nombre d’entre elles se déroulent en même temps que celles des hommes (en trail, par exemple) ou presque (sur la même journée ou le même week-end). Mais qu’en est-il des contrats de sponsoring ? Et des possibles disparités salariales entre hommes et femmes ? Le sujet reste largement ignoré. Alors, nous avons décidé de le soulever chez encordées. Affaire à suivre.
Beaucoup de voix se sont élevées contre Strava ces derniers temps. Une vague de critiques, parfois teintée de haine, envers cette application qui transforme chaque foulée en performance publique. J’ai voulu comprendre ce que ça changeait de s’en passer. Alors j’ai tenté un mois sans Strava. J’aime bien dire que j’ai fait ma petite crise d’ado numérique. Spoiler : j’y suis retournée. Mais différemment. Je vous explique pourquoi.
Avez-vous entendu parler des « Strava jockeys » ? Ce sont souvent des jeunes, précaires, et ils ont un point commun : vouloir tirer profit de leur passion pour la course à pied. Un travail ingrat, puisque l’idée est de totalement s’effacer au profit de leurs clients. Des utilisateurs de l’application Strava, qui, faute de temps ou de motivation, les rémunèrent en fonction du nombre de kilomètres effectués… et de leur allure. Une histoire de tricherie qui en dit long sur la relation que certaines et certains entretiennent avec l’application, créée par deux anciens étudiants d’Harvard, il y a maintenant plus de quinze ans.
En lisant cette actualité, j’avais fait le choix d’arrêter d’utiliser Strava, le temps d’un mois. Je crois que c’était mon propre Dry January (inspiré par Lisa Louviot, une accompagnatrice en moyenne montagne, qui avait décidé de se passer de sa montre connectée tout le mois de janvier). Un dépouillement en quête d’un « pourquoi »
Je suis une amoureuse des montagnes. J’aime garder une trace de mes sorties, de ces tranches de vie sur les falaises, sur les sentiers, que j’arpente seule ou à plusieurs.
C’est moins poétique, mais j’aime aussi noter mes séances de préparation physique, celles qui m’éloignent des blessures (pas toujours). Ou encore ces minis-victoires sur le pan d’escalade de la salle de bloc la plus proche de chez moi.
J’aime me replonger dans les souvenirs. Pas longtemps, mais suffisamment pour me donner un peu d’élan. De confiance aussi. « On a accompli dejolies choses ces derniers temps. Allez, savoure un peu », voilà ce que je me dis, quand je lève un peu la tête.
La tête, je l’avais un peu trop eue dans le guidon ces derniers temps. Parfois, c’est ce qu’il faut pour aller vers ses rêves. Du moins, je crois. Alors, j’ai décidé de retirer mes œillères. De lâcher le smartphone pour le carnet d’entraînement. Et de vivre une nouvelle aventure : ne rien publier sur Strava. J’ai décidé de pousser l’expérience en y ajoutant l’absence d’objectifs, de plan d’entraînement, et de toute « obligation » d’aller m’entraîner. Un dépouillement, un retour à l’essentiel. Avec l’envie de savoir si j’avais vraiment envie de passer autant d’heures à courir, grimper, faire du vélo… Ou bien si je ne répondais qu’à l’injonction sociale d’être « active pour rester fit ».
Pire, si je ne courais que pour alimenter mes statistiques sur Strava.
Être « la meilleure version de moi-même »
« Si ce n’est pas sur Strava, ça n’existe pas. » Voilà l’idée valorisée par l’application. Ces dernières années, j’ai joué le jeu. Parce que les chiffres me rassurent, je crois.
Chacun de mes déplacements était traqué. Ceux pour aller à l’école de journalisme : deux kilomètres à pied, chaque matin. Ceux pour aller à la salle d’escalade : quatre kilomètres à vélo. Et j’en passe.
Ajoutez à cela ma bonne dizaine d’heures d’entraînement par semaine. Ça en fait des activités. Toutes n’ont pas été conservées au nom de l’assez noble idée de « garder des souvenirs », je le concède. Mais j’aimais bien voir que j’avais couru plus de kilomètres que la semaine passée.
La pression sur Strava, avec ma quinzaine de followers, je me la mettais toute seule. Suivant cette fameuse injonction à être « la meilleure version de moi-même ». Pour moi, ça voulait dire : toujours plus.
Toujours plus d’heures d’entraînement. Toujours plus de kilomètres. Toujours plus de dénivelé positif.
Et dans tout ça, je ressentais le besoin de justifier certains de mes manques de forme passagers. Parce que, même si j’essaie d’être parfaite, je n’en demeure pas moins humaine.
Strava, le reflet de notre frénésie vers le « toujours plus », le « toujours mieux »
J’ai donc tout stoppé pendant un mois. Sauf que j’ai continué d’aller dehors. Parce que j’en avais envie. Parce que je sentais qu’il me restait encore beaucoup de choses à écrire sur ma partition. Des souvenirs, principalement. J’ai décidé d’une chose : « Je ne m’entraîne pas, je vais dehors, c’est différent. »
Strava ne le sait pas, mais j’y suis quand même allée à cinq heures du matin. Parce que j’aime ça, être seule dans les montagnes, « à l’heure où blanchit la campagne ».
Conclusion ? J’aime passer des heures dehors. Beaucoup d’heures. Mon équilibre est là. Et comme un funambule, je suis sur un fil, très souvent prête à basculer vers le « trop » (notion qui est propre à chacun).
Un mois après cette expérience, je suis, doucement mais sûrement, retournée sur Strava. Parce que les souvenirs prennent, chez moi, plus de sens lorsqu’ils sont partagés. Mais aussi parce que j’ai compris que cette application n’était finalement que le reflet de notre frénésie vers le « toujours plus », le « toujours mieux ». Frénésie que j’ai décidé de freiner, mais pas trop quand même. Parce que je suis trop curieuse de savoir où mène ce sentier, ce qu’il se cache derrière cette montagne, et de découvrir la vue qu’offre cette nouvelle voie.
Me concentrer sur le positif
Ce matin, en revenant de ma sortie du jour, j’ai râlé. La montre affichait 293 mètres de dénivelé positif. J’aurais bien voulu faire les 300. Alors, j’ai repassé mentalement la séance en boucle, cherchant les micro-erreurs qui m’avaient fait manquer ces fameux sept mètres. Je les ai trouvées.
Et puis, j’ai décidé d’arrêter de râler. De me concentrer sur le positif de cette sortie, sur le plaisir que j’en avais retiré. La fraîcheur du matin, les lueurs sur les sommets encore enneigés, le soleil qui s’extrayait timidement de derrière les montagnes.
Parce qu’après tout, c’est bien après ça que je cours.