Au milieu du Vercors (@Eleonore Najia)

Un mois sans Strava : je suis allée dehors pour moi, pas pour les stats

Beaucoup de voix se sont élevées contre Strava ces derniers temps. Une vague de critiques, parfois teintée de haine, envers cette application qui transforme chaque foulée en performance publique. J’ai voulu comprendre ce que ça changeait de s’en passer. Alors j’ai tenté un mois sans Strava. J’aime bien dire que j’ai fait ma petite crise d’ado numérique. Spoiler : j’y suis retournée. Mais différemment. Je vous explique pourquoi.

Avez-vous entendu parler des « Strava jockeys » ? Ce sont souvent des jeunes, précaires, et ils ont un point commun : vouloir tirer profit de leur passion pour la course à pied. Un travail ingrat, puisque l’idée est de totalement s’effacer au profit de leurs clients. Des utilisateurs de l’application Strava, qui, faute de temps ou de motivation, les rémunèrent en fonction du nombre de kilomètres effectués… et de leur allure. Une histoire de tricherie qui en dit long sur la relation que certaines et certains entretiennent avec l’application, créée par deux anciens étudiants d’Harvard, il y a maintenant plus de quinze ans.

En lisant cette actualité, j’avais fait le choix d’arrêter d’utiliser Strava, le temps d’un mois. Je crois que c’était mon propre Dry January (inspiré par Lisa Louviot, une accompagnatrice en moyenne montagne, qui avait décidé de se passer de sa montre connectée tout le mois de janvier). Un dépouillement en quête d’un « pourquoi » 

Je suis une amoureuse des montagnes. J’aime garder une trace de mes sorties, de ces tranches de vie sur les falaises, sur les sentiers, que j’arpente seule ou à plusieurs.

C’est moins poétique, mais j’aime aussi noter mes séances de préparation physique, celles qui m’éloignent des blessures (pas toujours). Ou encore ces minis-victoires sur le pan d’escalade de la salle de bloc la plus proche de chez moi.

J’aime me replonger dans les souvenirs. Pas longtemps, mais suffisamment pour me donner un peu d’élan. De confiance aussi. « On a accompli dejolies choses ces derniers temps. Allez, savoure un peu », voilà ce que je me dis, quand je lève un peu la tête.

La tête, je l’avais un peu trop eue dans le guidon ces derniers temps. Parfois, c’est ce qu’il faut pour aller vers ses rêves. Du moins, je crois. Alors, j’ai décidé de retirer mes œillères. De lâcher le smartphone pour le carnet d’entraînement. Et de vivre une nouvelle aventure : ne rien publier sur Strava. J’ai décidé de pousser l’expérience en y ajoutant l’absence d’objectifs, de plan d’entraînement, et de toute « obligation » d’aller m’entraîner. Un dépouillement, un retour à l’essentiel. Avec l’envie de savoir si j’avais vraiment envie de passer autant d’heures à courir, grimper, faire du vélo… Ou bien si je ne répondais qu’à l’injonction sociale d’être « active pour rester fit ».

Pire, si je ne courais que pour alimenter mes statistiques sur Strava.

Être « la meilleure version de moi-même »

« Si ce n’est pas sur Strava, ça n’existe pas. » Voilà l’idée valorisée par l’application. Ces dernières années, j’ai joué le jeu. Parce que les chiffres me rassurent, je crois.

Chacun de mes déplacements était traqué.
Ceux pour aller à l’école de journalisme : deux kilomètres à pied, chaque matin.
Ceux pour aller à la salle d’escalade : quatre kilomètres à vélo.
Et j’en passe. 

Ajoutez à cela ma bonne dizaine d’heures d’entraînement par semaine. Ça en fait des activités. Toutes n’ont pas été conservées au nom de l’assez noble idée de « garder des souvenirs », je le concède. Mais j’aimais bien voir que j’avais couru plus de kilomètres que la semaine passée.

La pression sur Strava, avec ma quinzaine de followers, je me la mettais toute seule. Suivant cette fameuse injonction à être « la meilleure version de moi-même ». Pour moi, ça voulait dire : toujours plus.

Toujours plus d’heures d’entraînement.
Toujours plus de kilomètres.
Toujours plus de dénivelé positif.

Et dans tout ça, je ressentais le besoin de justifier certains de mes manques de forme passagers. Parce que, même si j’essaie d’être parfaite, je n’en demeure pas moins humaine.

Strava, le reflet de notre frénésie vers le « toujours plus », le « toujours mieux »

J’ai donc tout stoppé pendant un mois. Sauf que j’ai continué d’aller dehors. Parce que j’en avais envie. Parce que je sentais qu’il me restait encore beaucoup de choses à écrire sur ma partition. Des souvenirs, principalement. J’ai décidé d’une chose : « Je ne m’entraîne pas, je vais dehors, c’est différent. »

Strava ne le sait pas, mais j’y suis quand même allée à cinq heures du matin. Parce que j’aime ça, être seule dans les montagnes, « à l’heure où blanchit la campagne ».

Conclusion ? J’aime passer des heures dehors. Beaucoup d’heures. Mon équilibre est là. Et comme un funambule, je suis sur un fil, très souvent prête à basculer vers le « trop » (notion qui est propre à chacun).

Un mois après cette expérience, je suis, doucement mais sûrement, retournée sur Strava. Parce que les souvenirs prennent, chez moi, plus de sens lorsqu’ils sont partagés. Mais aussi parce que j’ai compris que cette application n’était finalement que le reflet de notre frénésie vers le  « toujours plus », le « toujours mieux ». Frénésie que j’ai décidé de freiner, mais pas trop quand même. Parce que je suis trop curieuse de savoir où mène ce sentier, ce qu’il se cache derrière cette montagne, et de découvrir la vue qu’offre cette nouvelle voie.

Me concentrer sur le positif

Ce matin, en revenant de ma sortie du jour, j’ai râlé. La montre affichait 293 mètres de dénivelé positif. J’aurais bien voulu faire les 300. Alors, j’ai repassé mentalement la séance en boucle, cherchant les micro-erreurs qui m’avaient fait manquer ces fameux sept mètres. Je les ai trouvées.

Et puis, j’ai décidé d’arrêter de râler. 
De me concentrer sur le positif de cette sortie, sur le plaisir que j’en avais retiré. La fraîcheur du matin, les lueurs sur les sommets encore enneigés, le soleil qui s’extrayait timidement de derrière les montagnes. 

Parce qu’après tout, c’est bien après ça que je cours.

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